CANDIDATURE ANNONCEE DE MARCEL AMON-TANOH
« L’Homme propose, Dieu dispose ». Il s’était résolument employé à ce que Amadou Gon Coulibaly lui succédât à la tête de l’Etat ivoirien, mais le sort en a décidé autrement. « Son fils » rappelé à Allah, que fera à présent le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO) à quelque trois mois de la présidentielle à laquelle il avait si minutieusement préparé son parti RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix)? Se relancera-t-il dans la course pour un troisième mandat au risque de se parjurer, après s’être publiquement engagé à faire valoir ses droits à la retraite et à passer la main à la nouvelle génération ? Ou maintiendra-t-il sa position au risque de conduire la barque du RHDP vers les vagues scélérates des incertitudes ? Comme on le voit, l’équation paraît d’une extrême complexité pour l’actuel locataire du Palais de Cocody. Bien entendu, ses nombreux partisans et sympathisants voient les choses autrement et en plus simple : face à ce qui s’impose au RHDP, comme un cas de force majeure, allusion à la disparition brutale du « Lion » de Korhogo, ADO encore au sommet de l’Etat, reste la meilleure solution pour la Côte d’Ivoire, au-delà du parti. Reste que le natif de Dimbokro a pris de l’âge. Il n’est plus bon pied bon œil. A bientôt quatre-vingts ans, il a pleinement conscience qu’à cet âge et pour le temps qu’il lui reste encore à vivre, le devoir de se consacrer à sa famille, et principalement, comme il l’a lâché lui-même, à ses enfants et à ses petits-enfants, est d’une nécessité absolue. Et puis, la fonction suprême est loin d’être une sinécure. A 78 ans révolus, ADO sait aussi que l’organisme a besoin d’être ménagé. Seulement voilà, la vie réserve parfois bien des imprévus, au point de déjouer nos plans, et de nous imposer certaines décisions. Parmi ces surprises, il y eut la disparition de son dauphin. Mais désormais, ADO devra s’accommoder d’une autre nouvelle, pas non plus très bonne : la candidature déclarée de Marcel Amon-Tanoh, son ex-ministre ivoirien des Affaires étrangères et ancien proche.
L’ancien gouverneur de la BCEAO sait qu’il n’a pas droit à l’erreur
Une candidature dissidente du parti au pouvoir, qu’il n’appréciera certainement guère. Partisan d’une primaire interne, Amon-Tanoh, on s’en souvient, avait officiellement démissionné du gouvernement en mars, après l’annonce par le chef de l’Etat sortant, de porter son choix sur feu Amadou Gon Coulibaly comme dauphin au cours d’une cérémonie qu’il avait choisi de boycotter. Toutes ces vicissitudes de la vie politique, décideront-elles le dirigeant ivoirien à se succéder encore à lui-même d’autant que les appels à un 3e mandat de celui-ci, se multiplient ? C’est fort probable, surtout après la sortie médiatique de Adama Bictogo, Directeur exécutif du RHDP, qui n’a certainement pas parlé en l’air quand il a récemment affirmé sur les ondes de nos confrères de RFI, que le président ADO est « la solution aujourd’hui » et a écarté toute candidature éventuelle en dehors de celle de ADO à la présidentielle de fin octobre 2020. Et pour enfoncer le clou, les députés et sénateurs RHDP, réunis à Abidjan, ont demandé à ADO de ne pas laisser « orpheline » la Côte-d’Ivoire en renonçant au pouvoir. En tous les cas, le parti ne devrait pas manquer d’arguments pour défendre une nouvelle candidature de son champion d’autant que la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une nouvelle Constitution, celle-là même qui autorise aussi l’ancien président ivoirien, Henri Konan Bédié (HKB), du haut de ses 86 ans révolus, à se relancer dans la course à l’échalote. Et puis, ayant mis en garde les deux principaux dinosaures de la scène politique ivoirienne à savoir HKB et Laurent Gbago, qu’il se réservait aussi le droit de faire comme eux, s’ils venaient à se représenter à la présidentielle de 2020, Ouattara ne manquerait pas d’exploiter la décision du Sphinx de Daoukro de se porter à nouveau candidat. C’est dire si la probabilité que le président se résolve à se remettre dans les starting-blocks, n’est pas mince. Sans doute est-ce le moindre mal non seulement pour son parti, mais aussi pour la Côte d’Ivoire. Il n’est donc pas exclu qu’il décide de faire violence sur lui-même, après deux mandats successifs sans aucun doute éprouvants, en répondant favorablement aux nombreux appels des militants et autres sympathisants, à ne pas leur tourner le dos. En tout état de cause, au point où il en est, ADO sait qu’il jouerait gros s’il imposait encore un nouveau successeur au sein d’un parti qui a déjà mal vécu son choix controversé, de Amadou Gon Coulibaly comme dauphin. Encore des frustrations de même nature et le RHDP court le risque de voler en éclats. Une primaire au sein du parti ? Le temps joue, on le sait, contre le RHDP et il n’est pas certain que, dans un tel scénario, ADO s’assure de la fidélité à toute épreuve de celui qui viendrait à être élu au sortir de l’exercice. Ce serait prendre un risque énorme. Et si d’aventure, cette personne élue pour repartir à l’assaut du pouvoir d’Etat, mordait la poussière face à un candidat, et non des moindres, comme HKB, le RHDP le regretterait amèrement. La perte du pouvoir serait alors vécue comme un électrochoc pour le parti, mais aussi pour ADO qui aurait alors raté une occasion d’assurer ses arrières avant de quitter la scène. Il en est conscient, il ne compte pas que des amis…Toujours aux aguets, ses ennemis, et Dieu sait s’il en a, ne manqueront pas de réclamer son scalp, s’ils en ont l’occasion. Autant dire qu’il jouera à fond la carte de la cohésion au sein de son parti pour éviter toute implosion, quitte à redonner de sa personne, de son engagement et de son énergie pour sa survie politique et celle de son parti. Sans doute à son corps défendant, mais surtout sur insistance de sa famille politique qui l’exhorte à solliciter un troisième mandat, il pourrait se voir contraint de se repositionner comme le candidat fédérateur au sein du RHDP, le meilleur choix pour son parti. Certes, il s’élève déjà des voix pour dire qu’un parti ne devrait pas se résumer à une seule personne, que le RHDP ne manque pas de cadres pour défendre ses couleurs au prochain scrutin. Certes, un troisième mandat, dans le contexte général actuel africain, fait très mauvais genre. Mais soucieux de l’unité de son parti ainsi que de la Côte d’Ivoire post-ADO, l’ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sait qu’il n’a pas droit à l’erreur. Et cette interrogation doit constamment l’habiter : que gagne-t-il, lui, et au-delà de sa personne, la Côte d’Ivoire, en renonçant à un troisième mandat ou en décidant du contraire. Le fond de sa pensée sera officiellement connu dans les tout-prochains jours.
« Le Pays »