HomeDialogue intérieurFratrie et progéniture au coeur des régimes africains

Fratrie et progéniture au coeur des régimes africains


Des éléments déstabilisateurs des républiques

La fratrie et la progéniture sont à l’origine de la plupart des désagréments et des drames que connaissent les dirigeants africains. Au cœur du système politique, elles s’illustrent le plus souvent par des abus qui finissent par indigner même les plus fidèles des fidèles.

En effet, mus par leurs propres intérêts, les membres de la famille présidentielle aiment, par exemple, à jouer les passe-droits. Pour peu que d’habiles courtisans leur inculquent qu’ils sont l’essence même du pouvoir, ils prennent rapidement goût à faire ce qu’ils veulent de l’appareil d’Etat et du bien public. L’histoire montre pourtant que sans aucun état d’âme, les mêmes courtisans seront toujours prêts à tisser de nouvelles intrigues, pour assouvir leurs desseins maléfiques.

Quand les dirigeants africains comprendront-ils que les vrais bâtisseurs d’Etat ne se trouvent pas exclusivement dans leur entourage ?

Les passe-droits et le favoritisme gangrènent l’exercice du pouvoir parce que sans retenue, des membres ou proches des familles présidentielles abusent de tout. Ils occupent les premiers postes, narguent l’opinion, et font courber l’échine aux gens les plus doués ou les plus entreprenants. Dans certains cas, on use même des patronymes parce que cela fait recette. Il y a jusqu’aux premières dames qui s’impliquent parfois dans l’octroi de marchés, ou dictent des dispositions à prendre. Au nom d’intérêts mesquins, on avilit ainsi le pouvoir d’Etat.

Progressivement, l’on a donc pris plaisir à déranger les gens sérieux et compétents, les militants sincères et les honnêtes citoyens ayant pourtant pour ambition de servir le peuple. Quel gâchis à longueur d’années dans nos républiques ! Surtout que dans l’entourage du prince régnant, peu de gens sont assez scrupuleux ou courageux pour s’opposer aux abus et au non-respect des principes. La peur règne dans les rangs et les convoitises font bon ménage avec les micmacs.

Cela fait mal à la démocratie en marche, et sape les efforts des plus méritants de la République. Ces pratiques d’autres époques font honte. Elles révoltent la conscience, d’autant qu’elles perturbent la distribution des richesses nationales, compromettent la construction de l’Etat de droit, et hypothèquent gravement l’avancée de la démocratie dans un pays. Quand les dirigeants africains comprendront-ils que les vrais bâtisseurs d’Etat ne se trouvent pas exclusivement dans leur entourage ?

Des chefs d’Etat ont toutefois su marquer positivement l’Afrique, pour avoir su écarter leurs progénitures et fratries du pouvoir. Par exemple, Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire, Léopold Sédar Senghor du Sénégal et Julius Nyéréré de Tanzanie ont ainsi marqué leurs contemporains, pour avoir évité de plonger leurs familles dans la vie politique, sinon qu’ils les ont contraintes à plus de discrétion. Tel n’aura pas été le cas d’Abdoulaye Wade du Sénégal. Envers et contre tous, il aura vainement cherché à positionner son fils Karim, avec les déconvenues que l’on sait. Nouvellement installé à la tête du Mali, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), voit son fils –un autre Karim-, aller à la conquête de l’électorat. L’homme vient d’être élu député aux toutes dernières législatives du Mali, sous le premier mandat de son président de père. Non pas qu’en tant que citoyens, ces fils, filles, frères et soeurs de chefs d’Etat n’ont pas le droit de briguer des postes électifs. Il y a seulement que la plupart du temps, les choses se terminent mal, d’où la nécessité de tirer la sonnette d’alarme.

Certes, en Occident ou en Asie, des cas similaires existent. Parfois même, les proches sont encouragés à plonger dans le magma politique. Sauf que dans ces milieux, l’esprit est totalement différent : les choses se passent en toute transparence, avec un respect réel des règles du jeu. Et la culture politique a toujours su s’abreuver à la source des traditions que des générations ont enrichies et sans cesse adaptées.

En Afrique, il va autrement. Le père, la mère, le frère, la soeur ou le mari, qui gouvernent, font eux-mêmes la confusion entre le pouvoir moderne et le pouvoir traditionnel. Au gré des antagonismes, le pouvoir finit par creuser sa propre tombe. Cette auto-déstabilisation semble avoir pour source aussi bien la conception africaine du pouvoir, que celle de la famille, sa composition, et le rôle que s’attribuent les membres qui lui sont rattachés.

Jamais le népotisme et autres traitements de faveur n’ont fait avancer un pays

La conception africaine du pouvoir découle le plus souvent de notre conception de la famille, et de la perception que la famille du prince a, elle-même, du pouvoir. Généralement, on privilégie les relations fondées sur le sang. Il en résulte qu’on a tendance à instrumentaliser la famille, le clan ou la tribu, le village et la région d’origine du régnant. On choisit de ne faire confiance en personne d’autre. Cela se ressent dans la gestion de l’appareil d’Etat, et de façon particulière, celle des ressources, à travers notamment la distribution des portefeuilles ministériels et de tout ce qui s’y rattache. Rien d’étonnant donc que des postes-clés aux postes les plus obscurs, le commun des Africains s’attende à les voir attribués à des personnalités les plus proches des gouvernants. Or, la famille africaine est très large, avec des tentacules presque partout.

Comment dans un tel contexte, convaincre l’opinion qu’on œuvre pour l’égalité des chances, qu’il n’existe pas de citoyens de seconde zone, et qu’on entend construire une démocratie vraie ? Comment ne pas révolter ses concitoyens et ses propres compagnons lorsque, comme par enchantement, le régnant et ses proches orientent les investissements de façon partiale, ou font main basse sur les ressources nationales ?

L’ère démocratique en Afrique est entachée de l’absolutisme qui caractérise de nombreux régimes. On y cherche à s’enrichir et à se maintenir au pouvoir. Et pour trouver des appuis sûrs, qui donc mieux que les proches ?

Les traitements de faveur, dont bénéficient les proches des régnants et les originaires de leur milieu d’appartenance, sont réellement de nature à semer la discorde entre concitoyens. Jamais le népotisme et autres traitements de faveur n’ont fait avancer un pays.

Il y a lieu, pour certains dirigeants africains, de revoir sérieusement leur copie. Vaut mieux s’armer davantage de courage, surveiller ses proches et discipliner ses partisans, que de chercher à tenir ses concitoyens en laisse. A l’exemple du Mozambique où, faisant preuve d’un courage inébranlable, l’ancien président Joachim Chissano avait, contre toute attente, laissé libre cours à la Justice qui a fini par enfermer son propre frère pour des délits punis par la loi. Ils sont rares, de tels dirigeants en Afrique.

Par leurs forfaitures, proches malfaisants et veules courtisans sont en train de dénaturer le pouvoir, et donc de mettre en péril les expériences démocratiques pourtant si fragiles dans la plupart des pays africains. Aux dirigeants africains, de savoir tenir leurs proches, surtout leur progéniture et leur fratrie, à l’écart. Ceci, afin qu’une fois le pouvoir perdu, tous soient en sécurité.

« Le pays »


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