BARBARA MANZI, COORDONNATRICE RESIDENTE DES NATIONS-UNIES, A PROPOS DE LA CRISE SECURITAIRE AU BURKINA : « Le pays n’a pas besoin de chocs additionnels »
Joviale, rassurante, ouverte et facile d’approche. Ce sont quelques épithètes que nous pouvons coller à l’actuelle Coordonnatrice résidente des Nations unies et Coordonnatrice humanitaire. Elle a aussi en charge les questions sécuritaires. Mme Barbara Manzi, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a accepté de nous accorder sous ces trois casquettes, cette interview exclusive, le 1er juillet 2022, dans ses bureaux, à l’immeuble des Nations unies, à Ouagadougou. C’est la première fois qu’elle accorde un entretien à un média burkinabè. Du haut de ses 25 ans d’expérience dans des pays en crise, la nouvelle représentante de António Guterres, promet que le système des Nations unies restera aux côtés du peuple burkinabè. Lisez plutôt !
« Le Pays » : Vous êtes au Burkina depuis le 19 août 2021. Comment vous sentez-vous dans ce pays ?
C’est un pays très chaleureux avec des gens incroyables. La chaleur des gens est quelque chose qui m’a touchée. J’ai été accueillie très chaleureusement à l’aéroport par des jeunes. J’ai pu visiter, dès mon arrivée, les endroits les plus reculés comme Djibo (chef-lieu de la province du Soum, ndlr). J’ai pu voir que même dans les situations les plus difficiles, l’esprit de vouloir aller de l’avant était au-delà des difficultés. Il y a une volonté de mise en valeur de la vigueur et de la résilience des populations malgré toutes ces difficultés. J’étais en service à Djibouti. J’ai choisi de venir au Burkina. Et je suis ravie d’être dans ce pays.
Au lendemain du coup d’Etat, de nombreux partenaires ont gelé leurs financements avec le Burkina. Est-ce votre cas ?
Absolument pas ! C’est une perception. Et d’ailleurs, l’action humanitaire ne s’est jamais arrêtée. Nous n’avons pas gelé notre coopération mais nous avons plutôt redoublé d’effort parce que les besoins humanitaires sont énormes. Aussi, nous n’avons jamais gelé tout ce qui est déployé comme soutien aux populations même en ce qui concerne d’autres secteurs. Quand il y a des changements, il y a toujours des moments de ralentissement. Mais tous les contacts sont entretenus pour s’assurer effectivement qu’on puisse continuer à agir pas seulement dans l’humanitaire, mais aussi dans d’autres secteurs tels que le développement, les droits humains et la paix. Pour nous, quand il y a un choc alors que nous avons fait la promesse de soutenir les Etats dans l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), on ne peut pas se permettre d’arrêter. Car, quand on a deux éléphants qui se battent, c’est l’herbe qui en pâtit. En outre, c’est la promesse de la Charte des Nations unies: «Nous, peuples des Nations unies… avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins». On ne peut pas se permettre d’arrêter avec toutes les difficultés qui existent. J’ai une expérience de plus de 25 ans d’actions dans des pays en conflit. Et dans ces pays, j’ai toujours œuvré avec le système des Nations unies à maintenir cette promesse. C’est pour cela que le Secrétaire général de l’ ONU, António Guterres, m’a envoyée ici. Il y a des chiffres que nous avons partagés hier (le jeudi 30 juin 2022, rencontre avec le gouvernement de la transition ; l’interview a eu lieu le 1er juillet ndlr). Ce sont près d’un million de personnes qui ont eu une assistance alimentaire d’urgence depuis janvier 2022. Plus de 400 000 personnes ont reçu des soins de santé. Ce sont des chiffres qui ne concernent que les actions d’urgence. En matière de développement, nous avons donné un soutien à des personnes ainsi que des appuis institutionnels dans différents domaines, notamment les droits humains, l’identification de certaines politiques qui devraient aller de l’avant. Notre engagement existe et est encore fort aujourd’hui pour le peuple du Burkina Faso.
Vous resterez donc toujours aux côtés du peuple burkinabè…
C’est la raison d’existence des Nations unies.
« On ne peut pas se permettre d’attendre. Le ventre n’attend pas »
Vous attendez-vous à une feuille de route claire de la transition pour renforcer la coopération avec le Burkina ?
Dans des moments de changements et d’incertitudes, il faut faire avec les informations disponibles. Les gens ne peuvent pas attendre. On œuvre au mieux pour identifier/évaluer exactement les besoins. On a pu regarder ce qu’on peut faire. Maintenant, est-ce que cela correspond aux priorités du pays et comment mieux l’accompagner ? La réunion avec le gouvernement de la transition a été une belle opportunité. (La rencontre avec les autorités de la transition, ndlr). Cela va aider à recalibrer nos actions. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de contact avant cette rencontre avec le gouvernement afin d’améliorer nos actions. Nous sommes une grande machine. Nous avons 33 entités qui emploient près de 1 400 personnes ici, au Burkina Faso. C’est notre personnel qui œuvre chaque jour dans tous les domaines. Nous devons ajuster dans le temps avec une situation qui évolue chaque jour. On ne peut pas se permettre d’attendre. Le ventre n’attend pas. Quand on a des déplacés qui sont sous la pluie, ils ne peuvent pas attendre. Quand il y a des enfants mal nourris, ils ne peuvent pas attendre. Quand on a l’espoir d’aller de l’avant, cela ne peut attendre.
Malgré l’aide massive du système des Nations unies, la pauvreté reste endémique dans notre pays. Comment expliquez-vous cela ?
C’est l’Etat qui a la responsabilité première des populations. Et nous sommes là pour l’accompagner. C’est clair que les difficultés sont multiformes. Il y a des difficultés endogènes et exogènes. Par exemple, la Covid-19 a eu un impact énorme pas seulement sur l’aspect santé, mais aussi sur les aspects de développement socio-économique. Il y a le conflit en Ukraine avec la flambée des prix qui s’est ensuivie. On essaie certes de promouvoir l’économie locale, mais il y a des produits qui doivent venir de l’extérieur, notamment le carburant. Si les prix de ces denrées importées augmentent, ce sera un choc pour l’économie du pays. Mais aussi pour nos opérations qui coûteront plus cher. Ceci est l’aspect exogène. Quant à la dimension endogène, c’est comment assurer le minimum aux Burkinabè dans les zones les plus reculées? Que n’importe quel habitant, là où il est, puisse avoir ce dont il a besoin. Qu’il y ait un pays en paix où la pauvreté n’existe pas et les services sociaux de base fonctionnent bien. Il y a des dynamiques. Et chaque choc, comme nous l’avons dit, doit permettre d’évoluer pour le mieux-être des populations. Il faut donc se préparer à toute éventualité. Quand les prix augmentent, ce n’est pas seulement à cause des dynamiques internes, mais il y a des dynamiques externes. Comment faire pour réduire l’impact de ces chocs pour que les populations puissent penser à leur futur ?
Avez-vous des appréhensions sur l’avenir de ce pays ?
Je dis qu’il faut œuvrer pour le mieux. Car, le pays n’a pas besoin de chocs additionnels. Nous devons œuvrer pour cela. Mais il faut être prêt pour faire face à toute éventualité. Encore une fois, je ne souhaite que le mieux pour le pays et nous nous engageons activement pour cela. Nous sommes là pour coopérer et pour soutenir en étant focus sur la Charte des Nations unies : « Nous, les peuples des Nations unies …».
Quel est l’impact de la crise sécuritaire sur vos activités ?
J’ai trois casquettes au Burkina : coordinatrice rrésidente des Nations unies, Coordinatrice humanitaire et je suis aussi en charge des aspects sécuritaires pour le personnel des Nations unies et les opérations onusiennes. Cela signifie que tout le personnel des Nations unies et leurs familles sont sous ma responsabilité. Quand on est dans ce type de difficultés dans le pays, il faut que je sois attentive non seulement à leur sécurité, mais aussi veiller sur leur bien-être. Cependant, nous sommes là pour la population. Nous avons l’obligation de les servir pour un futur meilleur. Il y a des risques mais on a un système qui est mis en place afin de les minimiser. Ce n’est jamais facile. J’ai travaillé dans de nombreux pays en crise. C’est l’une des raisons pour lesquelles, je suis là. Il y a des méthodologies. La plus grande assurance que nous avons, est que les populations comprennent ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Elles comprennent que ce n’est pas pour nous. L’acceptation des communautés à la base est fondamentale. L’acceptation de chaque femme, homme et jeune, est importante. Si nous œuvrons pour que le rêve soit permis, ce sont ces populations qui nous protègeront.
Comment faites-vous pour y remédier ?
Il y a des dispositions techniques qui sont prises et mises en place. Nous sommes en contact avec tous ceux qui doivent écouter et comprendre la situation. Il y a des mesures sécuritaires prises, qui s’adaptent à l’esprit du respect des riverains. C’est important de s’asseoir sous un arbre et de chercher à comprendre les aspirations des gens et essayer de les aider afin qu’eux-mêmes soient les acteurs de leur futur. Il ne faut pas se substituer à l’Etat ni aux gens. Nous ne sommes pas là pour cela. Nous sommes là afin de donner des chances aux gens d’aller de l’avant et contribuer à élargir l’éventail des opportunités. Et c’est très important encore une fois, la question de la résilience. La solidarité est quelque chose de touchant et sur laquelle il faut bâtir. Les Nations unies ne sont pas là pour se substituer à qui que ce soit. Nous ne sommes pas là pour remplacer quoi que ce soit, ni pour imposer des idées. Nous pouvons dire : « Attention, dans cette situation X, on avait essayé Y et cela a fonctionné ». Mais après, permettez-moi l’expression, il faut burkinabiser cette idée. Est-ce que cette solution est adaptée à la situation actuelle ou bien faut-il y apporter d’autres changements ? Nous sommes une organisation globale. C’est donc notre rôle de rappeler aux autorités, les engagements internationaux afin d’œuvrer pour qu’elles puissent les respecter. Nous sommes là pour œuvrer pour que les populations s’épanouissent et puissent avoir la force de mieux bâtir leur futur.
Du haut de votre expérience de travail en milieu difficile, si vous aviez un message à adresser au peuple burkinabè, quel serait-il ?
Soyez fiers d’être Burkinabè. Continuez à œuvrer pour la paix. Nous savons que ce n’est pas facile mais je sais que c’est possible.
Propos recueillis et retranscrits par Boureima KINDO
Qui est Mme Barbara Manzi ?
« Le Secrétaire général des Nations unies, M. Antonio Guterres, a nommé Mme Barbara Manzi, de l’Italie, au poste de Coordonnatrice résidente des Nations unies au Burkina Faso, avec l’approbation du gouvernement du pays hôte. Mme Manzi assumera également les fonctions de coordinatrice de l’action humanitaire. Mme Manzi a acquis une longue expérience au sein de l’ONU dans le domaine du développement et dans des contextes d’interventions complexes, en se consacrant principalement à la planification et à la fourniture de services aux populations. Dans le cadre de ses affectations les plus récentes au sein de l’Organisation, elle a servi comme Coordonnatrice résidente à Djibouti après avoir occupé d’autres postes de direction, notamment celui de cheffe du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en Ukraine, en Irak, au Myanmar et au Sri Lanka. Elle a également travaillé pour l’Organisation dans la région de l’Afrique australe ainsi qu’en Angola, en République centrafricaine, en Ethiopie et en Haïti. Avant de rejoindre les Nations unies, Mme Manzi a travaillé dans le secteur privé et collaboré avec des Organisations non gouvernementales, des centres d’études et d’analyses et des universités sur des initiatives portant sur les questions de développement, de gestion des catastrophes et de reconstruction, ainsi que de consolidation de la paix. Elle est titulaire d’un master en reconstruction après un conflit et études du développement de l’Université de York, au Royaume-Uni, ainsi que d’un master en architecture de l’Universita’ degli Studi di Firenze (Université de Florence), en Italie ».
Source : service de communication de la coordinatrice résidente