AUDIT DU FICHIER ELECTORAL AU NIGER : Un bon signe de décrispation
Huit jours, c’est le délai imparti aux experts de la mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), au terme d’une séance de travail avec la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du Niger, lundi dernier à Niamey, pour vérifier la qualité et la fiabilité du fichier électoral afin de rétablir la confiance entre les acteurs du processus électoral. Et pour faire dans la transparence et l’équité, les quatre experts de l’OIF mèneront leur mission en étroite collaboration avec plusieurs composantes du processus électoral nigérien, en l’occurrence deux représentants des partis de la majorité, autant de représentants des partis de l’opposition, des partis non affiliés, des organisations de la société civile et trois membres de la CENI.
Le Niger a connu tellement de turbulences sociopolitiques qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter
Quand on sait que l’opposition nigérienne avait fait de l’audit de ce fichier électoral, l’un de ses chevaux de bataille, au moment où cela ne semblait guère une préoccupation majeure pour le pouvoir en place, l’on peut dire que l’opérationnalisation de cet audit est incontestablement une victoire d’étape pour elle. Toutefois, il conviendrait aussi de saluer la hauteur de vue du pouvoir de Niamey qui a finalement accédé à cette requête. Cela pourrait avoir pour effet de décrisper un tant soit peu une atmosphère sociopolitique qui a vu la montée vertigineuse du mercure social avec, entre autres, les suites de l’affaire dite de trafic de bébés qui ont débouché sur l’arrestation et l’incarcération de l’opposant et ex-président de l’Assemblée nationale, Hama Amadou, par ailleurs candidat à la prochaine présidentielle. Sans oublier l’affaire du coup d’Etat déjoué annoncée par les autorités de Niamey il y a de cela une quinzaine de jours. Tout cela, dans une ambiance quelque peu délétère, dans laquelle le siège en construction du parti au pouvoir a essuyé des tirs à l’arme lourde de la part d’inconnus, dans la nuit du 12 au 13 décembre dernier. A l’analyse, l’on peut dire que cette expertise du fichier électoral est une mesure salutaire, car le Niger a connu tellement de turbulences sociopolitiques, particulièrement ces derniers temps, qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Un refus catégorique des autorités aurait pu avoir pour effet de creuser davantage le fossé de la méfiance entre les différents acteurs. En outre, à y regarder de près, il est dans l’intérêt du régime et du président Mahamadou Issoufou lui-même, d’auditer le fichier électoral tel que le veulent les opposants, pour éviter d’éventuelles contestations liées à ce fichier, mais aussi pour sa propre légitimité, au cas où il viendrait à être réélu pour un second mandat. En accédant à cette requête, il coupe, d’une certaine façon, l’herbe sous les pieds de ses détracteurs. Car, comme on le sait, généralement en Afrique, l’organisation d’élections propres relève souvent de la gageure. Et si les oppositions, de façon générale, voient le diable un peu partout, c’est que tout au long de ces trois dernières décennies, bien des partis au pouvoir en Afrique ont souvent prêté le flanc, en rivalisant d’ingéniosité dans les fraudes électorales pour s’en sortir avec des scores en trompe-l’œil censés refléter la popularité de leur assise au sein des masses.
Le geste de Mahamadou Issoufou est un bon signe de décrispation
C’est pourquoi l’audit du fichier électoral se justifie. Il se justifie tellement qu’il ne devrait susciter de réticence aucune. Au contraire, dans cette Afrique en pleine mutation, où le fauteuil présidentiel est de plus en plus convoité et la compétition électorale de plus en plus serrée, il est de l’intérêt de tous que les fichiers électoraux soient expurgés de toutes leurs scories avant d’être soumis au corps électoral, afin que chaque citoyen s’y reconnaisse. Cela contribuerait davantage à la transparence des scrutins et à l’acceptation des résultats par les concurrents. Et dans le cas du Niger, cela est d’autant plus heureux que l’équipe de l’OIF qui doit faire le travail, est composée d’experts chevronnés à l’expérience internationalement reconnue dans le domaine électoral. En effet, le général malien Siaka Sangaré, qui conduit la mission, est une référence en Afrique en matière d’élaboration de fichier électoral, de son audit et du suivi des élections. Il a, entre autres, été sollicité pour auditer le fichier électoral mauritanien, mais aussi pour assister, organiser, superviser et auditer les processus électoraux en Guinée, au Tchad, à Madagascar et à Haïti, notamment. L’expert mauritanien Mohamed Lénine Ould Sidi a, lui, fait ses preuves dans son propre pays d’abord, en concevant et en mettant en place un système dont beaucoup s’accordent à dire qu’il a permis à la Mauritanie de disposer du fichier électoral le plus fiable d’Afrique francophone. Quant au Burkinabè Inoussa Ouédraogo, ingénieur en informatique et développeur, il traîne une expérience de dix ans dans le domaine du fichier électoral, qui l’a mené dans plusieurs pays d’Afrique. Le quatrième et dernier expert, le Congolais Ronsard Malonda N’Guimbi, est aussi fort d’une expérience de dix ans pendant lesquels il a effectué plusieurs missions de l’OIF dans le même domaine. Avec autant de compétences et d’expériences réunies, l’on peut dire que le Niger est bien servi. Cependant, il appartient aussi à l’opposition nigérienne de jouer à fond sa partition sur le terrain, en termes de mobilisation des électeurs. Car, une chose est d’avoir un fichier électoral débarrassé de toute crasse, une autre est de parvenir à battre Mahamadou Issoufou dans les urnes. Entre les deux, la désillusion peut être grande. Cela dit, si cette victoire d’étape peut être perçue comme une bataille de gagnée pour l’opposition, celle-ci ne devrait pas perdre de vue qu’il lui faudra bien plus que ce fichier pour empêcher Mahamadou Issoufou de se succéder à lui-même. En attendant, le geste de ce dernier est un bon signe de décrispation.
« Le Pays »