GREVE DU COMITE INTERSYNDICAL DES MAGISTRATS : Mot d’ordre suivi à Ouagadougou
Le 22 février 2016, le Comité intersyndical des magistrats, lors d’une conférence de presse, annonçait une grève d’une semaine. Le 24 février dernier, le 1er jour d’entrée en vigueur du mot d’ordre, nous avons fait un tour au Tribunal de grande instance de Ouagadougou pour constater l’effectivité de la grève.
Le mot d’ordre de grève lancé par le Comité intersyndical des magistrats depuis le 22 février a pris effet hier, 24 février 2016. Au tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou, tout semblait normal ce premier jour de grève des magistrats. Des usagers du tribunal allaient et venaient. A l’entrée du tribunal, à la guérite située à droite, dès 8h, on pouvait voir un long rang formé pour le dépôt des demandes d’actes judiciaires. A gauche, sur les bancs, pendant que certains patientaient, d’autres s’affairaient à remplir leurs feuilles de demande. A l’entrée du bâtiment principal, encore un autre rang ; celui du contrôle. Les deux gardes de sécurité pénitentiaire chargés de cette tâche veillaient au grain. Pendant que l’un vérifiait les identités, l’autre passait le détecteur de métaux le long du corps des usagers. Difficile donc avec cette ambiance de savoir, à première vue, qu’il y a une grève en cours. Mais, dès qu’on entre dans le bâtiment, au rez-de-chaussée, les salles de procès qui, le plus souvent, les mercredis, sont bondées de monde, sont vides. Certains usagers du palais, aussitôt entrés sous le hall, rebroussaient chemin après avoir pris des renseignements. « Les magistrats sont en grève ! », s’exclamaient certains. « J’étais venu pour un délibéré… avec la situation, je vais repartir », lance un monsieur qui vient de passer la sécurité. Comme bien d’autres usagers, il est contraint de retourner sur ses pas et ce fut notre tour de nous renseigner. C’est ainsi que l’un des GSP en place nous dira que la grève est effective. Il nous conduira ensuite dans quelques bureaux habituellement occupés par les magistrats. Notre premier point de chute a été le compartiment du procureur. Là-bas, la plupart des bureaux des substituts étaient clos. Après plusieurs tentatives, nous parvenons enfin à franchir une porte. A l’intérieur, trois bureaux y sont disposés et sur chaque bureau, se trouvaient empilés des dossiers, mais personne pour répondre à nos questions. Le seul occupant qui était sur place est un stagiaire, lequel s’est refusé à tout commentaire, les magistrats n’étant pas là. Nous ressortons et nous nous dirigeons dans le bureau du procureur au bout du couloir. Au secrétariat, l’on nous dira également que les magistrats sont en grève et que le procureur n’est pas là non plus, car lui aussi est en grève. Difficile donc de trouver un interlocuteur qui soit magistrat. Les seuls disponibles sont les greffiers. Eux, ils réceptionnent les dossiers mais ne peuvent pas les délivrer sans la signature des magistrats. En clair, les demandes sont reçues mais, aucun acte ne peut être délivré. Au premier étage, dans le compartiment du président du Tribunal de grande instance, le constat est le même. Les bureaux des juges d’instruction sont restés fermés. Le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, en ce premier jour de grève, était donc à moitié paralysé. Les procédures judiciaires seront suspendues, d’autres annulées et les actes judiciaires ne pourront pas être délivrés. Et ce, pour une semaine car la grève des magistrats s’étend du 24 février au 1er mars 2016. En rappel, c’est en substance pour : « Une Justice indépendante et crédible avec des acteurs efficaces et motivés » que les magistrats ont décidé d’aller en grève. Cette grève est observée par le Comité intersyndical des magistrats comprenant le Syndicat des magistrats du Burkina (SMB), le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) et le Syndicat autonome des magistrats du Burkina (SAMAB).
Adama SIGUE
RENE BAGORO A PROPOS DE LA GREVE DES MAGISTRATS
« Nous allons assurer les prérogatives tant pour ce qui concerne les réquisitions, les sanctions que pour le plan salarial »
Le ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, garde des sceaux, René Bagoro, a rencontré les médias le 1er jour de la grève entamée par les magistrats. Il s’est agi, pour lui de donner, entre autres, son avis sur les réquisitions faites pour assurer le service minimum et sur l’opportunité de la grève. Lisez !
« Je tiens à dire à l’opinion et à tous les magistrats que la question de la revalorisation du statut des magistrats est une préoccupation, mais le gouvernement a besoin de temps. Le gouvernement a en charge 18 millions de Burkinabè pour lesquels il faut réfléchir et trouver les voies et moyens pour leur donner de meilleures conditions de vie. Les gens ont fait l’insurrection parce qu’il y avait un certain nombre de besoins. De ce point de vue, le gouvernement reste constant, il ne va pas faire de déclarations démagogiques, mais il lui faut du temps pour analyser la situation financière, voir les problèmes de chaque entité et, au regard de nos moyens, voir ce qui est faisable cette année. Le gouvernement a toujours tenu ce langage avec les syndicats. Nous avons reçu les syndicats pour leur réitérer cela. Nous avons fait une communication en conseil des ministres et la position du gouvernement est qu’on ne rejette pas les revendications des magistrats mais, à l’état actuel des choses, nous ne pouvons pas prendre des décisions sans connaître l’état réel de nos moyens financiers et des besoins que les uns et les autres expriment. Du reste, le chef de l’Etat a reçu la présidente et le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature et c’est le même langage qu’il leur a tenu. Aussi, est-il question d’un consensus qui a été trouvé sous la Transition. Mais, je puis vous dire que les autorités gouvernementales de la Transition et les syndicats de magistrats n’ont pas pu trouver un terrain d’entente. Il se trouve qu’il y a un travail qui avait été fait par un comité interministériel et les syndicats et des propositions ont été faites. C’est un travail de techniciens qui ne lie pas forcément l’autorité qui décide. C’est ce travail que le syndicat des magistrats appelle consensus. Mais ce n’est pas un consensus qui a été trouvé entre les syndicats et les autorités gouvernementales. C’est un travail qui a été fait par un comité interministériel et qui a été soumis au ministère de l’Economie et des finances qui, à son tour, l’a retravaillé pour sortir des propositions. C’est sur ces propositions que les magistrats ne sont pas d’accord. Sous la Transition, sur la question d’indemnités, il n’y a pas eu de consensus. Donc, il n’est pas exact de dire que le gouvernement s’est dédit en remettant en cause un consensus. Mais, nous sommes un Etat respectueux des droits de tout le monde, donc nous ne voyons aucun inconvénient à ce que les magistrats aillent en grève. Les textes actuels n’interdissent pas le droit de grève aux magistrats. La Constitution, à son article 22, garantit le droit de grève, mais précise que son exercice se fait dans le cadre des lois et règlements. Ce qui veut dire que lorsqu’on parle de droit de grève, il faut voir deux dimensions. Il y a d’abord sa reconnaissance mais aussi son exercice. Or ce droit n’est effectif que lorsqu’il est reconnu et règlementé. Sur cette base, au jour d’aujourd’hui au Burkina, en ce qui concerne les agents publics de l’Etat, seule une loi règlemente l’exercice du droit de grève. Et cette loi, c’est la loi 4560 du 25 juillet 1960 portant règlementation générale du droit de grève des fonctionnaires et des agents de l’Etat. C’est ce texte qui donne la procédure à suivre lorsqu’on va en grève dont le respect du préavis. Effectivement, les magistrats ont respecté ce préavis. Mais c’est ce texte qui permet également au ministre de la Justice de pouvoir faire des réquisitions en vue de la continuité du service minimum. Je le dis parce que vous entendrez certainement dire que les réquisitions que nous avons faites sont illégales. Car, en effet, cette loi de 1960, à son article 1er, exclut les magistrats. Sauf que, pour aller en grève, c’est cette loi que les magistrats ont utilisée. Autrement, qu’ils nous disent sur quelle base ils ont pu déposer un préavis de grève vu que le statut de la magistrature ne réglemente pas le droit de grève. Donc, sur quelles bases ils ont déposé un préavis, précisé la période de la grève et déposé ce préavis auprès du président du Faso, président du conseil des ministres à travers le secrétariat général du gouvernement ? Il s’agit ici de dire que si vous appliquez un texte, en ce qu’il vous favorise, vous ne pouvez pas refuser qu’on vous l’applique en ce qu’il vous défavorise. Donc, les réquisitions que nous avons faites sont bel et bien régulières. Pour nous, il ne s’agit pas d’entraver le droit de grève. Il s’agit d’utiliser les moyens que la loi met à la disposition de l’Administration pour permettre un minimum de continuité du service public. Sur ce point, en tant qu’autorité de tutelle, nous entendons pleinement jouer notre rôle. Car, cette loi, en plus de prévoir les réquisitions, prévoit également que si vous ne respectez pas les réquisitions, il y a des sanctions. Tout en étant respectueux des droits des magistrats d’aller en grève, nous allons assurer les prérogatives tant pour ce qui concerne les réquisitions, les sanctions que pour le plan salarial. Mais, nous restons toujours disposés pour les négociations. Dans tous les cas, il faut que nous nous retrouvions autour d’une table pour négocier. Je le réaffirme, le principe d’augmentation des salaires des magistrats n’est pas remis en cause par le gouvernement. Ce que le gouvernement veut, c’est de discuter avec les magistrats pour faire des propositions qui tiennent compte de tous les paramètres de notre pays, surtout que nous venons de sortir d’un attentat et que nous devons orienter des moyens vers les questions sécuritaires. Comme le disent les Latins : « Primum vivere, deinde philosophare », c’est-à-dire, « Il faut vivre d’abord et philosopher ensuite ». C’est dire que tout ce que nous revendiquons, nous ne pouvons le faire réellement que si nous sommes dans un Etat sécurisé où chacun peut se déplacer à sa guise. »
Propos retranscrits par A.S
BILAN DU PREMIER JOUR DE GREVE
Des taux de participation de 100%
Le Comité intersyndical des magistrats, après avoir fait le point dans toutes les juridictions du Burkina Faso et dans les administrations publiques employant des magistrats, note avec satisfaction les taux suivants au titre du respect du mot d’ordre de grève en cours pour la première journée :
I- DANS LES TRIBUNAUX :
1- du ressort de la Cour d’appel de Ouagadougou : 100%
2- du ressort de la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso : 100%
II- DANS LES COURS D’APPEL :
1- Cour d’appel de Ouagadougou: 98% (une seule personne s’étant présentée au bureau)
2- Cour d’appel de Bobo-Dioulasso : 100%
III- DANS LES HAUTES JURIDICTIONS
1- Cour de cassation : 98% (une seule personne s’étant présentée au bureau)
2- Conseil d’Etat : 100%
IV- AU MINISTERE : 100% (exception faite du ministre, de la Directrice de cabinet et du Secrétaire général)
La lecture qu’il faut avoir du bilan de cette première journée, c’est que les magistrats, parlant par l’entremise de leurs responsables syndicaux, n’ont pas entendu faire un simple jeu de mots lorsque dans une de leurs correspondances antérieures, ils ont indiqué que la limite tolérable avait été franchie à leur égard.
Le comité intersyndical voudrait saluer la détermination, l’engagement et la responsabilité des magistrats dans cette lutte pour une indépendance véritable de la magistrature. Il les invite à rester vigilants et à se référer à lui en cas de besoin.
Ouagadougou le 24 février 2016
Le Secrétaire Général du Syndicat des Magistrats du Burkina (SMB)
Christophe Compaoré
Le secrétaire général du Syndicat Burkinabè des Magistrats (SBM)
Moriba Traoré
Le Secrétaire Général du Syndicat Autonome des Magistrats du Burkina (SAMAB)
Antoine KABORE
oracle
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si on me disait que notre système judiciaire hérité du colon avec ses magistrats et ses tribunaux pouvait disparaitre du jour au lendemain, j’aurais dit que c’était faux. mais hélas comme les éléments du RSP ce sont les magistrats eux-mêmes qui ont précipité la fin de ce système. ils auraient pu pourtant lire le contexte et comprendre qu’une corporation ne peut vaincre le peuple mais hélas quand l’âne va te terrasser tu ne vois pas ses oreilles. ils auraient pu être un peu intelligents et éviter de se prendre trop la tête. voilà maintenant des magistrats au chômage. le nouveau système pourrait apporter la vraie justice
3 mars 2016