HomeA la uneBUHARI CONTRE LA LIBERTE PROVISOIRE D’UN DETENU DE LUXE : Le Général a heurté la Justice, mais…

BUHARI CONTRE LA LIBERTE PROVISOIRE D’UN DETENU DE LUXE : Le Général a heurté la Justice, mais…


 

Le président nigérian, Muhamadu Buhari, lors d’un débat télévisé le 31 décembre 2015, a refusé d’exécuter une décision judiciaire accordant la liberté provisoire à Sambo Dasuki, ancien conseiller national à la sécurité, poursuivi pour détournement de fonds. Dans la même veine, il s’oppose à la décision judiciaire portant élargissement d’un ex-leader de l’ancien mouvement séparatiste au Biafra. C’est dire que le président nigérian a décidé de défier les décisions des instances judiciaires. Comme il fallait s’y attendre, cette sortie a suscité un tollé, notamment dans les rangs de l’ex-parti au pouvoir, le parti de Goodluck Jonathan. Le président Buhari, suite à cette sortie médiatique, est accusé de tyrannie par bien de ses contempteurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les propos de Buhari remettent en cause deux principes sacrés de l’Etat de droit : l’indépendance de la Justice et, dans le cas de Sambo Dasuki, non encore jugé, la présomption d’innocence. En effet, dans un  Etat de droit, toute décision de justice doit être exécutée. L’Exécutif n’a pas à trier les décisions à exécuter et celles à bloquer. Les juges doivent prendre leurs décisions selon les règles de droit, sans pression et sans crainte que leur verdict soit remis en cause. Cette prise de position du chef de l’Etat nigérian peut pousser les juges à s’autocensurer, à orienter leurs décisions dans un sens ou dans un autre, pour éviter d’essuyer les foudres du président de la République. C’est donc une façon d’entraver le travail, en toute âme et conscience, des juges. Mieux, dans un contexte où les populations sont crédules face à certaines décisions judiciaires et font preuve d’hostilité vis-à-vis de bien des juges, une telle sortie pourrait accroître leurs actes de défiance en ce sens qu’elle remet en cause l’autorité des juridictions concernées. Le mis en cause, Sambo Dasuki, n’étant pas encore jugé, encore moins condamné, il devrait pouvoir bénéficer de la présomption d’innocence. Ce refus présidentiel de lui faire bénéficier d’une liberté provisoire sonne déjà comme une condamnation.

Il appartient aux acteurs de la Justice nigériane de faire leur introspection

Ce d’autant que Buhari est soupçonné de vouloir prendre sa revanche sur Sambo Dasuki, qui avait participé au putsch l’ayant renversé lors de son premier passage au sommet de l’Etat nigérian. En tout cas, ce refus de liberté provisoire laisse croire qu’il est coupable avant même d’avoir été jugé. Ce qui est fort déplorable. L’Exécutif nigérian aurait pu exécuter la décision tout en prenant soin de ne pas laisser l’ancien conseiller national à la sécurité, sortir du pays. La Justice, faut-il le rappeler, est un maillon essentiel de l’Etat de droit. Il importe que ses décisions fassent autorité. Il y va de sa respectabilité et de la paix sociale. On peut donc s’inquiéter que cette sortie fragilise les acteurs de la Justice nigériane, et par ricochet, les institutions de la République tout entière. Toujours est-il que le président Buhari a pris le risque de se mettre à dos les acteurs de la Justice de son pays, notamment les juges, mais aussi les organisations nationales et internationales de promotion et de défense de l’Etat de droit et des droits de l’Homme. Par principe, il n’avait pas besoin de faire une telle déclaration. Le Général a donc heurté la Justice, mais sa sortie a le mérite de mettre le doigt sur la plaie. Car dans le contexte actuel du Nigeria, caractérisé par une rude bataille pour que l’Etat reste sur pied face au groupe terroriste Boko Haram, bien des Nigérians ne pourraient pas se faire à l’idée d’accorder une liberté provisoire à quelqu’un qui est accusé d’avoir détourné l’argent devant servir à la lutte contre cette nébuleuse. Au regard du degré élevé de déliquescence de l’Etat nigérian sous Goodluck Jonathan, qui a été pitoyablement impuissant face au monstre Boko Haram, on peut bien comprendre la colère des uns et des autres contre ceux qui sont censés avoir sabordé cette lutte. C’est dire que les accusations qui pèsent sur Sambo Dasuki sont extrêmement graves. Dans le cas d’espèce, c’est la sureté voire l’existence même de l’Etat nigérian dans ses frontières actuelles qui est en jeu. Sous cet angle, on peut comprendre l’attitude de  Buhari qui a, du reste, fait de la lutte contre la corruption et Boko Haram son cheval de bataille. Il est certainement convaincu que « seule la fin justifie les moyens ». Il inscrit certainement cette décision dans le cadre de la traque de la corruption qui a confortablement installé ses pénates dans le pays, surtout à la faveur du règne de Goodluck Jonathan. Il y a, au Nigeria comme dans bien d’autres pays et peut-être même plus grave, un déficit de confiance entre les populations et les institutions judiciaires. Sans le dire, Buhari entend faire comprendre que, pour lui, la Justice nigériane est, à l’instar du reste de l’administration du pays héritée de l’ère Goodluck, gangrenée par la corruption. D’où cette volonté de barrer la route aux brebis galeuses au sein de la Justice. Il appartient maintenant aux acteurs de la Justice nigériane, surtout aux juges, au-delà de leur protestation légitime contre ce refus d’exécuter une décision de Justice par l’Exécutif, de faire aussi leur introspection véritable. Chacun à son niveau devra œuvrer à lever les soupçons de corruption, à mériter la confiance des citoyens et à rendre des décisions qui ont pour seul fondement la loi, au sens large du terme. Dans la forme, Buhari a eu le tort d’être sincère. D’autres gouvernants agissent en sous-main, en pareille circonstance. Buhari a donc le mérite de ne pas faire dans l’hypocrisie.

Relwendé A. SAWADOGO


No Comments

Leave A Comment