DEMANDE D’EXTRADITION DE SAÏF AL-ISLAM PAR LA CPI : Quelle faisabilité ?
Depuis février 2011, la Cour pénale internationale (CPI) fait des pieds et des mains pour juger le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, poursuivi pour crimes contre l’humanité commis en 2011. Mais la juridiction internationale a jusque-là rencontré le niet du gouvernement libyen qui estime qu’il est capable d’organiser un tel procès sur son sol. Près de 4 ans après, et lasse d’attendre, la CPI demande au Conseil de sécurité de l’ONU de contraindre Tripoli à lui livrer Saïf al-Islam. Une telle demande est justifiée, mais l’on pourrait s’interroger sur sa faisabilité au regard des considérations suivantes. D’abord, la CPI, pour obtenir l’extradition de Saïf al-Islam, a besoin obligatoirement de la coopération de l’Etat libyen. Or, la déliquescence prononcée dans laquelle se trouve la Libye depuis la chute de Kadhafi, permet d’en douter. En effet, ce ne serait pas faire dans l’hyperbole que de comparer l’Etat libyen à un avion sans pilote. Ce qui s’apparente aujourd’hui à un Etat, n’en est pas un, en réalité. Les gouvernements qui se sont succédé dans le pays, de manière effrénée depuis la chute du « Roi des Rois d’Afrique », sont, dans les faits, de véritables pantins dont le fil qui fait bouger les membres est entre les mains de la kyrielle de milices rivales et peu fréquentables qui régentent le pays. De ce point de vue, l’on peut dire avec force que le gouvernement libyen n’est pas un interlocuteur suffisamment crédible pour coopérer efficacement avec la CPI dans ce dossier. Ce constat est d’autant plus vrai que l’illustre prisonnier dont la CPI demande l’extradition, n’est pas détenu dans une prison de l’Etat, mais dans les geôles de la redoutable milice de Zentan. La chienlit dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays est telle que la priorité du moment, pour les Libyens, pourrait ne pas être l’extradition de Saïf al-Islam, mais la restauration de l’Etat libyen avec ce que cela implique comme mise en place d’institutions légitimes et fortes, capables d’assurer la stabilité du pays et de répondre aux nombreuses attentes des populations. Tant que cet impératif catégorique, comme le dirait Emmanuel Kant, ne sera pas réalisé, il est illusoire de croire, un seul instant, que l’extradition de Saïf al-Islam sera aisée.
Le Tribunal de la Haye n’a pas bonne presse au sein de l’opinion arabe
L’autre élément qui peut conduire à dire que la demande de la CPI a des chances de ne pas aboutir, pourrait être lié à la représentation que les Libyens ont de la CPI d’une part, et de l’autre, à leur orgueil. En effet, depuis que la juridiction internationale a opposé une fin de non-recevoir à la demande des Arabes de juger Ariel Sharon pour les crimes présumés commis à Sabra et à Chatila, en septembre 1982, contre les Palestiniens et qui avaient choqué le monde arabe, l’on peut affirmer que le Tribunal de la Haye n’a pas bonne presse au sein de l’opinion arabe. Il y est perçu, à tort ou à raison, comme un instrument partisan qui ne s’est jamais intéressé aux crimes perpétrés par l’Etat hébreux contre les Arabes. Cet état d’esprit pourrait toujours habiter les Libyens, même si, par ailleurs, ils savent que Saïf al-Islam à commis des crimes dignes de Néron.
A cela, l’on pourrait ajouter le sentiment d’orgueil des Libyens. Cette fierté pourrait les empêcher, malgré la déliquescence de l’Etat libyen, de confier le jugement d’un des leurs, aussi criminel soit-il, à une instance non nationale. Cette fierté, au-delà de la Libye, peut d’ailleurs être observée chez les Arabes de façon générale. C’est cela qui pourrait expliquer, entre autres, que la CPI n’ait pas encore réussi à entendre un Arabe, encore moins à le juger dans le cadre de crimes commis contre l’humanité. Le cas le plus illustre est celui de l’actuel président soudanais. De ce point de vue, l’on peut comprendre que le gouvernement libyen soit réticent à livrer Saïf al-Islam à la CPI, parce qu’une telle éventualité pourrait dresser contre lui l’opinion publique nationale. Cela dit, l’on peut être sûr d’une chose. Si l’Etat libyen venait à juger Saïf al-Islam dans le contexte actuel, comme il l’a promis à la CPI, l’on assisterait à une véritable mascarade judiciaire, à l’issue de laquelle le fils de Kadhafi serait conduit sur une potence pour se faire pendre haut et court. La seule garantie pour lui d’échapper à ce sort, c’est d’être jugé par la CPI. Malheureusement, cela est loin d’être probable.
Pousdem PICKOU