FETE DU TRAVAIL AU BURKINA
Le 1er mai de chaque année, est célébrée la journée internationale du travail. Les travailleurs burkinabè, à l’instar de ceux du reste du monde, ont commémoré la 134e journée internationale du travail, le 1er mai 2020. Une commémoration exceptionnelle au regard du contexte national marqué par des crises sécuritaire et sanitaire. Elle a été marquée par la remise du message de la coalition syndicale aux Hommes de médias dans l’enceinte de la Bourse du travail à Ouagadougou. Dans cette déclaration, la coalition syndicale a évoqué la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus, l’exacerbation de la crise sécuritaire et surtout la violation des acquis démocratiques. Elle a aussi félicité l’ensemble des travailleurs pour leur détermination dans la lutte pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, en les invitant à ne céder à aucune forme de division de la part des politiques afin de mieux exploiter les populations et les opposer les unes aux autres. Voici l’intégralité de la déclaration.
Camarades militantes et militants,
« Camarades travailleuses et travailleurs des secteurs public, parapublic, privé et informel du Burkina,
Camarades élèves et étudiants,
En ce jour 1er mai 2020, à l’instar des travailleurs du monde entier, nous rendons hommage à la lutte héroïque des ouvriers de Chicago. Depuis le 1er mai 2019, nous avons perdu des camarades, responsables comme militants. Parmi eux, nous faisons une mention spéciale aux deux doyens Zakaria Ben Houssen Touré (l’un des signataires de la motion de grève générale du 3 janvier 1966), et Docteur Hubert Yaméogo (porte-parole du front syndical le 28 janvier 1985). Nous saluons leur mémoire, ainsi que celle des nombreuses victimes (populations civiles et Forces de défense et de sécurité), et vous invitons à avoir une pensée pieuse à leur endroit. Nous commémorons ce 1er mai 2020 dans un contexte particulier marqué par l’aggravation de la crise sécuritaire, la violation des acquis démocratiques, la crise sanitaire marquée par la pandémie du Covid-19.
Sur la crise sanitaire :
Apparu en Chine en décembre 2019, le coronavirus, baptisé par l’OMS Covid-19, est devenu une pandémie qui frappe plus de 185 pays dans le monde, infecte à ce jour plus de 2 000 000 de personnes et fait des dizaines de milliers de victimes. La pandémie a des effets dévastateurs sur les économies et sur les relations sociales. Elle a réduit au chômage des millions de travailleurs et interrompu diverses activités économiques. La progression de la maladie a conduit un peu partout à des mesures restrictives des libertés des citoyens. De toute évidence, la pandémie du coronavirus révèle de façon patente les limites du système de domination politique caractérisé par l’exploitation de l’homme par l’homme et pompeusement baptisé mondialisation. Le monde devenu «village planétaire» est otage de la facilité des puissances impérialistes. Malgré les progrès scientifiques et technologiques extraordinaires, malgré les ressources dont dispose l’humanité aujourd’hui, une pandémie est venue rappeler que véritablement le système capitaliste, sur le plan social, n’a pas amené l’humanité assez loin de l’ère de la découverte dc la pénicilline. La gestion de la pandémie révèle également les contradictions existantes entre les puissances impérialistes et les risques d’une conflagration mondiale. Au Burkina, l’apparition de la pandémie a accentué les difficultés de notre peuple et partant, celles du monde du travail. Ainsi, elle met davantage à nu la déliquescence dans laquelle se trouvent particulièrement les secteurs sociaux de base du fait de l’application de politiques néolibérales ayant conduit à leur privatisation. Tel est le cas de la santé qui est au centre de la lutte contre la pandémie. Elle étale également aux yeux des plus sceptiques, l’incurie des tenants actuels du pouvoir. Les récentes sorties de ténors du pouvoir indiquent clairement que le MPP n’a pas fini de gérer ses contradictions internes pour avoir la sérénité de conduire convenablement les citoyens vers le progrès. Cette pandémie est même devenue pour certains un champ de cacao et pour d’autres, une forêt de refuge d’où ils sortent de temps à autre pour braquer les acquis démocratiques.
Sur l’aggravation de la crise sécuritaire :
De jour en jour, les populations vivent la désolation dans tous ses compartiments. Des centaines d’écoles et de Centres de santé fermés, des villages abandonnés, des centaines de victimes militaires et civiles, des milliers de déplacés internes etc. Ces constats douloureux ne sont que les conséquences d’une gouvernance par approximation et par embuscade, le mensonge d’Etat, le laxisme, la légèreté et le pillage organisé des ressources nationales sous le «nez» de l’Assemblée Nationale qui n’assume presque pas ses fonctions à elle conférées par la Constitution en son article 84 qui exige entre autres le contrôle de l’action gouvernementale. Des acteurs nommés à des postes de responsabilités sécuritaires n’ont su rivaliser qu’en des prises de positions pompeuses et démagogiques du genre : «l’infanterie», «nous allons terroriser les terroristes», «nous irons les cueillir dans leurs trous» etc. Leurs «prouesses» de guerre jusque-là ne se résument qu’à la répression et autres interdictions de manifestations des organisations démocratiques sous de fallacieux prétextes de lutte contre l’insécurité. Même les FDS qui crient leur désarroi face au manque de matériels sur le terrain et leurs conditions de vie difficiles sont martyrisées (cas des policiers radiés et de certains d’eux dont les salaires sont suspendus).
Sur la violation des acquis démocratiques:
C’est une véritable hécatombe. En effet, des libertés démocratiques au pouvoir d’achat en passant par la gouvernance, le peuple burkinabè, dans son histoire, vit le summum du désastre dans un système dit démocratique. C’est presqu’un Etat d’exception.
Les libertés démocratiques pour lesquels des devanciers ont coulé sueur et sang, voire perdre des vies, sont foulées au pied : violation des conventions internationales ratifiées tels que la Convention 87 sur la liberté syndicale et le droit syndical de 1948, vote d’un Code pénal criminalisant les libertés d’expression et de presse, répression de manifestations respectant les dispositions règlementaires (loi 22/97, et loi 45/60), interdiction de manifestations sous le prétexte de lutte contre l’insécurité et le Covid-19 tout en maintenant au même moment, celles organisées par le pouvoir et/ou ses partisans, refus de mettre en œuvre des décisions de justice (cas du Conseil d’Etat sur le dossier APN), transformation d’avis en décision de justice (contraire à la réponse du BIT du 22 octobre 2014), suspension de salaires de plusieurs centaines de travailleurs sans raisons, coupures abusives pour fait de grève etc. Des lois esclavagistes qui permettent l’exploitation vile des travailleurs (cas de la loi 02 du 13 mai 2008 portant Code du Travail au Burkina Faso).
Camarades travailleurs (euses), pendant que des ministres et autres présidents d’institutions s’octroient des émoluments non-confonds aux lois et règlements du pays, le pouvoir d’achat des couches laborieuses est désaxé et laminé. Cela se traduit par l’institution de divers impôts, taxes, et autres mesures cyniques tels que: l’Assurance Maladie Universelle (AMU) ; initiative à laquelle le mouvement syndical n’a pas été associé et pour laquelle il est prévu des prélèvements unilatéraux de 4% à 6% des salaires sans aucune garantie de prise en charge conséquente et effective; la taxe sur les véhicules à moteur (TVM) qui est l’ancienne Taxe de Développement Communal (TDC) supprimée en 2011 et dont l’imposition a été reconduite en 2019 sous cette nouvelle appellation. Cette Taxe est un doublon d’autant qu’elle est déjà intégrée dans la Taxe sur les Produits Pétroliers (TPP); le renouvellement des plaques d’immatriculation; le renouvellement des cartes grises; le renouvellement des permis de conduire; l’augmentation des frais de scolarité dans la majorité des établissements d’enseignement privés ; etc.
La généralisation de l’lUTS sur les primes et indemnités des agents du public à travers la Loi de finances gestion 2020, contrairement à la revendication du mouvement syndical qui est sa suppression sur les primes et indemnités de tous les travailleurs et travailleuses (public, parapublic et privé) participe de ce saccage du pouvoir d’achat.
Des lendemains pourraient être davantage douloureux avec la création, dans le flou total, d’une Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) pour faire main basse sur les cotisations sociales des travailleurs pour, entre autres, la pension de retraite de la CNSS et de la CARFO mais aussi les ressources des Caisses Nationales d’Epargnes.
Sur la Gouvernance, c’est la promotion de la médiocrité et du pillage organisé. En effet, la presse exhibe du jour au jour dans notre pays, des scandales qui viennent s’ajouter aux dossiers des crimes financiers contre lesquels les Burkinabè ont consenti un grand sacrifice lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, mais aussi pendant la résistance victorieuse de septembre 2015. Quelques exemples:
– des Caisses noires qui passent de 31,5 milliards en 2014 à plus de 205 milliards de nos jours;
– le budget d’une Assemblée nationale qui passe de 8 milliards à une vingtaine de milliards;
– des wagons de charbon fin dans la nature, évalués à des dizaines de milliards;
– des deniers publics dilapidés à la mairie centrale de Ouagadougou (scandale d’achat de véhicules) ; – des émoluments d’autorités qui ne respectent pas les lois et règlements du pays;
– l’Autorité Supérieure de Contrôle d’Etat limitée dans ses pouvoirs de Contrôle;
– etc.
Les piliers essentiels de la gouvernance sont le népotisme, l’arrogance la suffisance, le favoritisme et le crime organisé (en commençant par le mensonge d’Etat, la stigmatisation, la culture de l’opposition et de la confrontation entre les couches sociales, la répression).
C’est face à cette situation dramatique et conformément au sens élevé de dignité, d’intégrité et d’honneur de nos devanciers d’une part, et d’autre part le rôle historique que le mouvement syndical a toujours joué dans notre pays à tous ses tournants décisifs de son histoire que nous avons pris nos responsabilités en nous retrouvant dans un front de lutte regroupant plus d’une cinquantaine d’organisations syndicales. La caractéristique principale de notre coalition, c’est sa détermination à défendre conséquemment les préoccupations du monde du travail et ce en lien avec les problèmes généraux de notre peuple. En témoigne la plate-forme revendicative minimale qui fédère l’énergie des travailleurs dans des actions fortes sur le terrain et libellée comme suit:
– arrêt des mesures de baisse du pouvoir d’achat et amélioration de celui-ci en rapport avec le coût de la vie;
– arrêt des atteintes aux libertés démocratiques et syndicales;
– arrêt du pillage des ressources nationales ;
– garantie du droit à la sécurité des populations;
– le respect et la mise en œuvre des différents engagements pris par le gouvernement vis-à-vis des syndicats des travailleurs.
Camarades,
Autour de cette plateforme, plusieurs actions ont été menées, aussi bien par secteurs d’activités que collectivement. La marche du 7 mars et la grève générale du 16 au 20 mars 2020 en sont une illustration. Dans ces actions, vous n’avez pas marchandé votre engagement, convaincus que seule la lutte organisée paie. C’est ici le lieu de vous adresser toutes nos félicitations pour votre constance dans la mobilisation et les nombreux sacrifices que vous avez consentis depuis le début de cette lutte et ce, malgré la répression qui s’abat sur vous. En effet, malgré la forte mobilisation des travailleurs dans les actions de lutte autour de ladite plateforme, le gouvernement feint d’ignorer la paralysie socio-économique que cette crise sociale crée. On note à cet effet, que le chef de l’Etat s’est adressé par deux fois à la Nation sans aucune mention de cette grogne sociale. La lettre ouverte que notre regroupement lui a adressée est restée sans suite. Pire, le gouvernement et une partie du patronat ont choisi de réprimer sauvagement les travailleurs à travers des licenciements, des suspensions de salaires, des relèvements de responsables de leur poste, des coupures sauvages de salaires, etc. Face à ces mesures répressives, vous avez manifesté une solidarité légendaire en répondant positivement à la souscription lancée par la coalition en vue de soutenir les camarades victimes des suspensions de salaires. Face à la dénonciation de ces mesures par notre coalition, soutenue par des organisations de la société civile et des partis politiques, le pouvoir a été amené à rétablir les salaires en fin avril mais avec perfidie et mauvaise foi. D’abord, le pouvoir a tenu à justifier le rétablissement des salaires par une demande de clémence qu’auraient introduite 14 syndicats ! Ensuite, au lieu de rétablir l’entièreté du salaire, dans la plupart des cas, il s’en est tenu au rétablissement du salaire du mois d’avril avec des irrégularités monstres (sans indemnités, sans allocations familiales, etc.). Comble de perfidie, il a procédé, à la fin de ce mois d’avril 2020, à de nouvelles suspensions de salaires que le ministre Stanislas Ouaro explique par le fait que les noms des intéressés sont parvenus en retard ! La volonté d’user de l’appareil d’Etat pour faire mal à tout prix est manifeste. Le gouvernement est résolu à saccager les libertés syndicales et démocratiques et à réduire au silence le mouvement syndical authentique. Pour atteindre cet objectif, il est prêt à toutes les forfaitures et aux pires violations des textes. Malgré toutes les formes de complots et de répression déployées sur les travailleurs en lutte dans notre pays, ceux-ci sauront, comme de par le passé, trouver les ressources nécessaires pour faire aboutir leurs revendications légitimes. Par conséquent, ils vous appellent à vous mobiliser davantage, preuve d’esprit de sacrifice et de solidarité dans la lutte autour de la plate-forme revendicative de la coalition. De toute façon, le 1er mai commémoré de nos jours en journée internationale du travail, a connu la même répression sanglante, or les revendications légitimes qui étaient posées s’articulaient autour de:
– la réduction du temps de travail de 8 heures ;
– la décolonisation; la liberté des Nations de disposer d’elles-mêmes ;
– l’abolition de l’esclavage.
Camarades, notre lutte est juste et légitime. Nous n’avons pas à l’atténuer pour quoi que ce soit encore moins à demander la clémence de qui que ce soit. Bien au contraire, nous devons travailler à comprendre que nos difficultés sont les mêmes que celles de notre peuple. Nous devons, non seulement renforcer nos organisations et la coalition, mais aussi élargir le front de lutte en associant à notre lutte, les couches populaires victimes elles aussi de la politique antisociale du gouvernement. Gardons à l’esprit que les grandes et nobles victoires découlent de grands sacrifices dans l’action !
Dans cette période de pandémie du coronavirus, nous invitons l’ensemble des travailleurs à exiger du matériel de protection sur leurs lieux de travail et interpellons le gouvernement pour une meilleure gestion de cette crise sanitaire avec toutes ses implications socioéconomiques.
Camarades, faisons de ce 1er mai une journée d’hommage et d’introspection en vue d’actions futures porteuses d’espoirs et de fruits pour tous les travailleurs (euses) du Burkina et du monde entier.
VIVE LE PREMIER MAI!
VIVE LA SOLIDARITE ENTRE LES TRAVAILLEURS !
VIVE LA COALITION SYNDICALE CONTRE LA REDUCTION DU POUVOIR D’ACHAT DES TRAVAILLEURS, POUR LA DEFENSE DES LIBERTES DEMOCRATIQUES ET LA BONNE GOUVERNANCE !
Pour la Coordination
Le porte-parole
Bassolama Bazié
Secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGT-B) »