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DIALOGUE POLITIQUE AU TOGO : Faure en sortira-t-il plus fort ?


Annoncé depuis novembre 2017, c’est finalement le 15 février dernier que s’est ouvert dans la capitale togolaise, Lomé, le dialogue politique entre pouvoir et opposition, censé mettre fin à une crise politique qui dure depuis six mois, et qui est en passe de paralyser le pays, eu égard à la fréquence des manifestations pour demander le départ du chef de l’Etat du pouvoir. Ce dialogue qui s’ouvre sous la facilitation du Ghana et de la Guinée qui ont respectivement envoyé le ministre de la Sécurité, Albert Kan-Dapaah, et le ministre d’Etat, Tibou Kamara, se tient au moment où le chef de l’Eglise catholique du Togo, Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro, a fait une sortie tonitruante, en demandant tout simplement au président Faure  Gnassingbé de ne pas briguer un autre mandat en 2020, tout en se montrant favorable à ce qu’on le laisse terminer son mandat en cours.

Il faut plus que des déclarations pour venir à bout d’un dictateur

Morceau choisi : « J’appuie tous ceux qui demandent qu’il s’en aille. Il ne doit plus renouveler son mandat. Je ne dis pas qu’il doit quitter aujourd’hui. Qu’on le laisse finir le mandat en cours. Il faut laisser le chef de l’Etat terminer complètement, dignement, son mandat. Mais l’entêtement à ne pas quitter le pouvoir est diabolique… ». Voilà qui est clair. Une décision pour le moins courageuse, qui a aussi l’avantage de ne souffrir d’aucune ambigüité et qui n’est pas sans rappeler celle de la Conférence épiscopale congolaise en RDC, elle aussi vent debout contre le chef de l’Etat, Joseph Kabila, en fin de mandat depuis plus d’un an, mais qui continue de jouer les prolongations. Pour autant, Faure entendra-t-il la voix du « Seigneur » ? Rien n’est moins sûr. Au contraire, à l’image de son pair et alter ego de Kinshasa, l’on ne serait pas étonné que le locataire du Palais de Lomé II demande à l’Eglise catholique de s’occuper de ses fidèles en laissant la politique aux politiciens. Comme quoi, il faut plus que des déclarations pour venir à bout d’un dictateur. La question que l’on pourrait se poser est de savoir si Faure sortira plus fort de ce dialogue, après que les fondements de son pouvoir ont été fortement ébranlés par six mois de manifestations de rue qui sont allées en s’amplifiant, sans que la détermination de ses contempteurs ne s’émousse ni que leur mobilisation ne faiblisse. La question est d’autant plus pertinente qu’avec cette sortie du dignitaire ecclésiastique togolais, l’on peut dire que c’est un allié de poids et de taille que l’opposition togolaise vient d’avoir, à la veille de l’ouverture de ce dialogue, en attendant peut-être d’autres. Car, quoi que l’on dise, la voix de l’Eglise est une voix qui compte dans de nombreux pays. En tout état de cause, la véritable question reste de savoir sur quoi vont déboucher ces pourparlers. Permettront-ils aux Togolais de sortir de la crise ou vont-ils au contraire aggraver la situation ? En tout cas, eu égard aux positions tranchées des uns et des autres, l’on n’est pas d’emblée porté à l’optimisme.  Si fait que sans jouer les Cassandre, l’on est porté à croire que ce rendez-vous sous l’arbre à palabres  est une sorte de bal des hypocrites où chaque partie vient aux négociations avec un couteau dans le dos. Car, si personne ne veut se voir reprocher le fait d’avoir refusé le dialogue, il n’est pas certain que les acteurs y vont avec toute la bonne foi qui devrait les caractériser et surtout la volonté réelle de trouver une issue à la crise, quitte à faire des concessions.

Reste à espérer que les « dialogueurs togolais» auront à cœur  de ne pas chercher à contourner le problème

Disons-le tout net, dans ce dialogue inter-togolais, on a plutôt l’impression que chaque partie vient chercher un alibi pour justifier sa position. Si fait que l’on se demande si les facilitateurs auront l’entregent et le doigté nécessaires pour concilier des positions diamétralement opposées. Du reste, si en matière de médiation dans une crise comme celle du Togo où il est question de démocratie et d’alternance, le Ghana est sans reproche, l’on ne peut pas en dire autant de la Guinée qui n’est pas un exemple de démocratie sur le continent. En tout cas, dans les discussions, l’on ne serait pas étonné de voir la majorité présidentielle chercher à tirer la couverture au chef de l’Etat afin qu’il puisse briguer d’autres mandats, alors que l’opposition cherche  à mettre fin à un demi-siècle de dictature de la famille Gnassingbé, en exigeant le départ hic et nunc de Faure du pouvoir. De toute évidence, il appartient aux Togolais d’écrire leur propre histoire. De leur engagement sincère à sortir de la crise dépendra la paix dans leur pays. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de déblayer d’abord le terrain en éclaircissant les zones d’ombres. Et c’est ce à quoi s’attèle la séance inaugurale qui doit, entre autres, se pencher sur la liste et la qualité des participants, le calendrier des discussions et surtout les sujets de fond qui ne sauraient éluder la question de la rétroactivité de la clause de limitation des mandats présidentiels qui doit décider du sort du chef de l’Etat. C’est le véritable nœud gordien du problème, et il se pose plus en termes de légitimité que de légalité. Reste à espérer que les « dialogueurs togolais» auront à cœur  de ne pas chercher à contourner le problème et travailleront à trouver une solution dans l’intérêt du peuple.

Quant à Faure, il est temps pour lui de chercher à entrer dans l’Histoire de son pays par la grande porte, en accédant aux revendications de son peuple. Cette parenthèse pourrait être pour lui un moment de trêve pour desserrer l’étau autour de sa personne. Mais si son intention est d’enfariner son peuple dans un pseudo-dialogue pour se maintenir indéfiniment au pouvoir, ce serait une malheureuse décision qui, au lieu de servir à enterrer la hache de guerre, pourrait plutôt contribuer à attiser le feu. Le Togo n’a pas besoin de ça.

« Le Pays »


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