DAKIRI SAWADOGO, PARTICIPANT AU COLLOQUE PANAFRICAIN DES JEUNES: «Les jeunes doivent éviter d’être les griots des partis politiques »
Il faisait partie des jeunes Africains qui ont pris part au 1er Colloque panafricain des jeunes, tenu en couplage avec la Journée internationale des jeunes, les 12, 13 et 14 août 2015 à Ouagadougou. Il est le Président de la section du Burkina du Réseau Ouest-africain des jeunes leaders des Nations-Unies pour l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (ROJALNU-OMD/Burkina) et Coordonnateur de l’Alliance action 2015 au Burkina. Lui, c’est Dakiri Sawadogo, que nous avons reçu le 19 août dernier à notre Rédaction. Avec lui, il a été question, entre autres, du bilan du colloque, de sa vision de la jeunesse africaine, de ses préoccupations, de la démocratie et de la bonne gouvernance. Lisez !
Vous avez pris part au premier colloque panafricain des jeunes à Ouagadougou, les 12, 13 et 14 août derniers, quel bilan en tirez-vous ?
C’est une innovation majeure parce que d’habitude, la Journée internationale de la jeunesse (JIJ) se célèbre sans cadre d’expression ni échanges entre les jeunes. Nous ne pouvons qu’en tirer des conclusions positives d’autant plus que la jeunesse africaine, dans son ensemble, s’est réjouie de la tenue de ce colloque, mais aussi a souhaité qu’elle soit annuelle et tournante. C’était une occasion pour la jeunesse africaine de discuter de ses problèmes qui sont généralement les mêmes, mais souvent avec quelques différences en fonction des régions et des pays. Je profite de l’occasion pour remercier les autorités de la Transition pour leur clairvoyance. Plus particulièrement le Chef de l’Etat, Michel Kafando, et le ministre de la Jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi, Salifou Dembélé, qui se sont beaucoup investis lors de ce colloque. De mémoire de beaucoup de jeunes, c’est la première fois que cela arrive en Afrique. C’est la première fois aussi au Burkina qu’un chef d’Etat s’investit beaucoup dans la Journée internationale des jeunes. Car, auparavant, cette journée se commémorait de façon peu visible.
Le président de la Transition, Michel Kafando, a proclamé Ouagadougou comme la capitale de la jeunesse africaine. Quel commentaire en faites-vous ?
Je pense que le président de la Transition, Michel Kafando, a vu juste en proclamant Ouagadougou comme la capitale de la jeunesse africaine. La jeunesse burkinabè a toujours été active et est présente sur tous les terrains de combat. Tous les leaders des mouvements de la jeunesse burkinabè ont pris part à ce colloque, surtout ceux qui ont fait leurs preuves sur le terrain. La rencontre a été une occasion pour ces jeunes de partager leurs expériences avec l’ensemble des jeunes Africains pour réfléchir sur l’avenir du continent. Surtout, à un moment crucial où celui-ci connaît des turbulences du fait des problèmes liés à la gouvernance, à la démocratie et à la liberté d’expression. Le Burkina ayant donné un exemple de mobilisation sociale en termes d’engagement des jeunes, en termes d’engagement des organisations des jeunes, ne peut qu’être honoré d’être la capitale de la jeunesse africaine.
Quel impact ce colloque peut-il avoir sur le devenir de la jeunesse africaine ?
Il faut dire que ce colloque a été une tribune de haute importance pour la jeunesse africaine. Le Burkina sort des évènements des 30 et 31 octobre 2014 qui ont connu la chute du régime en place qui avait voulu modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Et c’est un très bel exemple pour la jeunesse de la plupart des pays africains. Vous avez également beaucoup d’exemples à travers l’Afrique, où les peuples sont confrontés à ce genre de difficultés.
Les jeunes, ce ne sont pas seulement ceux qui sont actifs dans un parti politique
Le problème des jeunes aujourd’hui, c’est le manque d’emploi et de formation professionnelle, la prise en compte de leurs préoccupations dans les instances du pays, etc. La jeunesse qui s’est réunie à Ouagadougou au cours de ce colloque, a échangé sur toutes ces questions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, au cours de ce colloque, les travaux ont été constitués en caucus. Le premier caucus a porté sur les thèmes relatifs à la participation et à l’action de veille citoyenne des jeunes, pour la défense et la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance. Le 2e caucus a concerné la mobilisation et l’engagement des jeunes en faveur de la cohésion sociale, notamment la prévention des conflits et la lutte contre l’insécurité. Le dernier caucus s’est penché sur la problématique du partenariat entre la jeunesse et les autorités nationales dans les instances de prise de décisions et de formulation des politiques publiques. Je voudrais faire une parenthèse pour préciser que lorsque les décideurs instaurent un dialogue avec la jeunesse, lorsqu’ils s’assoient avec la jeunesse comme cela a été le cas à travers ce colloque, ils sont en avance sur les problèmes des jeunes. Ils sont alertés par les jeunes eux-mêmes car c’est l’occasion pour eux de mieux comprendre les jeunes, surtout leurs préoccupations. Par exemple, lors du sommet France-Afrique tenu à Bamako (Mali) en 2005, la représentante des jeunes du Cameroun, Marie Tamoifo N’Kom, qui avait représenté les jeunes Africains, avait, à l’époque, attiré l’attention des chefs d’Etat africains. Elle disait que dans les contextes de démocratisation et de changements permanents en Afrique, si les politiques ne s’occupent pas des jeunes, ils se révolteront contre eux. Dix ans après, cette prophétie est en train de se réaliser en Afrique. Cette jeunesse africaine qui s’est réunie à Ouagadougou pour les mêmes causes, est la preuve qu’un dialogue entre les autorités de nos pays est indispensable pour résoudre les problèmes de la jeunesse africaine.
On dit que la jeunesse est le fer de lance du développement, alors qu’en réalité, elle est toujours marginalisée. Qu’en dites-vous ?
C’est aux autorités et aux politiques des pays africains de prendre conscience que les jeunes sont des partenaires. Il faut qu’ils prennent conscience que les jeunes sont des acteurs-clés du développement. Les jeunes, ce ne sont pas seulement ceux qui sont actifs dans un parti politique. Les jeunes, ce ne sont pas seulement ceux qui sont instrumentalisés par les partis politiques. Les jeunes, ce ne sont pas seulement ceux qui militent dans les mouvements et associations de jeunes.
« Nous devons travailler à mettre en place des Constitutions solides »
Les jeunes, ce sont tous ceux qui ont un âge compris entre 15 et 35 ans ou plus, en fonction des pays. Si on ne prend pas cela en compte, il y aura toujours des conflits entre les jeunes et les décideurs. Il y aura toujours de la méfiance entre les jeunes et les gouvernants. Par conséquent, les dirigeants diront toujours que les jeunes sont difficiles à gérer. Pourtant, ces derniers ont juste besoin d’une tribune d’expression. Ils ont juste besoin qu’on leur fasse confiance.
Que doivent faire les jeunes pour que les dirigeants africains prennent en compte leurs préoccupations que l’on sait nombreuses ?
Pour que les jeunes soient pris au sérieux dans les décisions et les instances des pays, il faut qu’ils s’assument. Nous devons avoir une jeunesse consciente et responsable. Une jeunesse qui sait qu’elle doit agir de façon citoyenne en identifiant ses propres faiblesses et ses propres préoccupations. Il faut qu’il y ait une jeunesse qui soit à même d’exprimer ses préoccupations aux autorités des pays de façon responsable et civique. Les jeunes doivent surtout éviter de se faire instrumentaliser par les partis politiques. Les jeunes doivent éviter d’être les griots des partis politiques. Ils doivent toujours penser à leur avenir et à l’avenir du pays. Ils ne doivent pas se mettre dans un conflit personnel ou d’intérêts personnels. Nous, les jeunes, nous ne devons pas nous asseoir et crier sur tous les toits que nous avons besoin d’emplois. Nous ne devons pas nous asseoir et tendre toujours la main aux autres. Il faut que nous ayons nos propres initiatives pour prouver aux autorités que les fonds qu’ils nous octroient souvent viennent en appui, en renfort aux initiatives que nous-mêmes avons développées. Il faut que nous ayons aussi la culture de la patience tout en nous sentant responsables du devenir de nos pays. C’est ce qui permettra à chaque jeune d’être beaucoup plus responsable de ses projets.
Qu’est-ce que la jeunesse africaine réunie à Ouagadougou, pense des chefs d’Etat du continent qui modifient les Constitutions pour se maintenir au pouvoir ?
D’une manière générale, on a tendance à faire ces reproches aux Chefs d’Etat de nos pays. Il faut plutôt penser à la classe politique et à la société civile puisque nous sommes tous responsables de ce qui se passe en Afrique. Nous devons prendre conscience de cela. Nous devons éviter de mettre en place parfois des lois ou des articles dans nos Constitutions, selon les intérêts du moment. Car, le jour où ce ne sera plus dans l’intérêt du moment, il y aura problème. C’est ce qui nous conduit généralement dans des situations chaotiques. Au-delà des Chefs d’Etat et de leurs intérêts, il est important que nous puissions nous orienter vers des Constitutions solides, à même de garantir une démocratie solide. C’est parce que nous taillons nos Constitutions à la mesure des Chefs d’Etat que ces deniers sont tentés de les modifier pour se maintenir au pouvoir. Lorsqu’il y a une faille ou une opportunité dans une Constitution, tout citoyen est prêt à se taper la poitrine pour défendre la cause du prince régnant. Ici, la responsabilité n’est pas seulement individuelle. Elle est collective et nous devons travailler à ce que cela prenne fin en Afrique. Nous devons travailler à mettre en place des Constitutions solides, avec des limitations de mandats bien définies. C’est ce qui pourra empêcher nos dirigeants de vouloir modifier les Constitutions à leur guise. Tout ne peut pas être parfait comme sur un coup de baguette magique, mais il faut travailler à aller vers la perfection et dans l’intérêt général.
En tant que jeune qui a pris part à ce colloque, que comptez-vous faire pour apporter votre part de contribution dans la lutte contre ces pratiques ?
Nous devons faire beaucoup de choses. Tout d’abord, il faut une sensibilisation des jeunes et surtout des organisations de jeunesse sur tout ce qui est lié à la démocratie et à la bonne gouvernance. Il faut que nous les jeunes, nous comprenions ce que c’est que la démocratie, le militantisme ou l’activisme dans un parti politique. Il faut que nous sachions ce que c’est que la citoyenneté et le patriotisme. Et c’est ce travail que nous, membres des organisations de la société civile, sommes en train de mener. La seconde chose, c’est d’amener chaque jeune qui pense qu’il est un acteur de développement et qu’il aime son pays, à travailler dans une vision lointaine qui dépasse ses intérêts personnels. La jeunesse d’aujourd’hui doit être en mesure de le faire. Mais cela passe par la formation, le dialogue permanent avec les autorités, les échanges entre jeunes et même le dialogue au sein des partis politiques. Il est important que les jeunes soient formés politiquement, surtout une formation basée sur la citoyenneté et le civisme, et non une formation basée sur l’instrumentalisation. En tant que membres de la société civile, nous travaillons à tout cela.
Le colloque s’est-il penché sur le phénomène de l’immigration clandestine?
C’est une triste réalité qui concerne tous les pays d’Afrique. Pendant même que nous étions au colloque, nous avons appris à travers les médias que des centaines de jeunes voulant rejoindre l’autre côté de la rive, ont péri dans la mer. Le colloque s’est penché sur cette question très sensible dont les causes principales sont liées au manque d’emploi.
Cette question d’immigration clandestine intègre aussi les questions de développement, de bonne gouvernance, de démocratie, etc. Nous avons beaucoup débattu sur la question. Lorsqu’une partie de la société n’est pas prise en compte, cela conduit généralement à des situations chaotiques. C’est pourquoi nous avons formulé des
résolutions et des recommandations qui prennent en compte toutes ces questions. Car, il faudrait désormais que les jeunes migrent de façon légale vers l’Occident. C’est frustrant de voir les Occidentaux quitter chez eux et venir en Afrique de façon légale, sans mettre leur vie en danger. Toute la jeunesse africaine réunie à Ouagadougou au cours du colloque, est consciente de cela. Nous pouvons mettre fin à ces tragédies, si nos dirigeants prennent la question au sérieux, en la posant comme une véritable préoccupation aux Nations-Unies. C’est pourquoi les jeunes qui se sont réunis à Ouagadougou au cours de ce colloque, ont fait du Président du Faso, Michel Kafando, leur porte-parole à l’Assemblée générale des Nations unies, prévue en septembre prochain aux Etats-Unis. Saisissant cette occasion, ils lui ont remis leur vision de l’agenda post-2015 des Nations unies et de la gouvernance post-2015. Pour traduire leur reconnaissance au Burkina et au ministre en charge de la Jeunesse, Salifou Dembélé, qui s’est personnellement investi dans la tenue de ce colloque, la jeunesse l’a élevé au rang de Grand Commandeur africain de la jeunesse. Elle a émis aussi le souhait qu’il y ait un Secrétariat des jeunes basé à Ouagadougou.
Quel message avez-vous à livrer aux responsables des partis politiques ?
S’il y a un message que nous pouvons lancer à l’endroit des responsables des partis politiques, c’est de leur demander de ne pas avoir seulement l’ambition de gouverner. Il faut qu’ils aient les préoccupations des populations à cœur, surtout dans leurs programmes de société. Il ne faut pas qu’ils fassent de la politique, un terrain de chasse aux sorcières ou un terrain de haine. Il faut qu’ils pensent surtout aux jeunes et à leur devenir. Il ne faut pas qu’ils instrumentalisent les jeunes pour leurs propres intérêts, mais pour l’intérêt de toute la Nation. Car, le Burkina compte plus de 16 millions d’habitants qui attendent beaucoup d’eux.
Interview réalisée par Mamouda TANKOANO
[email protected]
/
Le pays c’est cool
21 août 2015