BURUNDI : A combien Agathon Rwasa a-t-il été acheté ?
C’est un coup de massue que l’opposant burundais, Agathon Rwasa, a asséné à ses camarades de l’opposition et aux démocrates du continent africain et par-delà, du monde entier, en décidant, contre toute attente, d’aller occuper à l’Assemblée son siège de député qu’on lui avait octroyé malgré son retrait des élections législatives dont il avait lui-même qualifié le processus de « fantaisiste », il y a à peine 4 jours. Ce retournement spectaculaire de veste de cet opposant emblématique à Pierre Nkurunziza, suscite des interrogations.
Agathon Rwasa n’a pas résisté à l’appât du gain
La 1re hypothèse et de loin la plus partagée par une opinion africaine accoutumée à la versatilité de ses opposants politiques, est que Agathon Rwasa n’a pas résisté à l’appât du gain. Pour légitimer un mandat qui s’annonçait difficile, Nkurunziza a mis le prix qu’il fallait. L’argent aura donc eu raison de l’engagement de l’opposant dont la résistance a été sans nul doute mise à rude épreuve par l’asphyxie financière à laquelle l’opposition était soumise et ce, dans le contexte économique national devenu difficile du fait de la crise. Au gain financier viendront sans doute s’ajouter des portefeuilles dans le prochain gouvernement, et aussi la libération de ses militants emprisonnés. L’argent et le pouvoir ont enivré Agathon Rwasa qui a fini par perdre toute lucidité. Ce faisant, il achève de convaincre qu’en Afrique, la politique n’est qu’un
marchepied vers les richesses et que les convictions politiques n’ont que la durée de vie des éphémères.
La 2e hypothèse est qu’Agathon Rwasa a les doigts entre les dents de Nkurunziza. En effet, tous les deux sont issus de la rébellion hutu au Burundi. Ce passé trouble dans le maquis, n’est pas exempt de quelques actes odieux que Nkurunziza qui tient les rênes du pouvoir, est capable d’utiliser pour créer à son opposant des ennuis judiciaires. Le scénario n’est pas inédit dans cette partie de l’Afrique où le secret des forêts abritant les rébellions, couvre d’abominables massacres. Aux moments forts de la crise, le satrape de Bujumbura a d’ailleurs souvent menacé son opposant de faire lever l’amnistie dont il bénéficie depuis les Accords d’Arusha.
Quelles qu’en soient les motivations, ce revirement ne peut être autrement interprété qu’une haute trahison faite à l’opposition et au peuple burundais, et Agathon Rwasa s’illustre négativement en s’inscrivant dans la lignée de ces opposants qui ont rendu orphelin leur peuple, en sabordant leurs luttes démocratiques pour aller à la soupe. Agathon Rwasa ressemble, à tout point de vue, à Gilchrist Olympio du Togo. Il a planté le glaive de la trahison dans le dos de l’opposition.
Au-delà de cette trahison, il s’est rendu désormais comptable aussi de l’hécatombe burundaise, pour avoir envoyé à l’abattoir ses militants sur l’autel de ses intérêts personnels. Ses mains dégoulinent du sang de 80 macchabées tombés sur les champs de bataille. Et c’est en cela qu’il est disqualifié pour avancer l’argument du salut de son pays pour aller au Parlement.
Rwasa payera tôt ou tard sa compromission au prix fort
Agathon Rwasa rend surtout enfin un mauvais service à toutes les oppositions de la région des Grands Lacs en lutte contre les velléités de tripatouillages constitutionnels des dictateurs qui, comme au Rwanda et dans les deux Congo, suivaient le cas burundais comme un cas d’école.
Quant aux résultats de cette lugubre manœuvre Rwasa-Nkurunziza, elle n’apaisera ni la situation politique ni la situation sécuritaire au Burundi car, avec la rébellion qui s’est ouverte, le débat politique glisse inéluctablement vers des théâtres d’opérations militaires. Elle ne sera pas plus bénéfique pour Rwasa qui se fera utiliser par Nkurunziza comme un cheval de Troie pour affaiblir l’opposition burundaise, avant de se faire rejeter comme une mouche tombée dans la soupe. Il se fera « rouler dans la farine » pour paraphraser l’autre. Pire, il s’expose non seulement à l’ire de son propre peuple et de la rébellion pour laquelle il devient une cible, mais aussi aux sanctions que la communauté internationale qui ne reconnaît pas la légitimité des élections, viendrait à prendre contre Bujumbura. Rwasa payera donc tôt ou tard sa compromission au prix fort.
Quid maintenant de la lutte de l’opposition après la rupture de ban de Rwasa ? Elle continue de rassurer que la défection du chef de file ne vient pas changer sa volonté de combattre le pouvoir et qu’elle se sent revigorée par le soutien de la communauté internationale. Un avis qui sonne comme un appel à cette communauté à accentuer la pression sur le régime de Bujumbura qui doit être frappé d’ostracisme.
« Le Pays »
NDIKUMANA Richard
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L’Afrique a aussi besoin des opposants solides pour construire une Afrique forte.
31 juillet 2015