HomeA la uneDAVID YAMEOGO, CHERCHEUR BURKINABE VIVANT AUX USA : « L’avenir de l’Afrique ne se construira ni dans la résignation ni dans l’attentisme »

DAVID YAMEOGO, CHERCHEUR BURKINABE VIVANT AUX USA : « L’avenir de l’Afrique ne se construira ni dans la résignation ni dans l’attentisme »


David Yaméogo est un Burkinabè  qui réside aux Etats-Unis d’Amérique (USA).  Il est consultant en développement durable et chercheur doctorant en ingénierie du développement durable à l’Université de Villanova, aux Etats-Unis.  Ses travaux de recherche portent sur les stratégies de gestion durable des ressources en eau, visant à concilier les besoins essentiels des populations avec ceux de la production agricole dans des régions arides confrontées au changement climatique, comme le Sud de Madagascar.  Il nous livre son parcours à travers une interview qu’il nous a accordée, le 23 juin 2025.

 

«  Le Pays » : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager dans le domaine de l’agriculture et de la gestion des ressources en eau, particulièrement en contexte de changement climatique ?

 

David Yaméogo : Ayant grandi dans un pays sahélien où l’eau est à la fois précieuse et rare, j’ai rapidement compris que l’agriculture durable dépendait étroitement d’une gestion efficace et équitable des ressources hydriques. Face aux effets visibles du changement climatique sur les rendements agricoles, la sécurité alimentaire et les conditions de vie des populations rurales, j’ai décidé de me consacrer à la recherche de solutions concrètes, à la croisée des savoirs scientifiques, des innovations technologiques et de l’intelligence communautaire.

 

Quelles sont les approches innovantes ou stratégies que vous développez pour répondre aux défis agricoles dans les régions arides comme la région du Sahel au Burkina ?

 

Je développe des approches intégrées alliant, à la fois, la modélisation hydrologique pour mieux planifier les usages de l’eau dans les zones arides, la télédétection pour suivre en temps réel l’état des ressources en eau et la santé des cultures, l’optimisation de la répartition de l’eau entre les besoins domestiques et agricoles, et l’usage de technologies comme le pompage solaire, couplé à des outils d’aide à la décision.

 

J’attache aussi une grande importance à la valorisation des savoirs locaux, en les intégrant dans des solutions co-construites avec les communautés.

 

Comment vos travaux prennent-ils en compte la protection de l’environnement et la durabilité des ressources naturelles ?

 

Mes recherches s’inscrivent dans une logique d’adaptation durable. Chaque stratégie est pensée pour préserver les écosystèmes, éviter la surexploitation des ressources et limiter les pertes d’eau. J’intègre dans mes modèles, des indicateurs environnementaux pour évaluer l’impact à long terme des pratiques proposées. Enfin, je mène des actions de sensibilisation et de formation auprès des communautés pour les aider à adopter des comportements respectueux de l’environnement.

 

« L’autosuffisance alimentaire ne dépend pas uniquement de la quantité produite, mais de la qualité des pratiques agricoles mises en œuvre »

 

Pensez-vous que ces pratiques agricoles durables peuvent contribuer à atteindre l’autosuffisance alimentaire dans les zones vulnérables comme le Sud de Madagascar ou le Sahel burkinabè ?

 

Oui, je suis convaincu que c’est possible. L’autosuffisance alimentaire ne dépend pas uniquement de la quantité produite, mais de la qualité des pratiques agricoles mises en œuvre. En adaptant les cultures au climat local, en optimisant l’usage de l’eau, en diversifiant les sources de revenus et en renforçant les capacités locales, ces régions vulnérables peuvent devenir des pôles de résilience alimentaire.

 

Quel rôle la diaspora burkinabè peut-elle jouer dans le développement socio- économique du pays ?

 

La diaspora burkinabè constitue une richesse inestimable, mais reste encore largement sous- utilisée dans la dynamique de développement national. Elle représente pourtant un levier stratégique pour accélérer la transformation socio-économique du Burkina Faso. Que ce soit dans la recherche, l’entrepreneuriat, l’ingénierie ou la finance, les Burkinabè de l’extérieur disposent de compétences, d’expériences et de réseaux qui peuvent profiter au pays. L’enjeu aujourd’hui est de passer d’une logique de soutien ponctuel via les transferts de fonds à une dynamique d’investissement à long terme dans le capital humain, l’économie locale et les infrastructures durables. Cela nécessite aussi que l’Etat burkinabè crée un cadre institutionnel incitatif et structurant pour canaliser cette force vers des actions à fort impact.

 

Quel rôle la diaspora peut-elle jouer dans la lutte contre les effets du changement climatique au Burkina Faso ?

 

La diaspora a un rôle central à jouer dans la lutte contre les effets du changement climatique, notamment en servant de pont entre les réalités locales et les opportunités globales. Elle peut contribuer au plaidoyer international pour que les enjeux spécifiques du Burkina Faso et du Sahel, soient mieux pris en compte dans les grands mécanismes de financement climatique. Elle peut aussi appuyer le développement de projets pilotes d’adaptation en mettant à disposition, des expertises techniques, en finançant des initiatives innovantes ou en favorisant les transferts de technologies adaptées. Par ailleurs, elle est en mesure d’accompagner la recherche appliquée et de créer des connexions stratégiques avec des universités, des centres de recherche ou des entreprises technologiques capables de renforcer la résilience des territoires burkinabè. En agissant ainsi, la diaspora devient un acteur essentiel de la transformation écologique du pays et un moteur de résilience face aux défis climatiques.

 

Comment voyez-vous l’implication des jeunes dans la transformation des systèmes agroalimentaires en Afrique ?

 

Les jeunes sont, à la fois, les plus exposés aux défaillances actuelles des systèmes agroalimentaires, mais aussi les mieux positionnés pour impulser leur transformation. Leur maîtrise des nouvelles technologies, leur créativité, leur esprit d’innovation et leur capacité à collaborer au-delà des frontières culturelles et disciplinaires, en font des catalyseurs naturels du changement. Pour qu’ils puissent pleinement jouer ce rôle, il est essentiel de leur offrir un cadre de confiance, des opportunités de formation technique, un meilleur accès aux financements et des plateformes d’expression et d’engagement. Le World Food Forum, par exemple, offre un espace unique pour que ces jeunes puissent formuler des propositions concrètes, collaborer avec des institutions de haut niveau et faire entendre leur voix dans les débats mondiaux sur la sécurité alimentaire.

 

Selon vous, quels types de partenariats ou de collaborations seraient essentiels pour renforcer la résilience des communautés rurales face aux crises climatiques?

 

La résilience des communautés rurales repose sur la capacité collective à fédérer les compétences, les savoirs et les ressources autour de projets à fort impact. Il faut favoriser des partenariats transversaux qui associent chercheurs, universités, collectivités locales, ONG, entrepreneurs sociaux, start-up et bailleurs de fonds. Ces collaborations doivent partir des besoins réels des communautés concernées, intégrer les savoirs locaux et viser des solutions durables et appropriables. Les universités, notamment, ont un rôle fondamental à jouer pour sortir de la recherche purement académique et contribuer activement à des projets de terrain, dans une logique de science engagée, ouverte et inclusive.

 

Quel message souhaitez-vous adresser aux Burkinabè concernant une croissance économique qui respecte l’environnement et valorise les ressources locales ?

 

Nous devons collectivement repenser notre modèle de croissance. Développer notre pays ne signifie pas reproduire les erreurs des modèles industriels destructeurs. La vraie richesse réside dans nos terres, nos savoir-faire, notre biodiversité et notre capacité à innover à partir de nos réalités. Il est temps de miser sur une croissance verte, inclusive et circulaire, qui crée de l’emploi local tout en préservant les ressources naturelles. Cela passe par une valorisation des produits locaux, une meilleure gestion des ressources et une gouvernance plus transparente et participative. C’est une voie exigeante, mais réaliste, à condition de croire en nos propres forces.

 

Pour conclure, quel est votre mot ?

 

Je suis profondément convaincu que l’avenir de l’Afrique ne se construira ni dans la résignation ni dans l’attente. Elle se bâtira avec celles et ceux qui, chaque jour, agissent avec courage, rigueur et solidarité. Chaque Burkinabè, qu’il vive au pays ou à l’étranger, a un rôle à jouer dans cette dynamique de transformation. La jeunesse, en particulier, détient une formidable énergie créative qu’il faut soutenir et canaliser. Continuons à rêver grand, mais surtout à bâtir concrètement, ensemble, une Afrique résiliente, souveraine et porteuse d’espoir.

 

Issa SIGUIRE

 


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