ASSISES DE PARIS SUR LE BOMBARDEMENT DE BOUAKE EN RCI
Le 29 mars 2021, s’est ouvert devant la Cour d’assises de Paris, le procès des pilotes poursuivis pour assassinats, tentative d’assassinats et destruction de biens, dans le bombardement d’un camp militaire français de la force Licorne à Bouaké, dans le Nord de la Côte d’Ivoire. Neuf soldats français et un civil américain avaient été tués. C’était en 2004, en pleine guerre civile ivoirienne entre les rebelles du Nord conduits par un certain Guillaume Soro, qui marchaient sur Abidjan, et les forces armées restées loyales au régime de Laurent Gbagbo basé dans la capitale économique au Sud. Seize ans après, le mystère reste entier s’il ne s’est pas épaissi, sur les tenants et les aboutissants de cette opération militaire qui tarde à livrer ses secrets. Comment peut-il en être autrement quand on sait que ce procès, qui a mis du temps à s’ouvrir, se tient en l’absence même des accusés ? Notamment les pilotes biélorusses qui ont mené l’opération et qui ont disparu dans la nature, après leur libération, par les autorités togolaises qui les avaient alpagués dans leur fuite et en avaient tenu Paris informée en son temps, pour savoir la conduite à tenir ?
Saura-t-on jamais la vérité dans cette affaire ?
Pendant ce temps, de hautes personnalités françaises comme les ministres Dominique de Villepin, Michèle Alliot Marie et Michel Barnier, respectivement à l’Intérieur, à la Défense et aux Affaires étrangères à l’époque des faits, ne pourront au mieux être entendus que comme témoins dans ce procès, malgré le rôle qui a pu être le leur dans l’épisode de la volatilisation « des pièces à conviction » biélorusses du côté de Lomé. C’est dire si dans cette affaire, on se perd en conjectures entre les tenants de la thèse de la responsabilité des autorités ivoiriennes de l’époque, pour qui le raid devait servir de clash pour provoquer la rupture avec la France voire obtenir le départ des troupes françaises dont la neutralité était sujette à caution à leurs yeux, et ceux de la thèse d’une machination de l’hexagone dans l’intention d’en finir avec le président Laurent Gbagbo, mais qui a plutôt tourné à la « bavure » au point de devenir un sujet aussi embarrassant que brûlant pour l’Elysée. Quoi qu’il en soit, le constat est là que plusieurs années après les faits, les lignes peinent à bouger dans ce dossier et on ne se sait toujours pas qui a donné l’ordre de bombarder et pourquoi. Saura-t-on jamais la vérité dans cette affaire ? Rien n’est moins sûr. D’autant que, jusque-là, l’enquête s’est, de toute apparence, cantonnée aux exécutants qu’étaient le pilote russe Yuri Sushkin et les copilotes ivoiriens Ange Magloire Gnandouillet Attualy et Patrice Ouei amnistiés, eux, en 2007 dans leur pays. Mieux, au regard des circonstances de temps et de lieu dans lesquelles il s’ouvre, on se demande si ce jugement ne sera finalement pas un procès pour la forme. Car, seize ans après les faits, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts d’Abidjan et de Paris. Et dans le fond, l’on peut se demander si le temps n’a pas altéré des preuves matérielles ou joué sur les souvenirs de ceux-là qui voudront bien se prêter aujourd’hui à l’exercice de la Justice française au cours de ces assises qui se tiennent à six mille lieues du théâtre des opérations, en l’absence des accusés qui en étaient les principaux acteurs.
Le procès en lui-même pourrait faire encore jaser s’il devait tourner à la parodie
Comment dans ces conditions espérer reconstituer le puzzle quand des pièces et pas des moindres, manquent à l’appel ? En d’autres termes, comment espérer faire la lumière dans cette sombre affaire et remonter aux commanditaires pour rendre justice aux victimes et à leurs parents qui attendent beaucoup de ce procès, si la Justice est incapable de faire comparaître les prévenus ? Une équation bien difficile pour la Justice française dont on se demande si elle disposera de suffisamment d’éléments pour relever le défi en vue d’étancher la légitime soif de justice des parents de victimes. C’est le Wait and see. En attendant, c’est déjà une bonne chose que ce procès puisse se tenir même si l’on peut se demander pourquoi maintenant, à la veille de l’ouverture, ce 31 mars 2021, du procès en appel de l’ex-président Laurent Gbagbo à la CPI dans les conditions que l’on sait. En tout état de cause, autant les conditions d’ouverture du procès du bombardement de Bouaké interrogent, autant le procès en lui-même pourrait faire encore jaser s’il devait tourner à la parodie. Surtout quand on sait que cette opération militaire n’est pas restée sans suite et a même pu influer sur le cours de la guerre en Côte d’Ivoire, l’armée française ayant, dans la foulée, détruit l’aviation ivoirienne en guise de représailles. Ce, au moment où il se disait que le président Laurent Gbagbo s’apprêtait à en tirer avantage pour mater la rébellion. Mais d’un autre côté, on peut se demander si en dehors des parents des victimes et de la quarantaine de blessés qui ont pu avoir la vie sauve, les uns et les autres, au sommet, sont véritablement intéressés aujourd’hui de connaître la vérité, aussi bien sur les bords de la lagune Ebrié que sur ceux de la Seine.
« Le Pays »