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GOUVERNANCE POLITIQUE AU BENIN


Sur saisine d’un citoyen béninois dont le nom n’a pas été divulgué, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a rendu un verdict, on ne peut plus critique, sur la gouvernance politique de Patrice Talon. Estimant que la nouvelle Constitution béninoise adoptée en 2019 par le parlement, « rompt le pacte social et fait craindre une menace réelle pour la paix du Bénin », la Cour de justice africaine demande simplement et purement son abrogation pour retourner à la loi fondamentale de 1990 qui est véritablement l’expression de la volonté du constituant originel.  La CADHP fonde son jugement sur le fait que l’adoption de cette nouvelle Constitution, s’est faite en violation de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, notamment le « principe de consensus national » qui doit prévaloir dans toute réforme constitutionnelle. Du point de vue de la Charte, en effet, les deux moyens pour parvenir à ce consensus national sont « la consultation de toutes les forces vives » de la Nation et « le référendum ».

 

Si rien n’est fait, c’est vers une autre parodie électorale que l’on s’achemine en 2021

 

Quand on sait que la Constitution de 2019 a été adoptée au forceps par un parlement monocolore, totalement acquis au président Talon, le Bénin ne pouvait pas échapper à cette fatwa de la Justice africaine. L’on se rappelle, en effet, que ce parlement a été mis en place suite aux législatives très conversées d’avril 2019, une consultation électorale de laquelle avaient été écartés tous les opposants, ouvrant ainsi la voie à une série de manifestations de contestation. Et pire,  si rien n’est fait, c’est vers une autre parodie électorale que l’on s’achemine en 2021 avec cette clause exclusive sur les parrainages et le certificat administratif de conformité. Comment, en effet, les candidats de l’opposition qui n’ont pas pris part aux législatives et aux municipales, peuvent-ils obtenir les parrainages d’élus pour cette présidentielle ou de quelles garanties peuvent-ils disposer pour l’obtention du certificat administratif de conformité auprès d’une administration totalement inféodée au pouvoir ?   Cela dit, une chose est de demander l’abrogation du texte incriminé et une autre est de l’obtenir. Comme le dit le dicton populaire, « c’est plus facile à dire qu’à faire ».  Le Bénin, en effet, s’est retiré fin avril du protocole additionnel permettant aux particuliers de saisir la Cour, après que celle-ci a rendu plusieurs décisions favorables à l’opposant béninois en exil, Sébastien Ajavon, dont celle du 17 avril exigeant la suppression des élections communales. C’est dire si ce verdict est pour Patrice Talon comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Déjà, dans l’entourage de son gouvernement qui, pour l’instant, s’est gardé de toute réaction officielle, on parle de « non-évènement » et d’une nouvelle « immixtion » dans les affaires intérieures du pays. C’est donc une fin de non-recevoir que le pouvoir béninois opposera à ce verdict de la CADHP. Et cela n’a véritablement rien de surprenant de la part du président Talon qui semble s’être donné pour feuille de route, la destruction de l’héritage démocratique de ses prédécesseurs en s’attaquant, burin en main, à l’édifice républicain qui a fait la renommée du Bénin depuis le renouveau démocratique sur le continent africain,  consécutif au discours de La Baule dans la décennie 90.

 

Patrice Talon reçoit ce verdict comme un camouflet

 

L’homme d’affaires devenu président de la République, en effet, gère le pays comme une entreprise privée, ne visant que ses propres intérêts. Le plus dur à admettre est qu’il fait preuve d’une incroyable amnésie, oubliant que si ceux qui lui ont légué les commandes de l’appareil d’Etat avaient agi comme lui, il n’aurait jamais accédé au pouvoir. Mais que peut-on y faire quand on sait que l’ingratitude est l’un des traits de caractère des dictateurs qui ne se souviennent que très rarement de l’échelle par laquelle ils ont accédé au toit ? Et quand ils s’en souviennent, c’est pour se précipiter de l’enlever. Cela dit, la CADHP a tout de même fait œuvre utile. Son verdict, même s’il n’est pas suivi d’effet de la part des autorités béninoises, vaut quand même son pesant d’or. D’abord, ce verdict apporte de l’eau au moulin de l’opposition béninoise qui s’est d’ailleurs précipitée de  le saluer comme s’il n’avait que trop tardé face à un  gouvernement qui « agit depuis longtemps en marge de la légalité ». La décision de la Cour pourra donc servir de viatique à la lutte des opposants au régime, qui semblent avoir compris qu’il faut se serrer les coudes pour faire barrage à la dérive autocratique de Patrice Talon. Ensuite, même s’il s’en cache, Patrice Talon lui-même reçoit ce verdict comme un camouflet car, cette décision des juges d’Arusha, jette un discrédit sur sa gouvernance. Du reste, lui-même semble donner raison à la Cour en admettant la nécessité d’un dialogue politique avec l’opposition, avant d’aller à la présidentielle de 2021. Quoi qu’il en soit, il appartient à l’opposition de ne pas se laisser divertir en saisissant au rebond ce jugement pour non seulement prendre à témoin la communauté internationale des errements du régime au pouvoir,  mais aussi pour continuer à acculer ce pirate de la démocratie afin qu’il ne vendange pas en entier, tous les acquis démocratiques du Bénin.

 

« Le Pays »

  

 


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