ETIENNE TRAORE AU PRESIDENT DU FASO:« La force des institutions réside dans la confiance que leur vouent les citoyens »
La sortie médiatique du président du Faso à Washington n’en finit pas de faire des vagues. Dans le point de vue ci-dessous, Etienne Traoré lui apporte la réplique, car il estime que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de grands hommes ». Lisez !
Le 5 août à Washington, au Président américain Obama qui privilégiait, pour l’Afrique, des “Institutions fortes” par rapport aux “Hommes forts”, Monsieur le Président Compaoré, vous avez contradictoirement répondu en ces termes : « Il n’y pas d’Institutions fortes, s’il n’y a pas d’hommes forts pour poser les jalons de ces Institutions ». Voici ce que j’en pense, aux regards des principes démocratiques universellement reconnus, des pratiques des “Hommes forts en Afrique” et des réalités vécues au Burkina Faso depuis bientôt trois décennies.
Tout d’abord, je ne pense pas qu’il s’agisse ici d’une réplique nationaliste comme vos zélateurs (très amis de vos poches larges et profondes) le disent, allant jusqu’à identifier faussement vos propos au NON historique de Sékou Touré au Général De Gaulle, le 28 septembre 1958, chez lui à Conakry. Ici, vous êtes bien la personnalité de premier plan, dans les réseaux de la Françafrique, depuis la disparition du Président Houphouët Boigny et un ultra libéral bien félicité dans ces milieux libéraux. Tout à la différence de Sékou Touré! Je pense alors qu’il s’est agi d’une expression de colère défensive, un coup de gueule stérile et potentiellement nuisible à notre coopération avec les USA.
Maintenant, qu’appelle-t-on “Hommes forts en Afrique”?
Pour vraiment me résumer, il s’agit de présidents, d’abord arrivés au pouvoir par la force ou par des urnes corrompues et trafiquées. Ils exercent ensuite le pouvoir de façon autocratique et patrimoniale, en se servant d’énormes moyens financiers (accumulés arbitrairement et frauduleusement dans les secteurs les plus rentables des économies nationales), pour corrompre et entretenir de vastes réseaux de clientélisme et maintenir l’hégémonie financière de leurs clans familiaux. Ils se servent aussi de la violence ouverte (par certaines forces militaires et paramilitaires dont les chefs sont gâtés à merci pour assurer la pérennité de leurs pouvoirs) ; mais aussi d’une violence plus dissimulée à travers les pratiques injustement discriminatoires de leurs partis dans les administrations publiques. Leurs partis, uniques ou souvent dominants et maintenus comme tels par les recours aux fraudes et à la grande corruption électorale, occupent tous les postes administratifs importants, tout en empêchant les opposants ou leurs proches d’avoir les promotions auxquelles ils ont droit, de par leurs compétences et expériences. Sous leur règne en Afrique, les “Hommes forts” dominent et écrasent toutes les Institutions où ils nomment (peu importe leurs compétences) leurs parents et autres obligés, ce qui leur permet de modifier et manipuler ces Institutions selon leurs intérêts. De ce fait, ces Institutions sont assujetties et vassalisées, rendues alors incapables de jouer véritablement leurs rôles. Et ainsi, plus ces “Hommes” sont “forts”, plus les Institutions sont faibles! C´est d’ailleurs pourquoi ces Institutions dépendantes ne survivent pas généralement aux “Hommes forts”. Elles s’écroulent! J’ajoute que ces “Hommes forts” dont la caractéristique principale est moins de construire leurs pays que de jouir des énormes avantages du pouvoir d’Etat, ne veulent pas quitter leurs petits paradis terrestres. Voilà pourquoi ils veulent s’éterniser au pouvoir, en tripatouillant les lois et en se présentant comme des “Hommes indispensables” appelés ici le Grand Timonier, le Père de la Nation, l’homme providentiel; et là, tout simplement Papa, Tonton ou même Envoyé par Dieu… Ils finissent par croire en ces flatteries alimentaires, en se prenant pour des hommes exceptionnels, surhumains, messianiques, voire des “Grands Hommes” pour lesquels l’alternance est une injustice, une aventure chaotique, une usurpation!
Et pourtant, l’alternance au pouvoir fait partie des fondamentaux universels de la démocratie aux côtés de la liberté et l’égalité des personnes, le respect et la garantie des droits de l’Homme (droit à la vie, liberté de mouvement, d’opinion de culte…), l’existence d’un Etat de droit, le multipartisme, l’indépendance et la balance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, l’existence de contrepouvoirs civils (Société civile) et politiques (partis politiques de l’opposition), etc. Tout cela est consigné dans notre Constitution. Et c’est sur cette base que notre pays a engagé des coopérations avec des puissances étrangères qui ont alors légitimement le droit de s’étonner quand elles constatent des contradictions entre ce que nos Chefs font ou veulent faire et ce que prescrivent dans le fond, nos textes démocratiques. Elles peuvent alors faire des observations (ça se fait entre amis) pour s’assurer que nous continuons de partager les mêmes valeurs avec elles, sans que cela ne soit de l’ingérence dans les politiques africaines.
De ce qui précède, je laisse à mes lecteurs, surtout nationaux, le soin de constater jusqu’où le Président Blaise Compaoré est un “Homme fort”. D’ailleurs, lui-même le revendique! Et c’est justement sa toute-puissance qui écrase nos Institutions, rendues si faibles qu’elles ne peuvent jouer véritablement leurs rôles et qu’elles subissent un déficit de confiance croissant de la part de nos concitoyens : à la Justice qui devrait appliquer la loi de façon équitable et impersonnelle, c’est plutôt une Justice véritablement à deux vitesses où les puissants du jour jouissent d’une impunité permanente alors que les autres justiciables sont punis pour, parfois, des larcins et frustrés souvent de leurs droits. C’est le règne et la promotion des “Juges acquis” (terme utilisé par un actuel dignitaire du régime alors ministre de la justice, pour désigner les juges qui obéissent au doigt et à l’œil du pouvoir exécutif). Voilà pourquoi de nombreux dossiers d’importance nationale y restent dans les tiroirs, que l’impunité demeure un fléau et que, consécutivement, nos compatriotes ont peu confiance en leur Justice par leur tendance à se rendre justice eux-mêmes. Le Parlement qui devait exprimer la volonté du peuple en adoptant des lois conformes à ses intérêts, fonctionne principalement à la satisfaction du Pouvoir exécutif, lui-même dominé et aux ordres de notre “Homme fort”. C’est donc le même type de soumission où les députés de la majorité ont une peur bleue de déplacer quelques virgules, veulent même répondre à la place des ministres qu’ils prennent toujours soin de féliciter avant et après leurs questions, presque toujours de complaisance. Voilà pourquoi nombre de nos compatriotes jugent cette Institution inutilement budgétivore. Quant au Pouvoir exécutif qui devrait exécuter la volonté du peuple par la promotion du bien et de l’intérêt public, il est souvent perçu, exemples concrets à l’appui, comme plutôt un lieu d’enrichissement personnel rapide.
Or, en vérité, la force des Institutions réside plutôt dans la confiance que leur vouent les citoyens ; leur capacité à se pérenniser en résolvant pacifiquement tous les problèmes de la vie commune et de la gouvernance qui se posent dans le temps ; leurs capacités à survivre à leurs Chefs. Cette force n’est donc pas liée à la durée au pouvoir, mais bien plutôt à ce qu’on fait du pouvoir!
Je termine mes propos en insistant pour dire :
Que par nos luttes et l’aide de Dieu le Tout-Puissant, nous favorisions l’avènement de ces “Grands Hommes” dans une Afrique qui, encore ça et là, subit le joug des “Hommes forts”.
Etienne Traoré, Université de Ouagadougou, 14 Août 2014. Blog: nababio.blog4ever.net
Anonyme
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J sui vraima d’avis avc vs. Merci d continuer a eveiller la conscience de la jeunesse burkinbè.
19 août 2014naanga
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J sui totalemen d’acord, RAS
21 août 2014