ATTRIBUTION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE AU M5
Depuis hier, le médiateur désigné de la Communauté Economique des Etats de l’Ouest (CEDEAO), dans l’épineux dossier malien, l’ex- président nigérian, Goodluck Jonathan, séjourne au bord du Djoliba. Objectif affiché de la mission : faire l’état des lieux de la transition en cours dans le pays avec pour enjeu principal la levée des sanctions instaurées par l’organisation sous-régionale au lendemain du coup de force opéré par Assimi Goïta et ses compagnons d’armes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le missi dominici de la CEDEAO ne pouvait pas mieux tomber. En effet, l’ancien Chef de l’Etat est arrivé à Bamako, seulement deux jours après la désignation contestée de l’ex-colonel et ancien ministre de la Défense, Bah N’Daw, pour conduire la Transition. La visite de Goodluck Jonathan intervient aussi au moment où se mènent les tractations entre les différents acteurs de la scène politique malienne pour former le gouvernement de la Transition en commençant naturellement par le choix du Premier ministre.
On peut constater, à travers les plans architecturaux du gouvernement qui se dessine, la boulimie de pouvoir des militaires
Il sera donc le témoin privilégié des manœuvres et empoignades entre les différents acteurs pour trouver le consensus nécessaire à la mise en place de l’attelage destiné à conduire cette difficile transition, pour en faire fidèlement le compte rendu aux Chefs d’Etat de la CEDEAO qui, en dernier ressort, aviseront quant aux nouvelles dispositions à prendre, s’il y a lieu. En attendant ce verdict des Chefs d’Etat, qui ne devrait pas trop se faire attendre après le retour de mission du médiateur, il ressort des bruits de couloirs des négociations en cours entre la junte militaire et les forces vives de la nation, que proposition a été faite au mouvement du 5 Juin de lui attribuer le poste de Premier ministre. Selon les mêmes informations, la junte souhaiterait, en revanche, conserver les ministères de la Sécurité, de l’Equipement, des Mines et de l’Administration territoriale. Même si rien n’est encore définitivement scellé, l’on ne peut que constater, à travers les plans architecturaux du gouvernement qui se dessine, la boulimie de pouvoir des militaires qui, après avoir rusé avec les injonctions de la CEDEAO pour reprendre de la main droite ce qu’ils avaient donné de la gauche dans la désignation du président de la Transition, entendent s’octroyer les portefeuilles ministériels les plus stratégiques et les plus juteux. Dans ce contexte, on peut douter de la volonté de la junte de gérer de façon inclusive le pouvoir. On peut par conséquent se demander si le poste de Premier ministre proposé au M5 n’est pas juste un appât destiné à taire les récriminations qui se sont fait entendre suite à « l’imposition démocratique » de Bah N’Daw. Pire, l’on peut même se demander si ce poste n’est pas un os jeté par la junte à une meute de loups affamés qui auront du mal à s’entendre pour le dévorer. En tout cas, il y a de fortes raisons de croire que l’unanimité sera difficilement faite autour de la personnalité à désigner à la primature. Et pour cause. D’abord, le M5 est un regroupement hétéroclite de partis politiques et d’organisations de la société civile (OSC) dont le seul dénominateur commun était l’ambition de faire tomber le président Ibrahim Boubacar Keita.
Tout semble indiquer que l’attelage aura du mal à tenir la route pour les 18 mois de durée
Une fois cet objectif atteint, l’on peut douter de la capacité de ce mouvement à définir des valeurs communes que pourraient incarner l’oiseau rare à trouver pour le poste de Premier ministre. Ensuite, l’histoire récente du Mali prouve à l’envi que les Maliens ont pris l’habitude de mettre plus l’accent sur ce qui les divise que sur ce qui les unit. Il faut donc craindre que les intérêts personnels et partisans ne prennent le dessus sur la raison et l’intérêt même de la Nation. Dans tous les cas, le M5 doit comprendre qu’à trop se tirailler, il peut subvenir un troisième larron qui peut les déposséder du présent qui leur a été offert par la junte. Au pire, Assimi Goïta et ses compagnons d’armes peuvent opérer le choix à leur place, comme ils l’ont fait dans la désignation du président de la Transition. Du reste, les Maliens qui souffrent déjà atrocement des sanctions de la CEDEAO, n’auront pas la patience d’attendre l’épilogue d’interminables palabres pour savoir de quoi sera fait demain pour eux. Il est donc urgent que le consensus soit vite obtenu pour que la Transition passe à une autre étape de son évolution. Les défis qui attendent sont énormes et concernent à la fois l’insécurité, la réconciliation nationale et l’organisation dans les délais impartis, des élections et il n’y a vraisemblablement pas de temps à perdre. Le tout n’est cependant pas de trouver l’oiseau rare car, on peut bien se poser les questions suivantes : à quoi servira ce Premier ministre qui, visiblement, sera à la tête d’un gouvernement dont les membres lui seront en majorité imposés ? Bénéficiera-t-il de l’accompagnement et de la loyauté de tous les acteurs ? En tout cas, tout semble indiquer, au regard de la difficile gestation de l’Exécutif de la Transition, que l’attelage aura du mal à tenir la route pour les 18 mois de durée. En attendant la suite des évènements, l’autre préoccupation importante reste l’inconnue de la réaction de la CEDEAO face à toutes ces manœuvres en cours. Mais l’on peut espérer que le médiateur qui a salué des débuts encourageants dans la mise en œuvre de l’institution communautaire, joue balle à terre.
« Le Pays »