HomeA la uneELABORATION DE LA NOUVELLE CHARTE IVOIRIENNE : La nouvelle Constitution saura-t-elle transcender les égoïsmes ?  

ELABORATION DE LA NOUVELLE CHARTE IVOIRIENNE : La nouvelle Constitution saura-t-elle transcender les égoïsmes ?  


 

C’est la saison des consultations tous azimuts en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle loi fondamentale pour le pays. En effet, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) a initié une série de concertations avec les leaders d’opinion de son pays, en vue de recueillir les préoccupations et suggestions des uns et des autres en ce qui concerne le projet de révision de la Constitution ivoirienne. C’est dans cette optique que s’inscrit la rencontre qu’il a eue avec les rois et chefs traditionnels ainsi que les guides religieux de Côte d’Ivoire, le 8 juin 2016. Certaines concertations ont précédé celle-ci et d’autres la suivront. Mais une question et non des moindres, se pose : la nouvelle Constitution saura-t-elle transcender les égoïsmes ? Saura-t-elle mettre en avant les seuls intérêts du peuple ivoirien en gommant les nombreuses scories de la Constitution actuelle, comme les dispositions sur les conditions d’éligibilité qui ont nourri “l’ivoirité” ? Saura-t-elle échapper aux calculs mesquins des acteurs ? Il faut l’espérer car ce pays mérite une loi fondamentale qui garantisse la paix et la concorde nationales. Mais des inquiétudes demeurent. Déjà, au nombre des propositions des rois et chefs traditionnels, on ne peut passer sous silence celle relative à la possibilité d’un troisième mandat pour le chef de l’Etat. Certes, il est indéniable que les chefs coutumiers, au regard de leur droit à la liberté d’opinion et de parole, mais aussi de leur place centrale dans la société, doivent faire toute proposition qu’ils jugent appropriée.

Les coutumiers avaient un tout autre rôle à jouer que de s’amuser à semer les graines d’une nouvelle déflagration

C’est un principe qui a droit de cité dans un Etat de droit qui se respecte. Seulement, il est à se demander si cette idée de 3e mandat présidentiel est opportune. Assurément, non. Les chefs coutumiers, faut-il le rappeler, sont censés être des garants de la paix et de la cohésion sociales dans un pays. Il leur revient, à eux et aux autres leaders d’opinions, de travailler à aplanir les difficultés entre hommes politiques de divers bords, à prévenir les conflits et à les éteindre en cas d’embrasement. Pour un pays comme la Côte d’Ivoire qui revient de très loin, qui a subi les affres de la guerre fratricide pour le pouvoir d’Etat, les coutumiers avaient un tout autre rôle à jouer que de s’amuser à semer les graines d’une nouvelle déflagration. Ils auraient été mieux inspirés de faire comme les religieux qui ont retenu le principe de soumettre leurs propositions par écrit après réflexion, de « tourner sept fois leur langue dans la bouche, avant de parler », comme le recommande la sagesse en pareilles circonstances. En effet, il est notoire que depuis le décès de Félix Houphouët Boigny, la Côte d’Ivoire a vécu bien des crises politiques dont le point culminant a été celle de fin 2010, début 2011. Les racines de ces crises se trouvent, pour beaucoup, dans les règles de dévolution du pouvoir d’Etat et dans l’attitude des acteurs politiques face à ces règles. La Constitution ivoirienne étant à l’origine de bien des crises qui ont secoué le pays, chaque acteur devrait comprendre la nécessité de fuir comme la peste, toute disposition constitutionnelle litigieuse, susceptible de porter encore les germes d’une nouvelle crise. D’ailleurs, l’expérience de nombreux pays africains, ces dernières années, montre à suffisance en quoi la question du tripatouillage des règles relatives à la limitation du nombre des mandats présidentiels, a fait le lit de bien des tragédies. Les crises politiques dans des pays comme le Niger et le Burkina Faso, pour ne citer que ces deux voisins de la Côte d’Ivoire, sont assez éloquentes sur le caractère dangereux d’une volonté de prolonger un mandat présidentiel arrivé à terme. La situation ivoirienne est d’autant plus périlleuse que le pays est déjà profondément divisé et que des efforts titanesques sont plus que nécessaires pour recoller les morceaux. Dans un tel contexte, toute attitude, toute proposition qui fait fi des efforts d’apaisement du climat sociopolitique ou de réconciliation, est dangereuse. Une proposition de ce genre relève d’une courtisanerie dégueulasse. Ses auteurs ne pensent, en réalité, qu’à leurs intérêts égoïstes, pour ne pas dire à leur panse. Ils reçoivent déjà régulièrement des subsides de l’Etat ivoirien en raison de leur statut. Par une telle proposition, les rois et chefs traditionnels espèrent trouver davantage grâce aux yeux du chef de l’Etat. Ils caressent probablement le rêve de voir le président  ivoirien majorer leurs avantages. Le moins que l’on puisse dire, c’est que de tels calculs ne sont pas dignes de leaders coutumiers, garants des traditions et de l’idéal de dignité et de probité chères à leurs aïeux. Il faut espérer que ADO ne se laissera pas entraîner dans la boue par ces griots ou vendeurs d’illusions.

Aller dans le sens d’un mandat supplémentaire, c’est entrer dans une zone de turbulences

Du reste, le sort de son hôte, Blaise Compaoré, est une preuve palpable, si besoin en était encore, de la nécessité pour tout chef d’Etat, de ne pas se croire irremplaçable. En réalité, on voit mal ADO se prêter à ce jeu dangereux, sauf à vouloir se faire hara kiri. Du reste, le serment qu’il a fait et le pacte qu’il a conclu avec l’ancien président Henri Konan Bédié, ne lui permettent certainement pas de chercher à s’accrocher au pouvoir au-delà de ce 2e mandat. Car, nul n’ignore l’apport du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dans l’élection et la réélection de ADO. Les voix discordantes qui se sont élevées lors de la dernière présidentielle en ce qui concerne le soutien du PDCI au chef de l’Etat actuel, en disent long sur la réaction des jeunes leaders du PDCI en cas de prolongation du bail de ADO. Le parti attend certainement son tour après ADO et certains rongent déjà leurs freins. Chercher donc à aller dans le sens d’un mandat supplémentaire, c’est entrer dans une zone de turbulences pour le pouvoir actuel. Ce d’autant plus que le Front populaire ivoirien (FPI) non plus ne voudra, en aucun cas, l’entendre de cette oreille. Sans compter la société civile et les religieux qui vont probablement rechigner à entériner une compromission de ce genre, de nature à remettre en cause le principe de l’alternance au pouvoir. Car, l’appétit venant en mangeant, quiconque est tenté par un 3e mandat pourrait facilement l’être par un 4e et au finish, par le pouvoir à vie. Dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Constitution ivoirienne, l’idée également de la création d’un poste de vice-président en plus de celui de Premier ministre, intrigue. Cette idée d’Exécutif tricéphale, également validée par les rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire, procède certainement de la volonté des hommes politiques, du moins du régime actuel, d’avoir plus de postes à partager. Mais, même si la Côte d’Ivoire a les ressources financières pour supporter de telles charges, on ne voit pas vraiment l’utilité d’avoir un poste de vice-président et un autre de Premier ministre en même temps. Pour le bien des ressources publiques, il serait préférable de faire l’économie d’un des deux postes. En somme, il importe, pour les Ivoiriens, de faire preuve de discernement, de sagesse pour éviter d’élaborer une autre Constitution « confligène ». La Côte d’Ivoire se doit de réussir l’élaboration et l’adoption d’une charte véritablement consensuelle. Ce, à travers une commission représentative autant que faire se peut, de toutes les sensibilités politiques et de tout l’univers socio-religieux. La nouvelle Constitution ivoirienne devrait être le reflet de la capacité de ses filles et fils à tirer leçon de leurs errements passés, et de leur volonté d’envisager avec sérénité et responsabilité l’avenir.

« Le Pays »

 


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