LA NOUVELLE DU VENDREDI : L’aventurier des temps modernes
Il y a très longtemps, lorsque l’aventurier des temps anciens revenait au bercail par la clémence du ciel, après une longue absence, les retrouvailles étaient chaleureuses, fraternelles et amicales. La joie au sein du clan était partagée.
Le tabac pour la parente, de la colas pour l’ancien, le sel pour la voisine, le savon pour l’ami, du lait pour les ancêtres, le fils prodigue faisait l’honneur de toute la communauté. Son retour affranchissait les uns, libérait les autres.
C’était il y a très longtemps !
Aujourd’hui au Faso, l’aventurier des temps modernes retrouve sa case par le sombre manteau crépusculaire, dans la discrétion. Les poches se vides dans le secret des dieux, aucune lueur d’espoir pour son prochain ne doit sortir en dehors de la couverture maternelle. C’est l’omerta sur les acquis de l’expédition.
Lorsque l’aventurier des temps modernes se promène à son retour dans la cité qui l’a vu naître et partir, il a l’allure du conquérant, le regard du gagnant, il affiche le sourire de celui qui semble dire :
- C’est bien moi ! Je suis de retour, j’ai eu raison de partir. Je connais le grand monde, je suis monté sur le toit de la planète terre, j’ai réussi ! Regardez mes trésors, admirez, enviez, touchez, caressez, mais vous n’aurez rien. C’est moi qui ai souffert dans l’exil, je suis le seul et unique bénéficiaire !
De famille en famille l’aventurier des temps nouveaux se passionne pour la vie des autres. Il pose des questions osées, sollicite des détails, il a un penchant pour les drames locaux. De son parcours sous les cieux étrangers, il peint le beau, le splendid, jamais le laid, la boue. Il s’inquiète du voisin, du cousin, de l’ami d’enfance, du collègue d’avant, de la copine de jadis, surtout de ceux ou celles dont la providence s’est montrée cruelle.
La misère des autres est l’opium de l’aventurier des temps modernes, c’est le vin qui l’enivre.
La réussite de ceux qui sont restés ne le passionne guère. La gloire, la victoire des locaux le dévalorise. Il les évite, les ignore. Il déteste les âmes libres et audacieuses.
Ce qu’il désire, c’est la compagnie des esclaves. Il veut percer l’intimité des malheureux enchaînés. De ceux que la faim et la soif ont rendu captifs. De ceux que la misère a détournés du droit chemin, de ceux que le désespoir a fragilisé la raison.
L’aventurier des temps modernes de retour au pays se passionne, pour ceux qui vivent dans la précarité, pour ceux qui sont condamnés par les ordonnances médicales, pour ceux que le vice a chiffonnés et rendus impropre. L’aventurier du temps présent est un compagnon des misérables.
Il les écoute par curiosité, sans compassion. Il se mire sur la misère des autres pour se convaincre : qu’il a eu raison de partir, qu’il est supérieur, qu’il a eu de la chance.
L’aventurier de nos quartiers n’a aucun sentiment de pitié, de générosité dans son cœur. En regardant les larmes d’autrui, le désespoir de son prochain, il se voit plus fort et important.
L’aventurier des temps modernes après un séjour à paris, à Munich, à New York revient au bercail les poches pleines, l’égoïsme dans le sang. Le sang de l’avarice dans les veines.
Frères et sœurs, priez et comptez sur vous-mêmes, sur vos armes rudimentaires. Redressez le torse ! Regardez-les dans les yeux et dites leur :
– l’avenir est ici et ailleurs. Nous respectons vos trésors, le peu que nous gagnons suffit à notre bonheur. Nous sommes fiers de vous, mais aussi fiers de notre intégrité, fiers de notre autonomie. Le contenu de vos poches ne nous intéresse guère.
Dignes fils du terroir ne placez jamais votre espoir dans les mains de l’aventurier des temps modernes du pays des hommes intègres. Où que nous nous battons, que la chance nous accompagne, que le créateur nous assiste.
Ousseni Nikiéma, Langage de sourds
70-13-25-96