HomeA la uneHELOÏSE ADJOWA ADANDOGOU-D’ALMEIDA, PRESIDENTE DE LA FASFAF : « Je vais bousculer nos chefs d’Etat»

HELOÏSE ADJOWA ADANDOGOU-D’ALMEIDA, PRESIDENTE DE LA FASFAF : « Je vais bousculer nos chefs d’Etat»


 Elle vient d’être élue présidente de la Fédération des associations des sages-femmes de l’Afrique francophone (FASFAF), lors du 2e congrès de cette fédération tenu à Ouagadougou les 26, 27 et 28 juillet 2018. Elle, c’est Héloïse Adjowa Adandogou-D’Almeida, sage-femme technicienne supérieure de la santé en enseignement et administration, par ailleurs formatrice en soins sages-femmes et présidente de l’association des sages-femmes du Togo. De nationalité togolaise, celle qui dirige désormais la fédération qui compte 17 pays francophones, nous a accordé une interview. A travers celle-ci, Mme Adandogou-D’Almeida parle du métier de sage-femme ainsi que de la situation de la santé de la reproduction dans son pays. Lisez !

 

« Le Pays » : Vous venez d’être élue à la tête de la FASFAF. Quelles sont vos ambitions à la tête de cette fédération ?

 

Héloïse Adjowa Adandogou: Permettez-moi de remercier votre journal, les Editions « Le Pays », que je connais bien et qui est lu d’ailleurs dans tout le monde entier pour sa constance dans sa ligne éditoriale et surtout aussi pour l’intérêt que vous portez aux questions de santé. Etant présidente de cette fédération, où les réalités sont les mêmes dans tous les pays membres, je vais bousculer nos chefs d’Etat, frapper et même cogner à leur porte et mobiliser tous ceux qui peuvent nous soutenir pour nous faire entendre. Nous n’allons pas faire de l’activisme, mais nous allons agir en sages, parce que nous sommes des sages-femmes, pour nous faire entendre et obtenir ce que nous voulons pour le bien de la mère et de l’enfant.

Quels ont été vos atouts face à vos adversaires ?

 

Une des idées premières qui sous-tendent la création de cette fédération, c’est de permettre à chaque association membre de se prêter à cet exercice de leader. C’est d’offrir à chaque association, l’occasion d’évaluer ses capacités à porter une fédération de sa corporation et avec le recul dont j’ai fait cas tout à l’heure, je n’ai pas de prétention, mais je voudrais mettre le peu de compétences que j’ai acquises en côtoyant mes collègues au sein de la fédération et faire mon expérience pour voir de quoi je suis capable tout en comptant sur leur collaboration et soutien pour que nous puissions avancer.

Dans quel cadre êtes-vous présente au Burkina Faso ?

 

Nous sommes au Burkina Faso dans le cadre du  2e congrès de la FASFAF. Nous avons tenu notre 1er congrès au Mali et cette année, nous avons l’honneur de tenir le 2e au Burkina Faso.

 

Pourquoi le choix du thème : « Rôle de la sage-femme dans la mobilisation sociale en faveur de la santé de la reproduction » à votre 2e congrès ?

Le choix du thème est très opportun et très important parce que la sensibilisation fait partie de notre prérogative  première, car la plupart du temps, la population n’est pas informée de ce qui se passe et ce qu’on doit faire pour éviter les maladies. Le choix du thème de ce 2e congrès est porté sur la mobilisation sociale et la participation communautaire. Cela signifie que la population doit être informée pour savoir quel rôle elle doit jouer dans la prise en charge de son état de santé. Et sage-femme étant une profession de santé en premier lieu, j’allais dire même de fond, car, dès la naissance, c’est elle qui accueille le premier souffle de vie et durant tout le processus de la vie, elle est présente. C’est à elle que revient le devoir de porter à la population, l’information utile et nécessaire pour se maintenir en bonne santé.

 Quelles étaient vos attentes à ce congrès ?

 

Nos attentes étaient que beaucoup de choses changent, notamment dans les conditions de vie et de travail, parce qu’on a l’impression de revenir sur les mêmes choses. La sage-femme souffre beaucoup dans l’exercice de sa profession, simplement parce que dans tous les pays d’Afrique francophone, le ratio sage-femme population n’est pas respecté. Et quand la sage-femme doit au même moment avoir à prendre en charge plusieurs femmes enceintes à la fois, vous comprenez que sa compétence et son efficacité sont en jeu. La sage-femme souffre beaucoup de la pénurie d’équipement et de matériel de travail. Si à partir de ce congrès, les autorités de chaque  pays présent peuvent s’approprier les recommandations  des congressistes, je crois que nous allons avancer. C’est déplorable de ne pas faire de la pratique de la sage-femme une priorité, alors que la santé de la reproduction, c’est toute la vie. Quand vous regardez les composantes depuis la naissance jusqu’à la ménopause ou l’andropause, la sage-femme est présente à tous les niveaux et il suffit simplement que les autorités comprennent que le rôle de la sage-femme est fondamental et primordial et fassent de sa pratique une priorité pour qu’on ait de meilleurs résultats. La population se plaint parfois de l’accueil et de la qualité des services que les sages-femmes offrent ; mais, c’est parce que nous sommes victimes de  tous ces problèmes que j’ai cités plus haut. On va librement à une profession et quel plaisir aurait-on à galvauder les règles de cette profession ? Nous ne sommes pas en harmonie avec nous-mêmes   quand nous n’offrons pas des soins de qualité. Tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous mette dans des conditions qui vont nous permettre de bien servir la population.

 

Le congrès  a-t-il répondu à vos attentes ?

 

Absolument ! D’abord, je me réjouis de l’évolution rapide des sages-femmes sous l’égide de la FASFAF. J’allais dire que « nous étions sous le pantalon des gynécologues », parce qu’on attendait à chaque fois qu’ils organisent leurs journées scientifiques au cours de leur congrès des sociétés, pour qu’on aille prouver ce que nous sommes. Mais là, c’est une tribune qui nous appartient et les sages-femmes ont bien fait de l’occuper pleinement, parce qu’en son temps, le Togo participait au congrès des gynécologues mais juste avec une communication. La FASFAF donne l’opportunité à la sage-femme de s’exprimer sur le plan scientifique et de s’épanouir dans sa profession.

 

On reproche généralement aux sages-femmes, de ne pas être « sages » en ce sens qu’elles traumatisent souvent les femmes en travail. Ces récriminations sont-elles fondées et  qu’est-ce qui explique cela ?

 

Imaginez-vous une professionnelle en charge de deux ou plusieurs vies au même moment, au cours des consultations prénatales qui sont justes des contacts qui permettent de suivre la grossesse d’une femme et la santé de la mère qui porte cette grossesse. Mais imaginez-vous une femme qui n’est jamais allée en consultation prénatale et qui se présente à une sage-femme pour la première fois, sans oublier le fait qu’elle arrive en douleur. Du coup, elle n’est pas disposée à écouter les conseils et consignes de la sage-femme. Mais pour son bien, la sage-femme est obligée de tout faire pour qu’elle rentre chez elle avec son enfant vivant. Donc, il nous arrive des fois, en tant que sages-femmes, de crier sur les femmes, car c’est à ces dernières d’exercer une force pour aider l’enfant à sortir. Et cela tient à une minute pour que l’enfant meure ou qu’il se passe des choses déplorables. Donc, dans cette situation, la sage-femme est amenée à crier et à tapoter les femmes pour que l’enfant puisse naître en bonne santé. C’est pour dire que quand une femme enceinte suit normalement les consultations, cela signifie qu’elle a eu le temps de se familiariser avec la professionnelle de santé et de comprendre ce à quoi elle doit s’attendre au moment des douleurs de l’enfantement qui sont insupportables. Dieu même a comparé, dans la Bible, les tourments que nous allons vivre à la fin du monde aux douleurs de l’enfantement. Donc, je me dis aussi que naturellement, c’est pourquoi le métier de sage-femme est réservé à la gente féminine, parce qu’il n’y a que la personne qui a déjà vécue cela dans son corps, qui puisse avoir de l’empathie pour comprendre. Si la sage-femme est amenée à tapoter ou à  crier sur une femme en couche, ce sont ces choses qui sont mal interprétées par d’autres et on traite ces dernières de tout, et c’est vraiment dommage.

 

Mais souvent, les sages-femmes sont traitées de racketteuses. Que répondez-vous face à cela ?

 

Pour cela, je pourrai peut-être vous surprendre. La sage-femme n’est pas une extra-terrestre, elle n’est pas non plus une personne à part entière différente des autres. Dites-moi, Mme la journaliste, dans quel milieu professionnel il n’y a pas de racket ? (rire). Il arrive souvent, quand on veut établir des papiers dans une administration, qu’on dise de déposer un caillou là-dessus avant que le papier puisse être traité, sinon, ça ne serait pas le cas. Alors, qu’est-ce qu’on reproche à la sage-femme ? Mais loin de moi l’idée de défendre cette pratique ; je voudrais simplement dire qu’il faut que les gens aient l’honnêteté intellectuelle de comprendre que si ça se fait  ailleurs, cela   peut aussi se faire partout. Mon souhait est plutôt qu’on aide les sages-femmes à minimiser les occasions de ces rackets, parce que c’est souvent dû au manque de matériel et aux mauvaises conditions de travail en général.

 

Quelle est la situation de la mortalité néonatale au Togo et qu’est-ce qui est fait pour changer la donne ?

 

Dans mon pays, le Togo, le taux de mortalité est encore très élevé, malgré toutes les mesures. Il est de 401 décès pour 100 000 naissances vivantes, selon l’enquête démographique de santé de 2013-2014. En 1998, ce taux de mortalité était de 450. C’est pour vous dire qu’on n’a pas du tout évolué. Ce sont les mêmes causes qui produisent les mêmes effets. Tout à l’heure, je vous disais que le ratio sage-femme population est loin de la norme. L’OMS voudrait qu’une sage-femme bien formée desserve 400 ramenés à la population, et aux femmes en âge de procréer 300. Mais quand une sage-femme doit desservir 13 000 accouchements, vous comprenez avec moi qu’on ne peut pas, dans cette situation, lutter contre la mortalité maternelle et néonatale. Donc, il faut d’abord voir l’effectif des sages-femmes et améliorer les conditions de travail pour que cette mortalité maternelle que nous déplorons tous, puisse être un jour infléchie. Ainsi, on aura fait de la pratique de sage-femme une priorité.

 

Les sages-femmes qui font la formation sur le tas, ne sont pas toujours absorbées par le marché. Pensez-vous que cela est dû à une mauvaise politique des Etats quand on sait que le ratio n’est généralement pas respecté ?

 

Le constat est amer, il faut le dire, parce qu’on ne peut pas dépenser pour former et ne pas recruter. Or, malheureusement au Togo, les deux écoles nationales de sages-femmes qui reversent sur le marché du travail, enregistrent, chaque année, une moyenne de 70 sages-femmes. Depuis 4 ans, ces 70 sages-femmes ont eu leurs diplômes, mais ne sont pas recrutées. Or, la norme voudrait que quand vous formez, vous recrutiez. Mais non seulement on n’en recrute pas tout de suite, mais on les soumet encore à un test, soit un concours de recrutement qui se termine souvent avec une moyenne infime par rapport au taux déversé sur le marché, soit un dixième. Pourtant, quand on est formé à une pratique manuelle et qu’on n’exerce pas, on a le temps de l’oublier. Et avec la pléthore d’élèves sur le terrain, ce ne sont pas eux tous qui ont la chance de maîtriser la pratique avant de sortir de l’école. Donc, les conditions de formation pèchent en qualité. Mauvaise politique ? J’ose dire oui, parce que quand l’effectif de formation n’est pas en adéquation avec le recrutement et le déploiement, on ne peut que dire que c’est une mauvaise politique. Or, nous savons tous que la formation d’un professionnel de santé coûte cher.

 

 Est-ce que le métier de sage-femme nourrit sa « femme » ?

 

Le métier de sage-femme nourrit sa « femme », mais pas très bien parce que c’est avant tout une satisfaction morale ; quand tu pratiques une profession qui te donne l’impression d’être utile à quelque chose, tu es à moitié satisfait. C’est vrai que ce que nous percevons comme salaire n’est pas à la hauteur des efforts ou du don de soi qu’on attend de nous. On se contente de ce qu’on nous donne comme salaire. Mais on s’attend à mieux en termes de revenus.

 

Pensez-vous  qu’il faille revoir les curricula de formation des sages-femmes pour leur permettre  d’élargir leurs compétences en  matière de  soins ?

 

Oui ! La médecine évolue et ce qui est de règle aujourd’hui, peut changer demain. Quand les nouvelles orientations arrivent en plus de la formation de remise à niveau des prestataires qui sont déjà sur le terrain, songer à introduire ces nouvelles donnes dans le curriculum de base pour que la sage-femme sorte avec ces nouvelles compétences acquises est une bonne chose. En plus de cela, il y a d’autres tâches qui sont déléguées à la sage-femme ; par exemple, avant, on n’était pas autorisé à pratiquer l’accouchement instrumental, mais aujourd’hui, dans les sites de soins obstétricaux et néonataux d’urgence, la sage-femme est autorisée à pratiquer le ventôse. Donc, il faut  introduire cette unité d’enseignement dans le curriculum de base. Aussi, de plus en plus, la sage-femme est autorisée à pratiquer l’échographie obstétricale. Donc, tout cela doit être introduit dans le curriculum qui est un élément dynamique à revoir avec l’évolution de la profession.

 

Est-ce que les « matrones » ont été  associées à votre 2e congrès ?

 

Les matrones sont une terminologie qui n’existe plus. Elles sont en train d’être converties en agents de santé communautaire. Ce sont des gens qui sont identifiés dans la communauté pour aider cette communauté en terme d’information, de suivi et d’identification des signes de danger pour référer ou orienter les gens de la communauté vers les prestataires de qualité. Au Togo, nous avons une section des aides sanitaires qui forment les accoucheuses auxiliaires sur la base d’un programme bien défini et ces dernières forment une corporation. Car, évoluant à la maternité en tant que collaboratrices directes, elles sont impliquées dans la formation de remise à niveau. Mais ce 2e congrès est celui des associations de sages-femmes, et qui n’est pas sage-femme ne peut pas prendre part à cette rencontre. Sauf si la personne est invitée en auditrice ou a quelque chose à partager avec les sages-femmes.

 

Quelles sont les difficultés rencontrées par les sages-femmes  de façon générale ?

 

La difficulté fondamentale est l’effectif des sages-femmes que les Etats doivent augmenter. Il faut que nos Etats comprennent que quand une femme est enceinte, derrière elle, c’est toute la communauté. Et si cette dernière entre en clinique et ne peut pas ressortir avec son enfant vivant dans les bras, vous imaginez la douleur et l’amertume de toute cette famille. Tout cela constitue un poids psychologique et moral pour la sage-femme qui évolue dans la maternité. Et quand la sage-femme se trouve dans l’obligation de pratiquer à la chaîne, car il arrive souvent qu’une sage-femme assiste l’accouchement de 5 femmes à la fois et en dilatation complète. Donc, parfois, on ne dispose pas de temps de changer les simples gants pour l’assistance. Or, cela nous expose et expose les patientes aussi. Je souhaite que nos dirigeants mettent la priorité sur le respect du ratio sage-femme et population ; et entre sage-femme et femme en âge de procréer. Mais aussi, il faut que les dirigeants créent un environnement favorable de travail pour que la sage-femme, en quittant sa maison, ne se tienne pas la tête en disant qu’elle va encore rentrer dans cet endroit   stressant.

 

Quels sont vos espoirs vis-à-vis des pouvoirs politiques en Afrique ?

 

Nos espoirs, c’est qu’ils soient tous à l’écoute de nos doléances. Quand un forum de sages-femmes de ce genre se tient et que nous sortons à l’issue de nos échanges des recommandations, que celles-ci trouvent un écho favorable auprès des décideurs, parce qu’on a beau vouloir et investir tout ce que nous avons en nous et hors de nous, si le décideur ne prend pas la bonne décision, cela ne nous mènera nulle part.

 

Quels sont les acquis engrangés par votre association depuis sa création ?

 

Sans prétention et sans fausse modestie, je peux dire que l’association des sages-femmes du Togo est créée en 1956 et lors de la célébration de notre cinquantenaire, nous nous sommes donné l’opportunité de regarder dans le rétroviseur et objectivement, de voir ce qui nous attend et que nous devons faire pour atteindre nos objectifs. Au Togo, les sages-femmes sont présentes dans toutes les sphères, notamment dans les formations. L’association est aussi dotée d’un siège au sein duquel nous faisons des formations de renforcement des capacités des sages-femmes qui sont sur le terrain et aussi des élèves avant d’aller sur le terrain. Notre association organise beaucoup d’actions à l’endroit de la population et dans notre siège qui s’appelle Maison de la sage-femme, nous offrons un paquet minimum de services à des prix minimes. Et ce sont des sages-femmes à la retraite qui offrent ces services à la population, de façon bénévole. L’association travaille avec les organisations de la société civile qui évoluent dans la santé de la reproduction.

 

Votre mot de la fin ?

 

La profession de sage-femme est une profession noble, mais très exigeante et je souhaite que toutes celles qui voudraient exercer cette pratique, la fassent à cœur joie et qu’elles ne viennent pas par obligation ou juste parce qu’on a échoué ailleurs. Je dis non ! Car, on ne s’amuse pas avec la vie d’autrui. Je souhaite aussi que le désir qui porte la sage-femme à vouloir à chaque fois aboutir à un résultat positif, c’est-à-dire donner à la femme son enfant vivant dans les bras, soit accompagné par ceux qui ont la clé et qui ouvrent ce que nous demandons dans nos rencontres, pour que la pratique de la sage-femme soit une réalité.

Propos recueillis et retranscrits par Valérie TIANHOUN

 

 

 


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