DESTITUTION DU PRESIDENT MALGACHE PAR L’ASSEMBLEE NATIONALE : Un grand bond démocratique
L’«impeachment » est une procédure anglo-saxonne qui permet au pouvoir législatif de destituer un haut fonctionnaire de la haute Administration. Aux Etats-Unis, cela peut concerner même le président et cette procédure fut engagée ou envisagée, en fonction des circonstances, contre trois d’entre eux : Andrew Johnson en 1868, Richard Nixon dans le « scandale du Watergate » en 1974 et Bill Clinton dans le « Monicagate » en 1998.
C’est ce chemin que viennent d’emprunter les parlementaires malgaches qui ont voté mardi dernier, à 121 voix pour et 4 contre sur 125 votants parmi les 151 députés de l’Assemblée nationale, la destitution du président Hery Rajaonarimampianina pour « incompétence » et « violations de la Constitution ». Pour une surprise, c’en est une car le fait est suffisamment rare sous nos tropiques, pour passer inaperçu. Il faut maintenant espérer qu’il soit un cas d’école qui puisse se présenter comme une piste de solution à la mal gouvernance et à la lancinante question de l’alternance sur le continent, avec les velléités affichées de longévité de certains chefs d’Etat au pouvoir.
Dans le principe, cela participe du renforcement de la démocratie
Pour en revenir au cas malgache, l’on remarquera qu’en moins d’un an et demi de règne, le chef de l’Exécutif a réussi à se mettre à dos la majorité des élus à l’Assemblée nationale. Et ce ne sont pas les griefs qui manquent contre lui, allant de ses hésitations et tâtonnements dans les prises de décisions comme les deux mois mis à trouver un Premier ministre, Kolo Roger, qu’il allait finalement limoger au bout de neuf mois, à la non-mise en place de certaines institutions comme la Haute cour de justice, en passant par le non-respect des délais de promulgations des lois et ses ingérences dans les affaires de l’Assemblée nationale.
Toutefois, au-delà des arguments de fond, c’est le geste en lui-même qui retient l’attention et mérite d’être salué. Car, dans le principe, cela participe du renforcement de la démocratie. En ce sens que l’émergence d’un véritable contrepoids à l’Exécutif peut contribuer à l’amélioration de la gouvernance. D’où la nécessité de travailler à avoir des institutions fortes pour contrôler l’action de l’Exécutif et éviter les dérives autocratiques. En ne donnant pas au président les pouvoirs les plus étendus qui lui permettent de faire ce qu’il veut. Car, si l’Exécutif sait qu’il ne peut pas tout se permettre, il réfléchira par sept fois avant de prendre certaines décisions.
Cela dit, qu’une telle loi soit votée à une si écrasante majorité, là où la majorité des deux tiers était requise, signifie ni plus ni moins que le président a été lâché par beaucoup des siens au sein de l’hémicycle. Jean-Jacques Rabenirina, un député de la majorité, ne s’en cache d’ailleurs pas : « Il n’est plus question de majorité présidentielle ou pas. Ma conviction de mettre en place un Etat de droit m’a poussé à voter oui ». Qu’ils soient sincères ou pas, ces propos devraient être le credo de tout parlementaire, en tout temps et en tout lieu. C’est de cela que l’Afrique a besoin. Et c’est en cela que cet « impeachment à la malgache » est un acte de haute portée pédagogique pour le continent. Car, bien souvent, nos républiques bananières se particularisent par des Parlements qui se comportent comme des caisses de résonnance, juste destinées à entériner les décisions de l’Exécutif, avec une opposition souvent réduite à la portion congrue et qui a de la peine à se faire entendre. Ainsi, les lois les plus scélérates y ont des chances de passer comme une lettre à la poste, en raison de l’attitude des députés de la majorité qui se sentent, pour la plupart, des obligés du prince régnant. Jamais, il ne viendrait à l’idée de ce genre de parlementaires d’avoir une opinion contraire. Et le comble, c’est que l’on a quelquefois assisté à des mascarades où, même en cas de vote à bulletin secret, certains n’ont aucun scrupule à montrer leur vote à leur voisin, pour convaincre de leur fidélité au parti. Pauvre Afrique ! Il faut que ça change.
On pourra souhaiter que son exemple fasse tache d’huile sur le continent
En tout cas, la Grande île a donné le ton et montre la voie. En cela, elle aura effectué un grand bond démocratique. Surtout quand on voit comment les institutions ont récemment été malmenées dans ce pays. C’est dire si en l’espace de quelques années seulement, l’on est passé d’un extrême à un autre. De plus, dans ce pays, les contradictions au sommet de l’Etat ont rarement été contenues pour éviter des déflagrations sociales. Cette fois-ci, les choses se sont passées au sein des institutions. Cela est positif et réhabilite l’image de ce pays, qui a longtemps été écornée par le recours presque systématique à la rue, par des leaders politiques, pour régler leurs différends.
Toutefois, s’il s’avère que le président avait l’intention de donner une suite favorable aux recommandations des Assises nationales pour la réconciliation, parmi lesquelles figurait en bonne place la dissolution de l’Assemblée, l’on pourrait dire que les députés ont réagi par instinct de survie en dégainant les premiers.
Mais cela n’enlève rien à la portée pédagogique de leur acte, en usant de leur pouvoir de destitution du président, pour autant que cela n’aille pas en violation des textes réglementaires en la matière.
Maintenant, la balle est dans le camp de la Haute Cour constitutionnelle dont les neuf juges ont la charge de départager le président et les députés. Quand on sait que l’Exécutif a généralement une mainmise sur de grandes institutions de ce genre, il y a lieu de croire que le président Hery a encore une chance de se tirer d’affaire.
Quoi qu’il en soit, cette institution devrait avoir pour souci de décider en âme et conscience si le président mérite oui ou non d’être destitué pour les motifs avancés, et dire le droit, sans parti pris. C’est en cela que la démocratie malgache aura véritablement avancé. A ce moment, l’on pourra souhaiter que son exemple fasse tache d’huile sur le continent.
Pour l’heure, c’est son ancien allié devenu son adversaire, Andry Rajoelina dit TGV, qui doit certainement se frotter les mains.
« Le Pays »