ETIENNE TSHISEKEDI : Un cadavre en otage
Deux semaines après son décès en Belgique, l’opposant historique congolais, Etienne Tshisékédi, attend toujours d’être conduit à sa dernière demeure dans son pays natal. En plus des tiraillements sur fond de négociations politiques entre pouvoir et opposition autour des obsèques du défunt dont on n’a aucune idée de la date de l’inhumation, la famille vient de jeter un pavé dans la mare en mettant en doute le travail de l’équipe médicale qu’elle soupçonne d’avoir commis une erreur qui a été fatale au « Vieux », pour « avoir réalisé une anesthésie générale, là où une anesthésie locale aurait pu suffire ». Si elle venait à demander une autopsie comme il se susurre, nul doute que cela renverrait aux calendes… congolaises le rapatriement du corps de l’illustre disparu. Pendant ce temps, la polémique autour des conditions de rapatriement du corps ne désenfle pas. En effet, la famille politique du leader de l’UDPS, qui voudrait ériger un mausolée sur son lieu de sépulture, se plaint du rejet des sites symboliques qu’elle avait ciblés, par les autorités de Kinshasa. En outre, l’opposition pose comme préalable aux obsèques, la mise en œuvre de l’accord de la Saint-Sylvestre durement arraché, et qui apparaît aujourd’hui comme le dernier combat du Sphinx de Limété qui a pesé de tout son poids pour parvenir au résultat que l’on sait.
Chaque camp semble tirer la couverture sur lui pour arracher le plus de dividendes politiques
De son côté, le pouvoir ne semble montrer aucune volonté ni disposition à accéder aux requêtes de l’opposition, dans ce qui ressemble à des marchandages nauséeux sur le cadavre du Vieux combattant. Pour le pouvoir, il faut en finir avec les obsèques de l’opposant avant de parler de la mise en œuvre de l’accord. D’autant plus que pour lui, les discussions sont loin d’être terminées. Et son porte-parole d’ajouter : « Nous n’allons pas commencer à nous lancer dans ces discussions-là tant que nous n’avons pas enterré la grande personnalité qui vient de nous quitter ». Une situation qui, si elle n’est pas une prise d’otage d’un cadavre, y ressemble fort. Et le drame est que malgré la gravité de l’heure, chaque camp semble tirer la couverture sur lui pour arracher le plus de dividendes politiques de cette situation macabre. Dans cet ordre d’idées, tout porte à croire que l’opposition veut jouer à fond la carte de la charge émotionnelle de la mort du vieil opposant, pour engranger des acquis qu’elle n’est pas sûre d’obtenir, une fois la parenthèse des obsèques refermée. Et rien ne dit que ce n’est pas non plus pour accorder ses violons, d’autant plus que la disparition subite du Vieux, semble avoir laissé les brebis sans berger. D’autant plus qu’Etienne Tshisékédi représentait l’épouvantail qui pouvait donner des frayeurs au pouvoir par sa capacité de mobilisation et qu’en son absence, l’opposition semble quelque peu désarmée. De son côté, en s’engageant à prendre en charge les obsèques de cette grande figure politique, le pouvoir n’a d’autre objectif que de s’attirer la sympathie et la reconnaissance du peuple congolais, au regard de la stature de l’homme. Mais en rechignant, dans une occasion aussi unique et solennelle, à accéder à la requête de l’opposition, il donne le sentiment de vouloir récolter le maximum de dividendes, en faisant le minimum de concessions. D’autant plus que ce que demande l’opposition, n’est pas la mer à boire, pour peu qu’il y ait eu de la bonne foi dans les négociations qui ont abouti au fameux accord de la Saint-Sylvestre.
Les tiraillements autour de la dépouille de l’opposant historique, traduisent la crise de confiance entre les acteurs politiques congolais
C’est pourquoi l’on est porté à croire que l’intransigeance du pouvoir et son refus d’aller dans le sens de la mise en œuvre de l’accord que demande l’opposition, est un aveu de sa mauvaise foi. Du reste, l’Eglise catholique qui était l’initiatrice du dialogue qui avait abouti à cet accord, n’a jamais caché sa frustration de voir que certains protagonistes de la crise mettaient plus de temps à signer un accord qu’il n’en a fallu pour les négociations. Et l’on peut voir derrière les craintes de l’opposition, une volonté d’éviter une seconde mort du Vieux, car il n’est pas exclu que le pouvoir veuille faire d’une pierre deux coups, en enterrant le Vieux avec ledit accord. D’où cette position du gouvernement qui tend à prioriser les obsèques à la mise en œuvre de l’accord. Une véritable danse des vautours, est-on tenté de dire. A cette allure, c’est Etienne Tshisékédi qui risque de se retourner dans son cercueil ; lui qui, après une si dure vie de combat jusque dans les instants ultimes, mérite bien un repos du guerrier avec les reconnaissances de la nation entière. En tout état de cause, ces tiraillements autour de la dépouille de l’opposant historique, traduisent à souhait la crise de confiance qui existe entre les acteurs politiques congolais. Preuve, si besoin en était encore, que le chemin de la démocratie est encore long et parsemé de nombreuses embuches, d’autant que la sincérité et la bonne foi ne semblent pas les choses les mieux partagées entre acteurs politiques congolais qui, on le sait, se regardent en chiens de faïence, et que même un cadavre n’arrive pas à unir sur des questions de bon sens.
« Le Pays »