GENOCIDE RWANDAIS : 25 ans après, Kagamé tient toujours la France par la barbichette
Le 7 avril dernier, le Rwanda a commémoré le 25e anniversaire du génocide perpétré contre les Tutsi. Et l’homme mince de Kigali, qui est, peut-on dire, un accro de la discipline et du travail bien fait, a mis un point d’honneur à régler les séquences de l’événement comme du papier à musique. Les cérémonies commémoratives, mises en scène par le dramaturge rwandais, Dorcy Rugamba, ont, en effet, commencé en milieu de matinée avec le dépôt de gerbes au mémorial du génocide de Kigali, où 250 000 victimes sont enterrées. Ce monument, devenu emblématique par la volonté de Paul Kagamé, a contribué à inscrire au fer rouge dans les mémoires individuelles et collectives du pays, le souvenir du génocide. Mais au-delà de ce devoir de mémoire, le mémorial remplit une fonction éminemment pédagogique : construire le Rwanda d’aujourd’hui et de demain en tirant leçon des tragiques événements du passé.
L’œuvre titanesque de l’homme mince de Kigali dans la réconciliation des Rwandais a été reconnue et saluée
C’est en cela que l’on peut dire que la commémoration du génocide des Tutsi est une manière pour le Rwanda, de transcender son histoire et de poser les bases pour mieux faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain. La deuxième grande séquence de la journée commémorative du 25e anniversaire du génocide rwandais, a été le discours du président Paul Kagamé. En super star, il a rappelé toute la symbolique de la cérémonie. Il n’a pas manqué de relever la solitude et la colère des survivants. Il a également mis en garde tous ceux qui seraient tentés de porter atteinte à son pays. Le Rwanda, selon lui, « ne se laissera pas faire ». Sans le nommer, l’homme mince de Kigali s’adressait certainement à l’Ouganda. Ce pays, en effet, a maille à partir avec le Rwanda, ces derniers temps. La tonalité du discours n’a étonné personne, puisqu’elle fait partie de la marque de fabrique du maître de Kigali. Il faut noter que le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat et celui de la Commission de l’Union européenne (UE), Jean Claude Juncker présents à la cérémonie, se sont aussi exprimés. L’acte 3 des cérémonies commémoratives a eu lieu dans l’après-midi. Il a consisté en une marche du souvenir de deux kilomètres où les délégations officielles et la population ont battu ensemble le pavé, du parlement jusqu’au stade Amahoro. En ce lieu, 30 000 personnes ont assisté à un spectacle riche en couleurs et en émotions dont seul le peuple rwandais semble avoir le secret. En plus du spectacle, des témoignages de rescapés ont été entendus. Et franchement, il était difficile de réprimer les sanglots que cela a suscités dans l’assistance. Et comme pour signifier le passage de témoin à la nouvelle génération, les noms de 100 victimes ont été lus par des jeunes. Toutes ces séquences se sont déroulées dans la dignité et dans un esprit de résilience et d’espoir. Le mérite en revient de façon générale au peuple rwandais certes, mais il faut reconnaître que c’est Paul Kagamé qui a voulu qu’il en soit ainsi. Et le président de l’UA l’a reconnu en ces termes : « Je suis venu pour exprimer la solidarité de l’Afrique au Rwanda et pour saluer le chemin parcouru par le pays grâce à la résilience de son peuple et grâce à la vision de ses dirigeants ». Et d’ajouter que toute l’Afrique en est admirative. C’est clair et net. L’œuvre titanesque de l’homme mince de Kigali dans la réconciliation des Rwandais et dans la reconstruction économique et sociale de son pays, a été reconnue et saluée. Bien sûr, les sujets qui pourraient fâcher ont été soigneusement évités. Et l’on peut comprendre pourquoi.
C’est à juste titre que Paul Kagamé demande à la France de s’excuser publiquement
D’abord, l’UA n’a pas l’habitude de mettre les pieds dans le plat. Ensuite, le cadre n’est pas indiqué pour évoquer les questions liées à la démocratie et au respect des droits humains. Enfin, Paul Kagamé a horreur que l’on émette la moindre critique sur la manière dont il conçoit la démocratie dans son pays. Et toutes les nations du monde, à commencer par celles qui constituent la fameuse communauté internationale, semblent lui avoir concédé cela. Quelque part, cette posture a été dictée par le génocide. En effet, la communauté internationale, via le Conseil de sécurité de l’ONU, est consciente d’avoir failli au Rwanda en 1994 et bien avant. Un pays comme la France, via l’opération Turquoise, doit avoir le courage de reconnaître qu’il a joué un rôle trouble dans le massacre des Tutsi. C’est donc à juste titre que Paul Kagamé lui demande de s’excuser publiquement. C’est ce que la France refuse de faire depuis François Mitterrand jusqu’à Emmanuel Macron en passant par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Tant que cet acte de contrition ne sera pas posé, Paul Kagamé tiendra toujours la France par la barbichette. Et cela dure depuis 25 ans. Pour atténuer les choses, Emmanuel Macron fait tout pour rentrer dans les bonnes grâces de Kagamé. Le premier acte, dans ce sens, a consisté, pour Macron, à user de tout son poids pour permettre l’élection de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et cela, en fermant les yeux sur le caractère dictatorial du régime rwandais. Le deuxième acte de Macron a été l’annonce de la mise en place d’une équipe de scientifiques et d’historiens pour tirer au clair le rôle controversé joué par la France lors du génocide de 1994. Le dernier acte de la France pour amadouer Paul Kagamé, est relatif au fait suivant : le 7 avril sera inscrit, en France, désormais comme une journée de commémoration. Tous ces actes ont pour vocation de normaliser les relations de la France avec le Rwanda. Mais ils pourraient ne pas satisfaire totalement Paul Kagamé. Car, ce dernier attend toujours que la France présente ses excuses officielles au Rwanda. Et le fait même que la France dépêche un député, d’origine rwandaise pour la représenter, est un signe palpable de l’embarras qu’éprouvent les autorités hexagonales face à la question du génocide. Cela dit, Paul Kagamé a su faire du génocide un fonds de commerce politique. Au plan domestique, il est sans pitié envers tous ceux qui osent dire que le génocide a aussi concerné les Hutu modérés et que l’élément déclencheur a été l’assassinat du président Habyarimana. Au plan extérieur, l’homme mince de Kigali a acquis, du fait du génocide, une sorte d’immunité qui empêche que le monde lui fasse des observations sur sa curieuse façon de concevoir la démocratie au Rwanda. Mais ce traitement de faveur ne peut pas durer indéfiniment. Un jour viendra où il ne pourra plus s’abriter derrière le génocide pour justifier ses excès. Pendant longtemps, Bouteflika s’est abrité derrière la légitimité qu’il tire du grand rôle qu’il a joué dans la guerre de libération, pour s’éterniser au pouvoir et diriger l’Algérie comme son jardin potager. Aujourd’hui, le peuple algérien lui a dit que cela ne suffisait pas pour instaurer la dictature en Algérie. La suite, on la connaît. Comparaison n’est pas raison certes, mais il n’est pas exclu qu’on dise à Kagamé un jour que le grand rôle qu’il a joué dans le Rwanda post-génocide, ne suffit pas pour qu’il croie qu’en dehors de lui, il n’y a personne au Pays des mille collines pour gouverner le Rwanda.
« Le Pays »