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ENJEUX DES TEMPS NOUVEAUX


L’auteur de la présente tribune interpelle toutes les couches sociales, en l’occurrence les intellectuels, sur une nécessaire prise de conscience face aux enjeux des temps nouveaux. Selon l’auteur, celui qui veut critiquer doit avoir « l’humilité, l’honnêteté et le courage de se soumettre à un contrôle intérieur ». Lisez !

 

« Le débat impétueux continue. A quoi pourrait-il servir ? Les yeux, les cœurs, les oreilles et les bouches sont les pourvoyeurs indomptables de l’unité centrale de l’humain qu’est la conscience. Ils jouent chacun sa partition pour que le débat soit fertile et fécond avec une conscience en possession de tous les éléments qui permettent de parler en connaissance de cause. Un débat interminable parce qu’il est inépuisable ; ressassant tous les compartiments de notre monde en difficulté devant l’aveuglement des êtres humains que nous sommes et qui, ironie du sort, constituons sa réalité expressive la mieux élaborée.  Ce que nous faisons, voyons, entendons et suivons ces temps-ci, peut écorner la vigilance et la rigueur des analystes suspendus aux couleurs des images, à la tonalité du son des discours et à la perfection révélée des plumes. Mais attention ! L’éclat du paraître est fugitif, tandis que le réel est une donnée qui dure et perdure avec des marques indélébiles. La mémoire collective peut témoigner sur la fertilité imaginative de l’esprit de nos devanciers et sur l’intéressante fécondité des productions qui leur sont dues. Le troisième âge réécoute avec nostalgie les discours de leurs grands frères qui ne sont plus de ce monde. Ils relisent aussi avec passion leurs déclarations écrites dénonçant l’injustice des exactions de l’époque, ou réclamant le droit naturel à l’égalité et à la dignité humaine.  Loin de moi l’idée de dire ou simplement de penser qu’à cette époque, c’était le miel qui coulait dans les bouches. Non, ce n’était pas de la cocagne. A preuve, beaucoup de ceux qui ont connu cette ère et les jeunes générations reconnaissent à l’unisson, en faisant la rétrospective, que le passé est griffé d’insuffisances ou même de manquements qui nous maintiennent aujourd’hui dans l’embarras des choix stratégiques, oh combien nécessaires à l’affirmation de notre identité en tant qu’Etats souverains et peuples dignes de respect. A chaque époque ses succès et ses échecs, ses délices et ses mélancolies, ses insuffisances et ses surnombres. Pour réussir à renverser les mauvaises tendances, il faut s’attaquer à l’état d’esprit actuel chez tous : anciens et jeunes, femmes et hommes lettrés et illettrés, administrés et administrateurs, nantis et pauvres. En un mot, tout le monde doit passer au purgatoire. Mais il est évident qu’il est plus facile de soigner les côtes brisées qu’une infinitésimale fêlure dans le cerveau ; d’où l’urgence d’attaquer le mal à sa racine sans la moindre hésitation.   La mentalité de nos concitoyens est atteinte d’une maladie grave ; heureusement, pas incurable. Il s’agit de cette maladie banalisée qui porte atteinte à l’honneur et à la dignité humaine.  En effet, le Moi isolé, fragmenté et égocentrique est maintenant une guirlande que l’on exhibe à cœur joie à chaque occasion et devant tous les cas de figure, au détriment de l’idée du champ collectif, vu comme étant antinomique au stimulant et au progrès individuels. Dès lors, l’impératif de la transformation qualitative des mentalités s’avère être une urgence à planifier et à réussir. Bander les yeux sur le devoir citoyen et patriotique dépasse la frontière de l’anomalie. Il s’agit d’un déracinement en profondeur de la raison et du bon sens. Il me semble donc impérieux d’insister sur la nécessité de s’atteler à retrouver l’harmonie entre le dire et le faire qui accuse une dégradation sans précédent. C’est peut-être même une priorité qui, résolue et mise en connexion avec la question sécuritaire, qui est, par ailleurs, une question de vie ou de mort, prouvera l’excellente vertu de sa position.  Le lien entre ces deux questions n’est peut-être pas visible pour tous, mais il existe, réel et déterminant pour la réalisation de la cohésion sociale. La parole donnée doit retrouver sa superbe. Elle est le pilier central de la morale qui guide vers les autres horizons des mœurs éducatives.  Les débats en cours ont comme plat de résistance le terrorisme et le rôle de la France dans la vie de ses anciennes colonies. La France-Afrique de Montpellier, en octobre 2021 avec Achille Mbembé en tête d’affiche, suscite des déballages, casse-cou. Les controverses entre intellectuels africains sur les enjeux du sommet en question sont à suivre, surtout à méditer.  En effet, comme toujours, les intellectuels sont divisés sur le plan des idées ou options idéologiques. Mais le sont-ils toujours sur des questions essentielles et fondamentales ?

Le doute est permis car souvent, et même très souvent, ce sont les épiphénomènes qui bénéficient du temps le plus long des débats au grand dam des questions brûlantes et fondamentales.

La vraie problématique, c’est, qui est crédible ? Qui croire ? La belle plume transcrit-elle authentiquement et fidèlement les battements du cœur que parfois trahit le discours publié et répandu ? La quadrature du cercle est ici et elle sème le doute et la confusion qui conduisent aux tergiversations pour aboutir à la remise en cause et à l’effondrement des belles embellies. Il faut donc que les différents acteurs (intellectuels et autres) se ressaisissent pour faire échec à la primauté du superflu sur l’essentiel, de l’exception sur la règle. L’âme humaine permissive au délire avec des cerveaux qui s’engraissent dès l’obtention de la moindre prébende, pose d’énormes problèmes à l’équilibre des sociétés qui connaissent une crise dangereuse. Il s’agit ici d’une équation épineuse qui mérite une attention soutenue. Elle doit être au cœur des cogitations qui se rapportent à la sortie de crise de nos sociétés engluées dans une dépersonnalisation suicidaire. La prise de conscience des intellectuels quant à leur rôle, qui devient de plus en plus mi-figue mi-raisin, est nécessaire face aux enjeux des temps nouveaux. C’est le moment ou jamais pour chaque segment de notre société de prendre ses responsabilités en s’assumant pleinement. Le discours officiel n’est plus qu’une caisse de résonnance. Les beaux parleurs doivent se le tenir pour dit. La célébrité de Kwame Nkrumah, Ahmed Sékou Touré, Modibo Keita, Patrice Emery Lumumba, Thomas Sankara et l’inimitable et incontournable Nelson Madiba Mandela n’est pas seulement le fait des beaux discours prononcés qui, toutefois, il faut le reconnaître, ont eu un impact indiscutable dans les cœurs et les esprits. Ils ont tous été concrets et percutants. Ils étaient en osmose avec les populations au nom desquelles ils choisissaient et décidaient dans l’optique de la satisfaction des intérêts du plus grand nombre.  Aujourd’hui, le mensonge est en train de devenir un fonds de commerce sur tous les étages de notre société profondément liquéfiée. Il fut un temps où la parole d’un militant (syndicaliste, politique) ou d’un universitaire engagé à gauche était de l’or en barre. Ces gens-là, pendant longtemps, avaient bénéficié, dans l’opinion publique, d’un préjugé favorable. Actuellement, tout le monde est logé à la même enseigne ; sous caution. Même les agents assermentés sont rudoyés dans les cordes raides de la confiance qui n’exclue pas le contrôle. Les faits ont la peau dure et ce sont eux qui raidissent les positions des uns et des autres.  Lorsqu’on critique en dénonçant à tous crins, il faut avoir la présence d’esprit, l’humilité, l’honnêteté et le courage de se soumettre à un contrôle intérieur. Il faut s’observer soi-même, surveiller son propre comportement pour éviter une désharmonie entre le dire et le faire qui est le berceau d’où sont propulsés les désamours et les soubresauts calamiteux.                                Or, le constat que l’on peut faire est que le péché mignon des soi-disant leaders réside là ; et il est hautement préjudiciable à l’harmonie, à la cohérence et à la cohésion des grands ensembles.  Cela étant, tout le monde ne peut pas être bon ou mauvais et crasseux. Que la minorité qui a résisté et qui résiste encore ne le regrette pas. L’histoire saura rappeler à tous, avec brio et preuve à l’appui, que la raison de la victoire numérique par le fait de l’adhésion du plus grand nombre n’est pas et ne sera pas toujours celle qui fera le bonheur des peuples. La raison et la vérité des minorités, si elles sont authentiques, sincères et honnêtes, elles seront inoxydables avec cette capacité irrésistible d’attirer, de rassembler, de retenir et d’unir en toute conscience pour fabriquer les vrais outils qui réaliseront l’indépendance et le développement des pays. Le débat, plus qu’utile, est nécessaire ; mais, avant de s’y engager, il faudra répondre à la question suivante : à quelle fin et pour quel objectif ? La réponse à cette question préjudicielle favorisera diverses options qui seront dès lors permises, acceptables et recevables.   Il faut vouloir et savoir libérer sa conscience pour la mettre au service de l’émancipation et de l’épanouissement de la collectivité nationale, quant à elle, éloignée du port du casque colonial et des esclaves de maison. Ensemble, nous ferons le meilleur pour chacun de nous ?

 

Ouagadougou, le 28 mai 2021

 

 

Hassane WEREME »


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