DOSSIER NORBERT ZONGO : « L’appel de Sapouy » lancé par le FILEP
Les participants à la 7e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP) étaient, le 11 novembre 2017, à Sapouy, pour un recueillement sur les lieux de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons, le 13 décembre 1998. Une marche, une minute de silence, des témoignages ont été, entre autres, les temps forts de cette journée qui a marqué aussi la fin de la biennale des professionnels de la presse et des défenseurs des droits de l’Homme. Un appel a été lancé à l’endroit du Burkina, de l’Afrique et du monde entier par les participants, pour maintenir la pression afin que lumière et justice soient faites pour Norbert Zongo et ses compagnons d’infortune.
Vérité et justice pour le journaliste Norbert Zongo et ses trois compagnons ! C’est ce qu’ont réclamé les participants à la 7e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP) à travers ce qu’ils ont appelé « l’appel de Sapouy contre l’impunité ». « Au regard de tout ce qui précède, tout en fondant l’espoir que la vérité finira par triompher sur le lâche assassinat de notre confrère et de ses trois compagnons que sont Ablassé Nikiéma, Blaise Ilboudo, Ernest Zongo, les participants à la 7e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP), réunis du 8 au 11 novembre 2017 à Ouagadougou, appellent l’Etat burkinabè à tout mettre en œuvre pour une diligence dans la procédure judiciaire et dans ce sens, à ne ménager aucun effort pour l’extradition de François Compaoré, le principal inculpé dans ce crime odieux et Imprescriptible ; appellent la Justice burkinabè à se réconcilier avec son peuple et la marche de l’histoire, elle qui bénéficie aujourd’hui d’un cadre juridique et économique favorable à son indépendance grâce au sacrifice dû à l’insurrection populaire ; appellent le peuple burkinabè, la presse, les défenseurs des droits de l’Homme au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde à maintenir la pression pour la lumière et la justice pour Norbert Zongo et ses trois compagnons », a déclaré Albert Chaïbou, Rédacteur en chef de l’hebdomadaire nigérien, Alternative.
L’ambassade des Etats-Unis d’Amérique au Burkina avait proposé les services du FBI
Mais avant cette déclaration, une minute de silence a été observée en la mémoire de Norbert Zongo et de ses trois compagnons d’infortune. Germain Bitiou Nama, Kassoum Kambou, actuel président du Conseil constitutionnel, alors président de la Commission d’enquête indépendante sur la mort de Norbert Zongo, Me Bénéwendé Stanislas Sankara, avocat de la famille de Norbert Zongo, ont pris tour à tour la parole, qui pour rappeler les faits, qui pour faire l’état des lieux du dossier en justice, qui pour rappeler les conditions dans lesquelles la Commission d’enquête avait travaillé. « Au delà du fait que j’ai présidé la Commission d’enquête, Norbert Zongo et moi, nous nous connaissions. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était dans le bloc administratif du ministère de la Justice. J’étais arrêté dans la cour. Quand il m’a vu, il s’est arrêté et j’avais senti qu’il était inquiet. Il regardait partout. Je lui ai demandé ce qui se passait. Il a répondu qu’il savait pourquoi il ne voulait pas qu’on s’attarde trop dans la cour. Avant de partir, il m’a dit ceci : M. le juge, je te donne un conseil : « A Ouaga, ne prends pas ta pause café au même endroit deux fois. Si on te voit à tel endroit, demain, il faut changer ». Il m’a aussi dit qu’aux prochaines vacances, si j’avais le temps, on pouvait aller au ranch. Ça veut dire que je pouvais être parmi les victimes de ce drame, puisqu’il allait au ranch quand on l’a tué. La prochaine rencontre, c’était pour voir son cadavre au moment de l’autopsie », a expliqué Kassoum Kambou pour camper le décor.
Selon ses explications, la Commission d’enquête indépendante (CEI) dont il assurait la présidence, a travaillé dans des conditions extrêmement difficiles. D’abord, a-t-il rappelé, la première décision qui mettait en place cette Commission prévoyait 14 membres et disposait de six mois pour déposer son rapport. Mais suite à la réaction de la population, le président du Faso de l’époque est revenu sur sa décision. De 14, la commission est passée à 11 membres avec un délai de quatre mois pour déposer le rapport. Un budget d’environ 120 millions de F CFA avait également été mis à la disposition de la Commission. Aussi, la Commission avait la possibilité d’entendre qui elle voulait ou avoir recours à n’importe quel expert, qu’il soit national ou international. A l’époque, confie-t-il, l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique au Burkina avait proposé les services du FBI (Bureau fédéral d’enquête). Ce que la Commission n’a pas accepté, puisque le délai qui lui était imparti était relativement court. Néanmoins, précise-t-il, la CEI a fait appel à Handicap international qui a envoyé un expert qui a fait un bon travail.
« La perspective dépendra de notre mobilisation, de notre engagement à poursuivre le même combat pour la vérité »
A l’en croire, le président qu’il était, n’avait pas subit de pressions directes, mais plutôt des pressions indirectes. En effet, après avoir refusé une sécurité rapprochée, il était suivi par des inconnus, chaque fois qu’il quittait son bureau. Pire, ses téléphones étaient placés sur écoute. Pour que le travail reste secret jusqu’à la remise du rapport, a relaté Kassoum Kambou, il récupérait tous les procès verbaux et les mettait dans son bureau. Malheureusement, d’autres individus venaient nuitamment, dans le bureau, prendre les rapports et les photocopier pour ensuite les remettre à qui de droit. Des témoins étaient fabriqués, préparés afin qu’ils rendent de faux témoignages. Certains membres qui avaient foi à ce qu’ils faisaient, ont été relevés de leurs fonctions puis remplacés par d’autres. Ces derniers, au nombre de deux après les travaux de l’enquête, ont été récompensés. Un a été nommé ministre et l’autre commandant de gendarmerie de région. « En dehors des deux, aucun membre de la Commission n’a été récompensé », a-t-il précisé. Quant à Me Bénéwendé Sankara, après avoir rappelé les faits, du 13 décembre 1998 à nos jours, il s’est réjoui de l’avancée du dossier. A l’en croire, depuis 2015, le dossier a été rouvert et depuis lors, les choses avancent dans le bon sens. Des personnes ont déjà été inculpées. Un mandat d’arrêt international a été émis contre François Compaoré, principal inculpé dans cette affaire. Ce dernier a d’ailleurs été interpellé par Interpol en France. Dans cette même affaire, un véhicule a été saisi et mis sous scellé, preuve que, selon lui, le juge a suffisamment de charges pour poursuivre le principal inculpé. Quant à son extradition, il a fait savoir que l’Etat burkinabè a constitué deux avocats pour défendre et soutenir sa requête et que le ministère en charge de la Justice suit le dossier. « La perspective dépendra de notre mobilisation, de notre engagement à poursuivre le même combat pour la vérité, la justice pour Norbert Zongo », a souligné Me Sankara. Présente à cette journée de recueillement, la famille de Norbert Zongo, tout en exprimant son soutien aux acteurs, s’est dite disposée à se battre aux côtés de toutes les autres personnes afin que vérité et justice soient rendues au défunt et à ses trois autres camarades. A noter que la délégation avait à ses côtés les responsables de la Police nationale, de la Gendarmerie et le maire de Sapouy. « Le Conseil municipal de Sapouy priera et demandera à Dieu d’accompagner tous ceux qui recherchent la vérité dans l’affaire Norbert Zongo. Nous prions également afin qu’un tel drame ne se produise plus jamais, non seulement sur le territoire de Sapouy, mais également sur tout le territoire burkinabè », a conclu le maire de la commune de Sapouy, Baoui Nama. C’est sur ce vœu que la cérémonie de recueillement a pris fin. En rappel, la prochaine édition du FILEP aura lieu en 2019, puisqu’il se tient chaque 2 ans.
Issa SIGUIRE
L’appel de Sapouy contre l’impunité
« Réunis du 8 au 11 novembre 2017 à l’occasion du Festival international de la liberté de la presse (FILEP), les participants se sont rendus à Sapouy, lieu où le journaliste Norbert Zongo et ses compagnons ont été atrocement assassinés le 13 décembre 1998. Ils y ont lu une déclaration nommée « appel de Sapouy contre l’impunité » dont voici l’intégralité.
Le 13 décembre 1998, le corps de notre confrère Norbert Zongo a été retrouvé calciné dans sa voiture, avec trois de ses compagnons, ici même à Sapouy, en ces lieux précisément, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou. Sous la pression du peuple burkinabè et des défenseurs des droits de l’Homme et de la liberté de la presse, le régime d’alors avait mis en place en janvier 1999, une Commission d’enquête indépendante (CEI). Les conclusions de cette Commission indiquent clairement que Norbert Zongo a été assassiné pour des motifs purement politiques, parce que l’intrépide journaliste d’investigation dérangeait par ses révélations sur la mort de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, petit frère du président Blaise Compaoré. Six suspects sérieux ont été identifiés. Tous, des militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). En janvier 2001, la Justice burkinabè procède à l’unique inculpation de l’Adjudant Marcel Kafando « pour assassinat et incendie volontaire ». Ce militaire peut-il avoir agi sans l’aval de ses supérieurs hiérarchiques, aussi bien politiques que militaires ? Assurément non ! Non satisfait de ne rien faire pour que la lumière soit faite sur ce dossier de crime, la Justice, en collusion avec l’Exécutif politique, a rendu le 18 juillet 2006 une ordonnance de non-lieu dans l’affaire Norbert Zongo, abandonnant ainsi donc toutes poursuites contre l’unique inculpé Marcel Kafando qui, lui-même, décédera plus tard le 23 décembre 2009. Deux autres suspects sérieux sont déjà morts.
François Compaoré qui avait été entendu par le juge d’instruction comme simple « témoin », n’avait jamais fait l’objet de poursuites.
Ce n’est qu’à la faveur des changements politiques majeurs qu’a connus le Burkina Faso en 2014, avec la fuite de Blaise Compaoré, que François Compaoré, celui qu’on présentait comme « le petit président », a été inculpé et mis sous le coup d’un mandat d’arrêt international, en mai 2017.
Le 29 octobre 2017, il sera interpellé à l’aéroport Roissy Charles de Gaule à Paris, en France, avant d’être relâché le lendemain et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français, sauf sur autorisation spéciale de la Justice.
En mars 2014, la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, basée à Arusha en Tanzanie, saisie de cette affaire Norbert Zongo conclut que « l’Etat défendeur n’a pas agi avec la diligence due dans la recherche, la poursuite et le jugement de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons. La Cour note en conséquence que l’Etat défendeur a violé sur cet aspect le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales tel que garanti par l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples».
Au regard de tout ce qui précède, tout en fondant l’espoir que la vérité finira enfin par triompher sur le lâche assassinat de notre confrère et de ses trois compagnons que sont Ablassé Nikiéma, Blaise Ilboudo, Ernest Zongo, les participants à la 7e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP), réunis du 8 au 11 novembre 2017 à Ouagadougou :
– appellent l’Etat burkinabè à tout mettre en œuvre pour une diligence dans la procédure judiciaire et dans ce sens, à ne ménager aucun effort pour l’extradition de François Compaoré, le principal inculpé dans ce crime odieux et imprescriptible ;
– appellent la Justice burkinabè à se réconcilier avec son Peuple et la marche de l’Histoire, elle qui bénéficie aujourd’hui d’un cadre juridique et économique favorable à son indépendance grâce au sacrifice dû à l’Insurrection populaire ;
– appellent le Peuple burkinabè, la Presse, les défenseurs des droits de l’Homme au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde à maintenir la pression pour la lumière et la justice pour Norbert Zongo et ses trois compagnons.
19 ans d’impunité, ça suffit !
Vive la liberté de la presse
Justice pour Zongo !
Sapouy, le 11 novembre 2017 »
Propos recueillis par Issa SIGUIRE