CENTRE DE LAYE : Une journée avec les mineurs en conflit avec la loi
Les prisons ne sont pas des lieux pour enfants, dit-on, mais que faire lorsque ces derniers sont en conflit avec la loi ? Comment les punir sans que cela ne compromette leur devenir, sans que la société ne s’en émeuve, sans que les victimes ne crient à l’’impunité ou à l’injustice? C’est pour répondre à cette problématique que le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi a été créé en 2004 grâce à des financements de l’Association pénitentiaire africaine (APA), de l’Union européenne et de l’ONG Terre des hommes. Pour mieux découvrir ce centre, ses missions, le quotidien de ses pensionnaires, nous nous y sommes rendu le 17 novembre 2017. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que même si ces enfants ne sont pas libres, eu égard aux règles de vie qu’ils sont tenus d’observer, ils sont loin d’être dans une prison classique. En tout cas, le constat nous permet de dire que le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi est plutôt un centre de formation aux métiers, sinon une « prison dorée », car les enfants qui y sont admis, bénéficient d’éducation civique, de formation, d’appui psychologique, d’activités récréatives, favorisant ainsi leur réinsertion sociale.
Prévu pour 7h30 à moto, notre voyage au Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi a finalement eu lieu à 8h 40 à bord d’un car d’une compagnie de transport de la place. La raison, les risques d’insécurité (braquage, accident de la circulation, panne de moto, etc.). Parti donc de Ouagadougou à 8 h 40 au lieu de 8h 15 comme annoncé par la compagnie de transport, notre car mettra plus de 40 minutes avant d’atteindre le premier poste de contrôle de police à cause des nombreuses déviations dues aux travaux de construction de l’échangeur du nord.
Après le contrôle des pièces d’identité par les agents de police, notre car peut donc poursuivre sereinement son chemin. A l’intérieur du véhicule, l’ambiance est bon enfant car en plus des causeries entre voyageurs, un film d’action dont l’acteur principal est Chuck Norris, tient en haleine les nombreux commerçants qui se rendaient à Ouahigouya pour leurs affaires. A l’entrée de Laye, notre regard est braqué sur les panneaux d’indication car les apprentis qui ont été prévenus de notre descente à la bifurcation de la voie menant au Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi, ne connaissent pas les lieux. Finalement, nous sommes déposés à l’intersection d’une voie non bitumée où il y a de nombreux panneaux, à environ 6 kilomètres après Laye. Après avoir jeté un coup d’œil sur ces panneaux, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas au bon endroit puisqu’il n’y a pas celui du Centre de Laye pour mineur en conflit avec la loi. Nous nons renseignons auprès de jeunes installés au bord de la voie, et c’est là qu’on nous apprend que nous avons dépassé le chemin du centre. Il faut donc rebrousser chemin. Au même moment, un jeune arrive à moto. Nous le sollicitons et il accepte volontiers de nous déposer au centre. Et nous voilà embarqué derrière cet inconnu mais à l’air sympathique, au regard de la qualité de la petite conversation que nous avons eue avec lui. Après environ 10 minutes de route, nous voilà devant le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi. Merci infiniment, lançons-nous à notre bienfaiteur du jour qui a immédiatement rebroussé chemin. Un coup d’œil sur notre montre, nous indique qu’il est 10 h 15 minutes. Malgré les heures écoulées, nous sommes dans le temps car notre rendez-vous avec le directeur du centre, était fixé entre 9h et 10 h. La première chose qui nous frappa, fut l’absence de mur et de clôture. En effet, le centre n’est ni clôturé par un grillage, ni par un mur. On constate qu’il est plutôt délimité par une ceinture verte. Notre premier interlocuteur est Désiré M. P. Yaméogo. Il est psychologue au centre, apprenons-nous plus tard. Il nous conduit chez le directeur du Centre, Issa Traoré. Après quelques minutes d’échanges, le programme de notre visite est établi.
Les différents ateliers du centre
Nous débutons par une visite guidée des ateliers de soudure et de menuiserie qui étaient tous vides car, nous étions vendredi, jour réservé à l’alphabétisation. En effet, selon le maître des lieux, Issa Traoré, les journées du vendredi et mardi sont réservées à l’alphabétisation, celles de lundi et jeudi à la soudure et à la menuiserie, celle du mercredi, à l’éducation civique. De ces deux ateliers, nous sommes allés à l’atelier de mécanique où des enfants apprennent à réparer des motocyclettes et des voitures. Mais nous ne nous sommes pas limités à ces seuls endroits, loin s’en faut. Nous avons aussi fait un tour à l’atelier de couture. Là-bas, les équipements installés, notamment les machines à coudre, attestent de la disponibilité d’outils nécessaires à l’apprentissage de ce métier. Pendant que nous faisions le tour du centre, le chant des oiseaux berçait nos oreilles. On constatait également la présence d’hommes assis à la lisière du site. Leur rôle, c’est la surveillance, nous confie le Directeur à qui nous avons posé la question. En plus de la formation aux métiers, les pensionnaires du centre participent aux travaux du jardin potager d’une superficie d’un hectare, où sont cultivés choux, tomates, concombres, aubergines, etc., pour améliorer la qualité de leurs repas, selon les responsables de la production animale et végétale, Paul. R. Compaoré et Désiré Kalmogo. Toujours dans l’optique d’offrir un repas de qualité aux enfants, le centre fait l’élevage de porcs, de cailles, de bœufs, de moutons, de chèvres, de volaille, etc. L’on a pu, au cours de la visite, voir des œufs de cailles, un porc long de près d’un mètre, une vache qui venait de mettre bas, etc. Le miel y est également produit et vendu, car le centre dispose de ruches kényanes que nous avons aussi visitées. Selon toujours M. Compaoré, en plus de l’apiculture, de l’élevage et de l’agriculture qui permet de cultiver l’arachide, le gombo et le mil en saison pluvieuse, le centre fait également de la sylviculture. Il affirme que c’est grâce d’ailleurs à la sylviculture qu’il dispose d’une ceinture verte. Pour éviter d’être trop dépendant d’autres structures, le centre s’est doté d’un système d’adduction d’eau potable comportant un château d’eau métallique, un moulin à grain ouvert au public, selon le directeur du centre. Cette visite guidée nous a également permis de voir les dortoirs des pensionnaires du Centre.
Une propreté quotidienne
Il s’agit de deux bâtiments de 12 places chacun, soit 24 places pour les filles et de 4 dortoirs d’une capacité de 64 places pour les garçons. Dans ces différents dortoirs, la propreté est de mise. Les affaires de chaque occupant de lit sont soigneusement rangées dans des armoires. La blancheur des moustiquaires saute à l’œil nu, les toilettes internes sont bien entretenues. Cette propreté des dortoirs est également observée dans l’ensemble du Centre au milieu duquel flotte le drapeau national. Frappé par cette propreté que l’on observe rarement dans les lieux publics, nous nous renseignons sur son origine. Est-elle liée à notre présence au Centre ou est-elle quotidienne? « La propreté est quotidienne, le nettoyage du centre se fait chaque jour, à tour de rôle, par des groupes de pensionnaires », nous apprend le directeur. A l’infirmerie du Centre, nous tombons sur l’attaché de santé, Zorom Sayouba, en train d’examiner un garçon. « Notre rôle, c’est d’examiner les nouveaux venus pour s’assurer qu’ils ne souffrent pas de maladie grave. Si c’est le cas, nous les envoyons dans des centres chargés de la prise en charge de leur pathologie afin de les soigner avant qu’ils n’intègrent le groupe», nous révèle-t-il avant d’assurer que l’enfant qu’il vient de consulter, ne souffre pas d’une maladie grave. Après la visite médicale, explique-t-il, des conseils pratiques en matière d’hygiène corporelle, vestimentaire, etc., sont prodigués aux nouveaux occupants du Centre. Cela leur permettra d’éviter certaines maladies, justifie-t-il. Les pathologies courantes sont, entre autres, énumère l’attaché de santé, le paludisme, la conjonctivite et les maladies de la peau. Un élément qui a aussi attiré notre attention, est la discipline. En effet, lorsque nous sommes arrivés au niveau des deux classes où les enfants suivent les cours d’alphabétisation, l’ensemble des élèves s’est mis debout pour nous souhaiter la bienvenue. Comme pour tester le niveau de discipline de ces élèves, le directeur saisit un fouet et invita deux volontaires à se présenter. Et contre toute attente, un garçon, l’air souriant, se présenta. Le directeur lui dit de se mettre à genoux. Il s’exécute pour donner son dos à fouetter. « Ha!, même pour vous fouetter, il y a un volontaire » ? s’exclame l’air amusé Issa Traoré qui invite l’enfant à regagner sa place. Après ce bref moment de plaisanterie, les échanges peuvent donc débuter avec les responsables chargés de l’éducation et de la formation des mineurs. La première à se jeter à l’eau est l’attachée d’éducation spécialisée, chargée de la formation et des affaires sociales, Florence Palm. D’un ton calme et respectueux, elle nous explique que les activités d’alphabétisation et de formation des différents ateliers, sont coordonnées par le service de l’éducation, de la formation et des affaires sociales dont elle a la charge. Ce service est également chargé de la programmation et de la mise en œuvre des activités éducatives du centre. A l’en croire, en plus des ateliers de soudure, de menuiserie, de mécanique, d’électricité et de couture, il y a la saponification et le batik. Chaque enfant choisit le domaine qui lui convient après avoir fait le tour des différents ateliers car l’objectif, c’est le changement de comportement, faire en sorte que tout enfant qui entre au Centre, en ressorte avec des bagages lui permettant de s’installer à son propre compte ou de se faire employer. Pour ce faire, des évaluations sont faites à travers des devoirs et si les résultats d’un enfant sont excellents, il est encouragé. Mais s’il y a des difficultés, les formateurs et/ou le psychologue viennent à son aide. « S’il y a un enfant à qui on doit tirer les oreilles pour le ramener sur le droit chemin, nous le faisons », soutient-elle. Pour elle, un an et demi ou deux ans, sont suffisants pour le changement de comportement et pour l’apprentissage d’un métier. Et lorsque le constat est établi que les résultats d’un enfant sont excellents à tous les niveaux, c’est-à-dire en termes de comportement et d’apprentissage, on prépare sa sortie pour qu’il aille approfondir ses connaissances auprès de sa famille chez un maître de métier. Mais le Centre continue à le suivre. Et si le stage est concluant, le Centre lui offre un kit pour qu’il puisse voler de ses propres ailes en réalisant son projet, élaboré avec l’appui des parents et des travailleurs sociaux. Une fois installé, le Centre lui offre toujours l’encadrement et un support alimentaire. Abordant le volet alphabétisation, Mme Palm dira que tous les enfants reçus au Centre s’inscrivent soit en mooré soit en dioula. Et au cours de l’année, des évaluations sont faites. Une première pour permettre aux alphabétisés de passer en classe supérieure.
Un taux de succès de 100% aux examens
« Dans cette classe qu’on appelle Formation complémentaire de base (FCB), l’enfant passe un examen national organisé par la Direction provinciale de l’Education nationale et de l’alphabétisation (DPENA) de Boussé et les enfants du Centre obtiennent généralement un taux de succès de 100% », se réjouit-elle. Le FCB ainsi obtenu permet au lauréat de postuler à des concours ou de mieux mener certaines activités. Et de déclarer avec fierté que certains de leurs élèves sont recrutés par des associations, pour former d’autres personnes. Pour donner plus de détails sur le contenu de l’alphabétisation, Mme Palm indique qu’elle permet aux enfants d’apprendre à calculer et à mesurer. Toute chose qui, à son avis, facilite la formation au niveau des ateliers. Elle explique que les enfants sont également repêchés à partir du niveau où ils ont abandonné les classes, si bien que le Centre présente chaque année des candidats au Certificat d’études primaires (CEP). Des candidats sont également présentés chaque année au Certificat de qualification professionnelle (CQP) en électricité et bâtiment à Ziniaré qui abrite le Centre de formation professionnelle de référence. Elle soutient qu’en plus de ces examens, certains élèves, après le Certificat, poursuivent leurs études en classe de 6e. C’est d’ailleurs le cas d’un élève qui poursuit ses études en classe de 4e au lycée de Laye. Les coûts de toutes ces formations y compris ceux de l’alimentation, sont assurés par le Centre, d’après Mme Palm. Et sa collègue, Mariam P. Sogoba, attachée d’éducation spécialisée chargée de l’éducation spécialisée, d’ajouter que même le suivi psycho-éducatif des enfants est assuré gratuitement par le Centre. De même que l’éducation civique et morale qui permet d’inculquer des valeurs morales aux enfants. Avant de mettre un terme aux échanges avec les différents responsables des unités de formation et de production du Centre, on s’aperçoit que le soleil est au zénith.
Il est l’heure du repas. Nous observons des va-et-vient de filles transportant des plats de nourriture, de la cuisine vers les salles à manger. L’ambiance est bon enfant. Le repas est servi et chacun mange dans la discipline. Le déjeuner du jour est l’un des plats préférés des jeunes, le riz gras, nous informe le chef de cantine, Paul Compaoré. Selon ce dernier, il y a un programme de semaine pour le repas. A titre d’exemple, c’est la bouillie qui est servie comme petit déjeuner le lundi, mercredi, vendredi et dimanche. Celui servi le mardi, jeudi et samedi est le café au lait. Toujours est-il que chaque enfant a droit à trois repas par jour. Et parmi les repas servis, il y a le riz, le tô, le haricot, les spaghettis, etc., nous explique le chef de cantine. Si tout est mis en œuvre pour que les enfants mangent, dorment et soient bien encadrés, qu’en est-il pour leur sécurité? Y a-t-il des fugues? Difficile d’arracher des réponses à ces questions. « Vu le contexte sécuritaire, vous me permettrez de ne pas donner de détails », nous lance le contrôleur de la garde de sécurité pénitentiaire, Julien Ouédraogo, chef de sécurité. Néanmoins, il tente d’apporter quelques éléments de réponse.
Les objets interdits au centre
« Lorsqu’un enfant est reçu, il est immédiatement contrôlé afin de s’assurer qu’il ne détient pas par devers lui, un objet interdit par le règlement du Centre. Au titre des objets interdits, il y a la drogue, la cigarette, le couteau, la lame, le poignard et tout objet tranchant ou pointu», dit le chef de sécurité. Il précise que les films pornographiques, violents, sont également interdits aux enfants. Mais ils ont droit aux informations relatives à l’actualité et à certaines séries, à divers jeux de société dont celui de dame. Le sport fait également partie des activités de loisirs, mentionne-t-il. Pour contrôler les mouvements de chaque pensionnaire du centre, un dispositif sécuritaire est mis en place avec un poste de surveillance, explique le contrôleur Ouédraogo. Mais étant donné que le Centre n’est pas clôturé, il arrive que des enfants réussissent à tromper la vigilance des agents de sécurité en s’enfuyant. Mais le nombre de fugues est limité, rassure-t-il. La moyenne de fugues est de 10 à 15 par an, mais avec la collaboration des parents, les auteurs sont ramenés, révèle le contrôleur de la garde de sécurité pénitentiaire qui, pour des questions de sécurité, s’est gardé de donner le nombre d’agents de sécurité dont dispose le Centre. Toutefois, il reconnaît que l’augmentation du nombre de ceux-ci, pourrait être bénéfique. Et ce n’est pas le directeur du Centre qui a révélé que le taux d’enfants en fugue en 2015, était de 7%, qui dira le contraire. Selon ce dernier, le centre a dû recruter d’autres agents de sécurité pour renforcer le nombre de ceux affectés, dans le cadre d’une convention avec le Centre à travers le ministère de la Justice, des droits humains et de la promotion civique. Mais pourquoi le Centre n’est-il pas clôturé? « C’est une politique voulue par ceux qui ont créé le Centre de ne pas mettre de mur pour éviter de mettre des cloisons au niveau de la prise en charge psycho-éducative des mineurs », nous confie le premier responsable du Centre. Pour lui, c’est un choix pour lequel le centre a opté et il doit l’assumer avec toutes les difficultés qui en découlent. Ouvert d’abord aux garçons en 2004, puis aux filles en 2009, le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi occupe une superficie de 15 hectares avec une capacité d’accueil de 88 places. Mais il héberge actuellement 69 mineurs soit 8 filles et 61 garçons, d’après le directeur Traoré. Il explique que la mission du Centre est de favoriser une réinsertion sociale effective du mineur en conflit avec la loi, en lui garantissant un parcours éducatif individualisé. De son point de vue, ce lieu contribue à offrir aux juges et aux juridictions pour mineurs, une gamme plus élargie de mesures éducatives alternatives à la détention pour mineurs en conflit avec la loi. C’est-à-dire, des mineurs qui font l’objet de poursuites pénales devant les juridictions du Burkina Faso ou ceux qui font déjà l’objet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme. L’une des particularités du Centre de Laye, soutient son directeur, est qu’il est le seul dans la sous-région, à héberger sur le même site des mineurs des deux sexes âgés de 13 à 18 ans. Mais de quelles juridictions viennent les mineurs? A cette question, M. Traoré répond sans ambages que le Centre reçoit des mineurs en provenance d’au moins 22 des 25 tribunaux que compte le Burkina Faso. Ouagadougou en envoie plus, au regard de sa proximité avec le Centre, révèle-t-il. Même s’il reste beaucoup à faire pour atteindre les objectifs escomptés, M. Traoré se réjouit des efforts déployés par la trentaine de personnes dont dispose le Centre et par les partenaires et amis au rang desquels l’UNICEF, l’Etat burkinabè, notamment le ministère en charge de la Justice dont la confiance placée au Centre, lui permet d’assumer pleinement ses responsabilités et de réaliser des résultats probants, selon ses propres termes. De son ouverture à ce jour, le Centre, dira son directeur, a reçu plus de 500 enfants parmi lesquels plus de 300 sont sortis légalement, avec des projets individuels de réinsertion sociale. Parmi les 200 restants, une centaine est encore au Centre. Certains ont été remis aux juges parce qu’ils ne veulent pas y rester, a tenu à préciser le directeur Issa Traoré. Et de noter que plus de 100 millions de F CFA sont dépensés chaque année pour la prise en charge des mineurs et le fonctionnement du Centre. Il s’est, du reste, félicité du comportement de ces derniers au regard de leur passé, car, renchérit-il, ils n’ont pas le pire comportement qu’un enfant de leur âge devrait avoir dans un internat normal.
Aucun cas de grossesse enregistré
Justement, parlant de comportement, le psychologue du centre, Dr Désiré M. P. Yaméogo, révèle que bien que les filles vivent ensemble avec des garçons, aucun cas de grossesse n’a été enregistré jusque-là au Centre. De même, aucun cas de suicide n’a été déploré. Certes, tempère Dr Yaméogo, certains enfants peuvent être dans un cas dépressif, mais cela n’a jamais poussé un enfant au pire, car ils bénéficient tous d’un accompagnement psychologique et même de traitement, lorsque cela est nécessaire. Cet accompagnement moral, les mineurs le louent à plus d’un titre. « Quand je suis arrivé ici le 16 mars 2017, je voulais m’enfuir mais avec les conseils et le climat qui règnent au Centre, j’ai abandonné ce projet. Tout ce que je désire maintenant, c’est de bien travailler et puis sortir avec un projet pour m’installer à mon propre compte», soutient un mineur que nous avons nommé Léonard Ahoukouri. Cela, afin d’éviter de révéler sa vraie identité pour des questions de sécurité et d’éthique. Il en est de même pour tous les autres mineurs du Centre avec lesquels nous avons échangé. Originaire de Léo et âgé de 18 ans, ce garçon dit avoir été envoyé au centre pour vol. Elève en classe de 3e au moment des faits, le jeune Léonard dit regretter son acte et promet de se racheter après son séjour au Centre. Inscrit au départ dans la section couture, il a, au regard de son niveau, décidé d’associer la filière électricité. Son objectif c’est de pouvoir, après sa sortie du Centre, poursuivre des études dans ce domaine afin d’avoir plus de bagages pour ouvrir son propre atelier. Et pour y arriver, il dit travailler avec ardeur et abnégation. Concernant les conditions de son séjour, il les qualifie d’excellentes car rien, assure-t-il, ne lui manque. « Je vis ici comme si j’étais à la maison », indique-t-il l’air souriant. Sa petite expérience au Centre, a changé sa façon de voir les choses. Si bien qu’il conseille aux autres mineurs d’éviter de poser des actes qu’ils pourraient regretter plus tard. « Dans la vie, il ne faut pas tout prendre à la légère ni céder à la facilité. Il faut plutôt suivre les conseils des parents et travailler ardemment à l’école car c’est le meilleur chemin pour éviter des actes répréhensibles », lance-t-il aux autres mineurs. Léonard Ahoukouri n’est pas le seul mineur à être envoyé au Centre pour vol. Monique Kouénou, originaire de la province de la Kossi, y est aussi envoyée pour le même mobile. « Je faisais des bêtises, je ne dormais pas à la maison, je n’écoutais pas mes parents, je volais, etc., » révèle-t-elle avec un air de regret. Agée de 15 ans, Mlle Kouénou dit totaliser un an et un mois au Centre. Vêtue d’un pantalon jean et d’un tee-shirt, le visage bien maquillé, Mlle Kouénou soutient que son séjour au centre se passe bien parce qu’elle y apprend beaucoup de choses en couture et en batik. « Je sais aussi désormais comment respecter les parents, comment vivre en harmonie dans la société et quand je sortirai d’ici, je mettrai tout cela en pratique », promet-elle. Et de conseiller aux jeunes de son âge de bien se comporter car le plus important pour un être humain, ce n’est pas le plaisir du présent, mais le futur. Quant à sa camarade Poko Yabré, elle dit aussi mener un séjour agréable au Centre où elle a été envoyée par le Tribunal pour mineur de Ouagadougou. Tout comme sa camarade Kouénou, Poko Yabré regrette les écarts de comportement qui lui ont valu d’être conduite au Centre. A l’en croire, elle travaillait dans un maquis à Ouagadougou et c’est sur son lieu de travail qu’elle a été accusée de vol, raconte-t-elle, avec amertume. Coiffée d’un bonnet et d’un body sombre, Poko Yabré est âgée de 18 ans et a déjà fait 2 ans au Centre. Elle est inscrite dans la section couture et elle dit être engagée à travailler dur afin qu’à son départ dudit Centre, elle puisse réaliser ses projets.
Fonder un foyer avec un homme de son choix
« Une fois dehors, je m’installerai à mon propre compte ». En plus de ce projet, Mlle Yabré en a un autre et pas des moindres que beaucoup de jeunes filles de son âge rêvent de réaliser un jour, à savoir fonder un foyer avec un homme de son choix. Elle dit n’avoir pas pour l’instant un copain mais son désir, c’est de rencontrer l’âme sœur une fois son séjour terminé au Centre. Et pour ce faire, elle promet d’abandonner ses veilles habitudes et de n’avoir que la sagesse comme guide. Et elle a foi qu’elle y parviendra car, dit-elle, « les conseils qu’on nous donne ici me permettront de mener une nouvelle vie ». Même s’il n’est pas un purgatoire pour enfants, le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi y ressemble, à en juger par les propos de ses pensionnaires. Selon Ahmed Asssane, en plus de l’alphabétisation et de la formation en électricité, il bénéficie de précieux conseils dont la mise en pratique lui sera très utile dans la vie. Il dit être conduit au Centre pour une infraction qu’il juge grave. « J’ai eu une bagarre avec quelqu’un et la personne est morte suite au coup de bâton que je lui ai asséné », se souvient-t-il avec tristesse. Et de promettre un comportement exemplaire, une fois sorti du Centre. « Si je sors d’ici, je ne vais plus suivre les mauvais conseils de certains camarades. J’aurai comme fidèle compagne la discipline », promet-il. Quant aux conditions dans lesquelles il vit au Centre, Ahmed Assane les trouve excellentes. « Depuis que je suis admis au Centre il y a de cela un an, je me sens très bien et j’en suis heureux », renchérit ce garçon de 17 ans. Tout en remerciant les responsables du Centre, les juges qui ont décidé de son envoi au Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi ainsi que ses parents, le jeune Ahmed Assane conseille aux jeunes de son âge d’être disciplinés et de rester à l’écoute de leurs parents. Originaire de la localité de Gorom-Gorom, il estime avoir beaucoup appris au Centre et est désormais bien outillé pour réussir sa vie. « J’ai appris de nouvelles choses que j’ignorais, y compris comment vivre avec son ennemi », raconte-t-il avec fierté. Si tous ne sont pas envoyés au Centre pour le même mobile, tous disent regretter leurs actes. Et Kouka Domdassé, originaire de Ouagadougou, ne déroge pas à la règle. Se prononçant sur les raisons qui l’ont conduit au Centre, ce garçon de 18 ans dira qu’il a été pris par la police en possession de la drogue qu’il consommait. Et c’est après avoir été conduit devant un juge pour mineur que ce dernier a décidé de le placer au centre de Laye pour mineurs en confit avec la loi. Depuis qu’il y est, il estime avoir changé de comportement parce qu’il s’est rendu compte, selon ses propres mots, qu’il s’adonnait à de mauvaises pratiques. Il juge son séjour au Centre agréable car il dit bénéficier de l’attention du personnel, d’où sa reconnaissance à l’endroit de celui-ci. « Dès les premiers jours de mon arrivée, je voulais opérer une fugue et cela était bien possible parce que le Centre n’est pas clôturé. Mais grâce aux conseils du personnel, j’ai trouvé qu’il valait mieux que j’y reste », révèle-t-il. Son souhait, c’est de pouvoir poursuivre la formation en électricité au centre technique de Ziniaré. « Après cette formation, je chercherai à me faire embaucher à la SONABEL (ndlr : société nationale burkinabè d’électricité) car mon vœu, c’est de fonder une famille et de disposer de mes propres moyens pour la prendre en charge afin que mes enfants ne manquent de rien». Même s’il n’est pas encore en fin de séjour au Centre, Kouka Dombassé se sent déjà mûr pour donner des conseils aux jeunes de son âge. « Je veux que les mineurs sachent que les actes de délinquance n’apportent que des ennuis. Je leur conseille de se consacrer davantage aux études car le succès s’obtient au bout des efforts », indique ce jeune garçon. Si Kouka Domdassé trouve que le Centre l’aide beaucoup sur le plan psycho-éducatif, Mogokadi Fofana ne dira pas le contraire. Loin s’en faut. Admis au Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi en août 2015, ce dernier se réjouit de l’existence dudit Centre. Cela, parce qu’il lui a permis d’échapper à la prison, pour avoir participé au saccage de la résidence de l’ex-président Blaise Compaoré à Bobo-Dioulasso, mais mieux, de bénéficier d’une formation qui lui permettra de voler de ses propres ailes. En effet, en plus de la couture, il s’exerce également au batik et suit les cours d’alphabétisation en dioula. Mais un autre rêve qu’il caresse depuis son arrivée au Centre, est celui de devenir footballeur professionnel. A son avis, l’apprentissage de plusieurs métiers n’a qu’un seul but, réussir à se prendre en charge soi-même, après son passage au Centre. A 17 ans, ce garçon promet de travailler dur afin de prouver aux responsables du Centre, aux juges et à ses parents, qu’il n’est plus un vandale.
Le chemin de la rédemption
D’ailleurs, il dit avoir déjà pris le chemin de la rédemption et promet, à cet effet, de mettre fin aux mauvaises fréquentations dès qu’il mettra les pieds hors du Centre. Résumant sa journée, il explique que l’heure du réveil pour les pensionnaires du Centre est fixée à 5h 45 du matin et celle du coucher à 21 h. Programme confirmé par le chef de sécurité, l’officier Julien Ouédraogo. Le sport préféré de Mogokadi, c’est bien entendu le football et il affirme en pratiquer régulièrement. Quant à ses plats préférés, on retient le riz et les spaghettis. « Si on pouvait mettre l’accent sur ces plats, cela me ferait plaisir», lance le jeune Fofana d’un air plaisant. Si le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi vise à garantir aux enfants un cursus éducatif dont le but est d’assurer leur réinsertion sociale, il se présente aux yeux des juges comme « une alternative à la prison ». (voir encadré)
Dabadi ZOUMBARA
DJENEBA SAWADOGO/ OUEDRAOGO, JUGE DES ENFANTS A OUAGADOUGOU
« Nous privilégions les mesures éducatives à la répression»
Pour savoir pourquoi les juges envoient les enfants au Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi, s’il y a un suivi des pensionnaires dudit Centre par la Justice, l’appréciation que les Hommes de loi font de ce Centre, nous avons rencontré, le 13 décembre dernier à Ouagadougou, le juge des enfants, Djénéba Sawadogo/Ouédraogo. Sans langue de bois, elle nous apporte, à travers ces lignes, des éléments de réponse à nos différentes questions, tout en félicitant et encourageant le Centre parce qu’elle estime qu’il produit de bons résultats.
« Le Pays » : Qu’est-ce qu’un mineur en conflit avec la loi ?
Juge Djénéba Sawadogo: Un mineur en conflit avec la loi, c’est un enfant soupçonné, accusé ou reconnu coupable d’infraction à la loi pénale.
Sur quelle base un juge décide-t-il de l’envoi d’un mineur dans le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi ?
Il faut dire que lorsqu’un enfant est en conflit avec la loi et que nous recevons le dossier, il y a une enquête sociale qui est menée et les résultats qui en découlent joints au dossier, nous donnent des informations par rapport aux conditions matérielles et morales de vie de l’enfant. Et lorsque nous nous rendons compte que le cadre familial dans lequel vit l’enfant n’existe pas, ou que ce cadre a des soucis, c’est-à dire que moralement ou matériellement, les parents n’arrivent plus à entretenir l’enfant et qu’ils ont du mal à l’éduquer, nous estimons que ces conditions de vie ont pu être la raison qui a amené l’enfant à commettre l’infraction. Et sur cette base, nous l’amenons au Centre pour être rééduqué, parce que la Justice pour mineur a plutôt pour effet de réparer, restaurer l’enfant et de le réinsérer plutôt que d’être trop répressive comme pour les majeurs. De ce fait, nous, nous privilégions l’éducation, les mesures éducatives à la répression. Bien sûr, quelquefois, nous réprimons, nous donnons des peines d’emprisonnement ferme.
Y a-t-il un suivi des pensionnaires du Centre par la Justice?
Bien sûr ! Lorsque nous envoyons des enfants au Centre, nous précisons dans nos décisions qu’il faut faire chaque fois un rapport s’il y a de nouveaux faits. Et depuis un certain temps, le Centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi a instauré ce qu’on appelle la journée communautaire, qui se passe chaque année. Et lors de cette journée communautaire, nous avons droit à des prestations de ces enfants, aux résultats qu’ils ont pu engranger par rapport à leur formation, leur cursus scolaire parce qu’il y a d’autres enfants qui avaient commencé l’école classique et qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas pu continuer et qui se sont retrouvés entre les filets de la Justice. Ces enfants-là vont reprendre l’école au niveau du Centre. Ceux-là qui n’ont pas pu être scolarisés, vont faire l’alphabétisation et recevoir une formation professionnelle. Lors de cette journée communautaire, en plus des résultats qui nous sont présentés, nous échangeons avec ces enfants pour savoir ce qu’il faut changer, comment se passe le séjour là-bas, etc. A la fin du placement, il y a ce qu’ils appellent le programme de réinsertion sociale qui est fait pour accompagner l’enfant dans son installation. Une copie de ce projet de réinsertion nous est remise pour être déposée dans le dossier de l’enfant. La plupart du temps, lorsqu’on ramène ces enfants avec le projet de réinsertion, ce sont des enfants qui ne relèvent plus de nos juridictions, que nous ne pouvons plus suivre. Mais, l’Action sociale reste auprès d’eux jusqu’à ce qu’ils puissent voler de leurs propres ailes. Donc, il y a un suivi qui se fait avec particulièrement ce Centre de Laye. Quelquefois, quand il y a des problèmes, le Directeur du Centre nous appelle et si le problème nécessite des mesures, nous lui demandons de faire un écrit de tout ce qui a pu se passer et ensuite, nous prenons d’autres mesures par rapport à l’enfant concerné.
Au regard de l’expérience, que pouvez-vous dire de ce Centre?
Je dirai que le Centre de Laye est victime de sa notoriété parce que c’est un Centre assez sérieux sur le plan de la formation, sur le plan du changement de comportement de l’enfant, parce que non seulement il fait la formation pour permettre aux enfants de se réinsérer, mais aussi travaille à changer le comportement des pensionnaires. Dans ce sens, c’est un Centre qui est assez sérieux, qui travaille bien et qui a des agents dévoués. Cela nous permet d’avoir de bons résultats. On ne dit pas qu’il n’y a pas de déperdition, mais c’est moindre par rapport au nombre de pensionnaires. Si sur 100 enfants que vous placez, vous avez 80 ou 85% de taux de réussite, je pense qu’on ne peut que se réjouir de ce Centre-là et des résultats qu’il produit. Personnellement, je trouve que c’est un Centre qu’il faut féliciter et accompagner. S’il y a lieu, qu’on puisse l’agrandir et permettre de prendre plus d’enfants ; cela nous aiderait beaucoup. Souvent, cela nous donne des cheveux blancs à l’idée de réfléchir sur où placer un enfant. La Maison d’arrêt n’est vraiment pas un lieu pour un enfant, quelle que soit l’infraction qu’il a commise, même si c’est un crime.
« Tout le monde y envoie des enfants »
Quelque part, je dirai que nous, adultes, la communauté, la famille, la société, nous avons une part de responsabilité dans les actes que les enfants commettent, parce que nous n’avons pas agi plus tôt; nous avons vu que l’enfant était en train de quitter les rails, mais nous n’avons pas essayé de le ramener. Nous n’avons pas pris des mesures en amont, alors l’enfant est parti dans le décor. Et nous tous, nous sommes responsables de ce que l’enfant devient. C’est vrai que l’Etat accompagne déjà ce Centre, mais s’il peut l’accompagner davantage et augmenter sa capacité d’accueil, surtout pour les garçons, cela nous aiderait davantage, nous les juges des enfants, parce que tout le monde y envoie des enfants.
Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA