GESTES DE DECRISPATION DE ADO
Les eaux de la lagune Ebrié retrouveront-elles définitivement leur calme ?
C’est Dame rumeur qui l’avait annoncé dans les gargotes et autres bistrots d’Abidjan. Mais c’est désormais officiel. L’ex-première dame de Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo, sera bientôt libre de ses mouvements. Ainsi en a décidé le chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara (ADO) qui, dans son adresse à la Nation, à l’occasion du 58e anniversaire de l’accession du pays à l’indépendance, s’est posé en rassembleur. Car, en plus de Simone Gbagbo, 800 autres personnes, essentiellement issues de l’ancienne majorité présidentielle, ont bénéficié de la grâce présidentielle. Elles attendent que soient accomplies les formalités juridiques pour rejoindre leurs familles respectives. Pour un acte fort, c’en est un. Car cette amnistie accordée aux partisans de Laurent Gbagbo, contribuera, à n’en point douter, à relancer la machine de la réconciliation en panne depuis quelques années.
Le président ADO aura fait sa part de chemin
Du reste, avec ces gestes d’apaisement, ADO rabat le caquet à tous ceux-là qui, de jour comme de nuit, n’avaient de cesse de dénoncer une Justice à deux vitesses en marche en Côte d’Ivoire. Il coupe l’herbe sous les pieds de ses détracteurs qui présentent la Côte d’Ivoire comme un pays où la démocratie n’existe qu’en apparence et où les droits de l’Homme sont bafoués. C’est le cas, par exemple, de ce dernier rapport de l’Union européenne (UE) qui relève une longue litanie de points négatifs et inquiétants en rapport avec la gouvernance politique et économique du pays. En tout cas, pour une réconciliation nationale réussie en Côte d’Ivoire, le président ADO aura, quant à lui, fait sa part de chemin. Reste maintenant à espérer que les uns et les autres feront le leur pour que les Ivoiriens puissent se rabibocher. Cela dit, il ne faudra pas qu’une fois sortis de prison, certains partisans de Laurent Gbagbo, qui ont la rancune tenace, travaillent à dresser le bûcher contre la Côte d’Ivoire à travers des discours haineux et enflammés sur fond de négation de l’autre. Certes, certains parents de victimes n’ont pas manqué de faire grise mine dès l’annonce de cette amnistie du chef de l’Etat accordée à des gens présentés comme des « criminels ». Mais la réconciliation nationale n’ayant pas de prix, aucun sacrifice n’est de trop. Comparaison n’est pas raison certes, mais, le Rwanda de Paul Kagame, quoique l’on puisse en dire, n’aurait pas atteint ce niveau de prospérité et de stabilité si après le massacre d’avril 1994, les uns et les autres n’avaient pas accepté de se pardonner et de se donner la main. Gageons donc que les eaux glauques de la lagune Ebrié retrouveront définitivement leur calme. Surtout qu’en plus de l’amnistie des pro-Gbagbo, le président ADO a annoncé la recomposition de la Commission électorale indépendance (CEI) qui, depuis peu, polarisait les attentions. Car, aussi bien de la majorité que de l’opposition, des voix se sont maintes fois élevées pour demander sa dissolution. Chose dont ne voulait pas entendre parler le président Ouattara qui a fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur. C’est tout à son honneur.
Reste à espérer qu’il ira jusqu’au bout de sa logique en larguant les amarres en 2020
Car la CEI, dans sa composition actuelle, faisait la part belle au pouvoir en place, d’où le risque d’une contestation post-électorale en 2020. Cela dit, il n’est donc jamais tard de bien faire. C’est le moins que l’on puisse dire. Car, avec tout ce qu’elle a vécu en 2010-2011, la Côte d’Ivoire n’a plus besoin d’une nouvelle crise post-électorale qui pourrait davantage fragiliser son unité et sa cohésion nationales. Du reste, pour passer la main à une autre génération, comme le souhaite ADO, cela doit se faire dans la paix au risque que les héritiers se retrouvent plus tard groggy des turpitudes de leurs devanciers. En tout cas, en un mot comme en mille, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’avec ce discours, le président ADO est en phase avec les attentes des Ivoiriens. Reste maintenant à espérer qu’il ira jusqu’au bout de sa logique en larguant les amarres en 2020. On attend de voir. Car, d’autres chefs d’Etat, avant lui, l’ont promis, pour finalement commencer à rétropédaler à travers des réformes politiques et constitutionnelles. C’est le cas, par exemple, du Tchadien Idriss Deby Itno qui, après trois décennies au pouvoir, vient de s’ouvrir un boulevard pour une présidence à vie et ce, alors même qu’au début du précédent mandat, il avait promis de faire valoir ses droits à la retraite. ADO en fera-t-il autant ?
On attend de voir. Toujours est-il qu’il faut se garder de donner le bon Dieu sans confession à un homme politique qui, pour paraphraser quelqu’un, « ne fait jamais rien sans rien ».
« Le Pays »