HomeA la uneDr Nana THIOMBIANO/ COULIBALY, NUTRITIONNISTE MEDICALE : « Les bouillons culinaires ne sont pas bons pour la santé »

Dr Nana THIOMBIANO/ COULIBALY, NUTRITIONNISTE MEDICALE : « Les bouillons culinaires ne sont pas bons pour la santé »


Une alimentation équilibrée est l’ensemble de tout ce que les êtres vivants consomment pour leur santé et leur bien-être. Mais combien sont-ils les Burkinabè qui arrivent à s’alimenter de manière équilibrée ? Autrement dit, qu’est-ce qu’il faut pour avoir une alimentation équilibrée? Et quels sont les risques auxquels on s’expose si l’on n’a pas une alimentation équilibrée? Dans cette interview réalisée le 2 juin 2017, la nutritionniste médicale à la Direction de la nutrition, Dr Nana Thiombiano/Coulibaly, explique ce qu’il faut manger et à quel moment, pour avoir une alimentation équilibrée. Lisez !

 

« Le Pays » : Que faut-il entendre par alimentation équilibrée  ?

 

Dr Nana Thiombiano/Coulibaly: Nous allons vous dire d’abord ce que c’est que l’alimentation. C’est l’ensemble de tout ce que les êtres vivants consomment pour leur santé et leur bien-être. C’est dire que les humains, les plantes et les autres animaux également, s’alimentent.

La Santé, selon l’OMS, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, mais un état de bien-être physique, psychologique, moral et social. Ainsi, la santé est une ressource pour la vie et non un objectif.

Ce que nous consommons est appelé aliment. L’ensemble de tout ce que nous consommons est l’alimentation. Après avoir mangé, par la digestion, les aliments sont transformés en nutriments (protéines, glucides, lipides, sels minéraux, vitamines, fibres et eau). Les protéines sont ensuite transformées en acides aminés, les lipides en acides gras, les glucides en sucres pour être déversés dans le sang pour couvrir les besoins du corps.

 

Voyons à présent qu’est-ce qu’une alimentation équilibrée.

 

L’être humain, comme tous les autres animaux, est hétérotrophe, c’est-à-dire qu’il ne peut pas fabriquer ses aliments lui-même. Or, les végétaux peuvent fabriquer leurs aliments à partir de l’eau, de la lumière solaire, des minéraux du sol, grâce à la photosynthèse. On dit qu’ils sont autotrophes.

Nous mangeons pour couvrir nos besoins de croissance, d’énergie et de protection. Les aliments que nous consommons vont assurer donc ces besoins.

Les aliments pour la croissance sont: la viande, la volaille, le lait, le poisson, les insectes, les œufs, les légumineuses (haricot, pois de terre, lentilles, soumbala, arachide, sésame, etc.). Ils fournissent les protéines et les acides aminés.

Les aliments énergétiques sont : les céréales (mil, sorgho, fonio, maïs, riz) les tubercules (patate, igname, taro, manioc, pomme de terre), les fruits amidonnés (plantain). Ils fournissent les glucides, sucres et fibres. Il y a en plus les huiles (arachide, sésame, coton, palme, coco), les beurres (de karité, de lait) et les graisses animales (graisses, cervelle). Ils fournissent les lipides et les acides gras.

Les aliments protecteurs sont: l’eau, les légumes, les fruits, les abats et le son des céréales. Ils fournissent l’eau, les sels minéraux, les vitamines et les fibres.

Chaque jour, notre alimentation doit donc comporter tous ces groupes d’aliments (de croissance, énergétiques et protecteurs). A chaque repas :

– 1/2 de la ration doit être les céréales et/ou les tubercules et/ou les fruits amidonnés;

– 1/4 de la ration doit être des légumes et des fruits. Pour les légumes, il faut que la moitié soit sous forme crue car la chaleur détruit les vitamines. Les fruits doivent être consommés frais de préférence. S’ils sont séchés ou cuits, ils perdent également une partie des vitamines. Lorsqu’on lave les fruits et les légumes, il faut éviter de les tremper longtemps (plus de 20 mn), sinon les vitamines solubles dans l’eau et les sels minéraux seront perdus. Ainsi, il faut laver les feuilles avant de les couper. Il ne faut pas non plus éliminer les graines ni la peau des légumes car elles contiennent des vitamines et des sels minéraux. Par exemple, il  faut manger les concombres, les aubergines, les courgettes, etc., avec la peau. Il ne faut pas non plus éliminer les graines de tomates ou d’aubergine. En ce qui concerne l’oignon, pour éviter de faire couler les larmes, il ne doit pas être trempé avant découpage. Ou on peut juste mettre 2 ou 3 brins d’allumettes dans la bouche pendant le découpage. La substance inflammable des brins d’allumettes absorbe la substance qui fait couler les larmes,  ce qui empêche donc les larmes de couler.

NB : c’est la tige que l’on met dans la bouche, c’est-à-dire le bois et non la partie noire ;

– le 1/4 restant est constitué, pour moitié des aliments de croissance et l’autre moitié, d’huile.  Soit 1/8 d’aliments de croissance et 1/8 d’huile.

En plus, il faut boire au moins 8 verres d’eau par jour pour l’adulte et la moitié pour l’enfant. Cependant, le nourrisson de moins de 6 mois ne doit pas consommer de l’eau car le lait maternel est suffisant pour couvrir ses besoins en eau. La quantité est également moindre pour les jeunes enfants. Il faut donner à boire entre les repas.

Pour connaître la quantité exacte d’eau à consommer, il faut consulter un nutritionniste/diététicien, parce qu’il faut en moyenne 1,5ml/Kcal. Les calories sont la quantité d’énergie dont chaque individu a besoin chaque jour et cela est fonction de plusieurs facteurs.

Il faut savoir que bien s’alimenter, c’est consommer tous les groupes d’aliments à chaque repas et en quantité suffisante. La quantité nécessaire est fonction du poids, de la taille, de l’âge, du sexe, de l’activité, de la grossesse, de l’allaitement, de maladie, etc. En somme, une alimentation doit être équilibrée et suffisante.

 

Est-ce que vous croyez que l’alimentation équilibrée est à la portée du Burkinabè ?

 

Au regard de ce que nous avons dit plus haut, tout Burkinabè peut manger équilibré. C’est la quantité qui peut ne pas être suffisante pour certains groupes, mais c’est le devoir du gouvernement et de chaque Burkinabè, de faire en sorte que tout Burkinabè mange à sa faim. Cela est possible si nous encourageons la consommation des aliments locaux en améliorant leur qualité ainsi que leurs disponibilité et accessibilité. Cela va encourager les producteurs également. Nous pouvons être aussi un modèle de sécurité alimentaire, pour peu que la jeunesse retourne à la production familiale (agriculture, élevage, pêche, forêt). Beaucoup d’efforts sont faits dans ce sens, mais les informations ne sont pas disponibles au public. C’est pourquoi votre initiative est très louable et doit être encouragée.

 

Autrement dit, peut-on manger équilibré quand on est pauvre?

 

Je profite de cette opportunité pour demander aux Burkinabè de cesser de dire qu’ils sont pauvres car la pauvreté est une malédiction. Les conditions de vie sont, certes, plus ou moins difficiles pour les uns et les autres. Mais si nous sommes véritablement des hommes intègres, petit à petit nous viendrons à bout de toutes ces difficultés. Par exemple, un plat composé de feuilles de haricot avec du mil concassé auquel on ajoute une poignée de poudre d’arachide et assaisonné avec du beurre de karité ou de l’huile de coton, est équilibré. Pour le consommer, il faut manger deux fruits de saison 30 minutes avant. Il faut, en outre, boire de l’eau à température ambiante entre les repas et non pendant les repas, pour faciliter la digestion. Avant ou pendant le repas, on peut boire une tisane chaude. Il y a aussi le tô de mil à la sauce poisson et gombo ou « boulvaka » sec. Il y a le riz ou le  fonio à la sauce pâte d’arachide avec des légumes. Manger deux fruits de saison et boire de l’eau entre les repas, etc. Qui ne peut pas s’offrir ces mets ? Les Burkinabè sont complexés ou peu informés. En effet, malgré les connaissances que nous avons aujourd’hui sur nos aliments locaux, les intellectuels préfèrent les aliments importés, qui sont malheureusement chers en termes de rapport coût/valeur nutritive. Par exemple, si on veut manger du pain, toutes les boutiques en disposent. Mais pour les galettes ou les beignets de haricot, il faut un parcours du combattant. Or, sur le plan nutritif, ils sont plus riches que le pain. Mais ces mets locaux coûtent chers également, à cause de l’offre qui est faible puisque non prisés. Maintenant c’est la période du jeûne musulman et on peut trouver des galettes partout, parce que la demande est forte. Mais après le jeûne, ces mêmes personnes vont recommencer à manger le pain.

 

Quels sont les risques auxquels on s’expose si on n’a pas une alimentation équilibrée ?

 

Si les repas ne sont pas équilibrés et suffisants, on peut tomber dans la malnutrition.

L’insuffisance en macronutriments (sucre, acides aminés et acides gras), chez les enfants, entraîne un retard de croissance, une maigreur et un poids insuffisant. Ils seront peu performants sur tous les plans et seront souvent malades. Chez les femmes et les jeunes filles, elles seront peu productives et auront des enfants de petit poids à la naissance et  cela entraîne les risques de maladies chroniques à l’âge adulte (surpoids, obésité, diabète, HTA, MCV, etc.). Les hommes et les jeunes garçons malnutris deviennent également peu productifs.

Il y a d’autres maladies qui sont dues à l’insuffisance de micronutriments (vitamines, minéraux). Ce sont l’avitaminose A, le goitre, l’anémie, etc.

La malnutrition a aussi des conséquences sociales. En ce sens qu’un malnutri peut devenir intolérant, violent, rebelle, etc. En somme, la malnutrition est un fardeau. Cela va commencer dans les familles avec la dislocation des liens (les parents vont communiquer peu et seront souvent dehors, de même que les enfants, etc.). Le respect mutuel ayant disparu, l’autorité parentale également, cela va se transporter dans la rue.

A titre d’exemple, si l’on ne boit pas suffisamment d’eau, le volume du sang diminue. En cas d’insuffisance de sang, le cœur qui est le gestionnaire de la distribution du sang va privilégier les organes vitaux que sont le cœur lui-même et le cerveau. Les autres organes n’ayant pas assez de sang qui fournit tous les nutriments nécessaires pour leur fonctionnement, ne seront donc pas performants.

Par exemple, les poumons ne pourront pas purifier le sang, par insuffisance d’oxygène qui permet de “brûler” les nutriments énergétiques pour leur fournir l’énergie dont ils ont besoin.

Un autre exemple, ce sont les os qui utilisent le fer et la vitamine B12 et d’autres nutriments pour fabriquer les globules rouges qui transportent l’oxygène aux organes. Si le fer et la vitamine B12 ne sont pas suffisants, les os ne pourront pas fabriquer suffisamment de globules rouges et cela provoque l’anémie ferriprive. Les globules rouges ne seront pas suffisants pour transporter l’oxygène nécessaire pour fournir l’énergie à tous les organes. Alors la personne anémiée se fatigue vite ; donc, devient peu performante au travail ou à l’école. Les travailleurs seront moins productifs et corruptibles.

Il faut donc que chacun boive à sa soif et mange à sa faim.

Manger équilibré et assez est à la portée des Burkinabè, avec un peu plus de solidarité et d’engagement de chacun selon ses capacités. Une des voies est la valorisation des aliments locaux. Dieu a d’abord créé tout ce dont l’Homme a besoin. Ainsi, à chaque saison, les plantes produisent ce dont nous avons besoin. Manger selon la saison revient moins cher et est bon pour la santé. En effet, les aliments produits à chaque saison sont les mieux adaptés à nos besoins de la saison et impliquent peu de transformation. La technologie permet d’améliorer la sécurité alimentaire bien sûr et permet de manger en toute saison. Mais les aliments hors saison sont beaucoup plus chers, surtout quand ils sont d’un environnement éloigné. De nos jours également, la recherche effrénée de l’argent fait que les gens cueillent les fruits avant maturité ; ils mettent ainsi en péril la survie de l’espèce et des générations futures. A cause de la pollution par les sachets plastiques, la production des plantes a pris un coup terrible. Elles tiennent mais pour combien de temps encore ? Il faut urgemment prendre en charge les sachets plastiques déversés dans la nature et qui couvrent les arbres et gênent la photosynthèse.

Il faut donc un comportement responsable dans l’exploitation et la protection des plantes, afin qu’elles continuent à nous fournir l’oxygène et à nous débarrasser du gaz carbonique ; aussi qu’elles nous fournissent les aliments qui sont essentiels car nous ne pouvons les fabriquer. Sans oublier tout ce que l’environnement nous procure (médicaments, bois, paysage, carburant, etc.).

Lorsque l’on consomme en excès les aliments, des maladies peuvent survenir, c’est le cas du surpoids, l’obésité, du diabète type 2, des MCV (Maladies cardio-vasculaires), etc.

 

Est-il vrai, comme le pensent certaines personnes, que les bouillons culinaires jouent négativement sur la santé des populations?

 

C’est vrai, les bouillons culinaires ne sont pas bons pour la santé parce que ce sont des produits de synthèse trop riches en sel. Le sel favorise la survenue de l’hypertension artérielle. C’est pourquoi l’OMS recommande de ne pas en consommer plus d’une cuillère à café par jour (5g/j). D’ailleurs, le sel contenu naturellement dans les aliments, couvre les besoins de l’organisme. C’est par habitude alimentaire que l’on ajoute le sel. Pour lutter contre la carence en iode au Burkina Faso, le sel est iodé. Pour bénéficier de cet iode, il faut ajouter le sel en fin de cuisson ; autrement, l’iode s’évapore.

Il faut noter aussi que ces cubes contiennent des acides gras qui sont cancérigènes. Pour améliorer le goût des mets, on peut utiliser de la poudre de poisson ou de volaille ou de viande séchée de façon naturelle. On en trouve à présent en vente dans les supermarchés. On peut ajouter du haricot, du « zamnè ou du soumbala » ou du « bicalga » dans la sauce, pour en améliorer le goût.

 

 

Quels sont les aliments que les personnes d’un certain âge doivent consommer pour être en bonne santé ?

 

A tout âge on doit manger équilibré et suffisamment pour couvrir ses besoins. Cependant, les jeunes enfants et les personnes âgées ont besoin d’assistance car ils peuvent oublier de s’alimenter selon les circonstances.  Par exemple, il faut servir les enfants à part ainsi que les personnes âgées (d’ailleurs au village, ils mangent ensemble) parce que manger avec les adultes et les adolescents, ne peut pas leur permettre de manger suffisamment. Or, les enfants sont en pleine croissance et ont donc des besoins importants (un adulte a besoin de 1g de protéine/Kg/jour ; or un enfant a besoin de 3 fois plus). Les personnes âgées oublient de manger quand elles ne sont pas entourées. Les besoins des personnes âgées sont également plus élevés (1,5g de protéine/Kg et par jour). Il faut offrir aux enfants et aux personnes âgées des mets faciles à digérer comme les bouillies, soupes, purées, etc. Il ne faut pas trop les cuire mais il faut les écraser et les cuire normalement. Pendant la croissance, l’enfant doit recevoir assez de calcium pour former ses réserves car à l’âge adulte, compenser la déficience en calcium est difficile, en particulier pour les femmes en ménopause. En plus, pendant le 3e âge, les os (réserves de calcium) se décalcifient naturellement.

Il n’est pas bon de manger tard, mais il faut manger quand on a faim car, la faim est un signe d’un besoin de l’organisme.

 

 

Quels sont les aliments qu’il faut consommer la nuit ?

 

On doit manger quand on a faim et non parce qu’il y a à manger. Si c’est pour dormir, on doit manger léger mais, il faut tous les groupes d’aliments.

En général, on mange bien le matin, on compense à midi. Le soir, cela dépend de ce que nous avons à faire. Mais il est conseillé de manger au plus tard à 19h, sinon, il faut dormir 3h après avoir mangé. Autrement le cerveau ne se repose pas. Or, c’est lui qui permet de récupérer de la fatigue, d’avoir et communiquer la bonne humeur, bien-sûr à condition d’avoir bien mangé.

 

Interview réalisée par Valérie TIANHOUN

 

 


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