HomeA la uneHONKO ROGER JUDICAËL BEMAHOUN, AUTEUR DU SONDAGE REALISE SUR LES HOMMES POLITIQUES BURKINABE : « Mon travail n’a pas pour objectif de frustrer quelqu’un »

HONKO ROGER JUDICAËL BEMAHOUN, AUTEUR DU SONDAGE REALISE SUR LES HOMMES POLITIQUES BURKINABE : « Mon travail n’a pas pour objectif de frustrer quelqu’un »


Les citoyens de Ouagadougou viennent, à travers un sondage, de donner leurs avis sur les personnalités politiques burkinabè qu’ils souhaitent voir jouer un rôle important dans les mois et années à venir. Pour en savoir davantage sur ce sondage qui classe le président de l’Union pour le changement et le progrès (UPC), Zéphirin Diabré, en tête avec 64,20% suivi du président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Roch Marc Christian Kaboré, 61,70% et du professeur à la retraite, Laurent Bado avec 51,90% des sondés, nous avons rencontré, le 11 septembre 2014, son auteur, Honko Roger Judicaël Bemahoun, statisticien-économiste et chercheur. A travers cette interview, il nous donne les motivations profondes, les critères scientifiques de son enquête. Ce Burkinabè qui milite pour une Afrique unie, estime que son travail n’a pas pour objectif de frustrer quelqu’un et qu’il n’aura pas un impact sur le débat qui divise les Burkinabè, notamment la question du référendum, de l’article 37 et du Sénat.

« Le Pays » : Quel besoin avez-vous eu de réaliser ce sondage ?

J. Roger Honko Bémahoun : Cette enquête est une suite d’activités que nous avons réalisées. A l’occasion de la Journée mondiale de la statistique, le 20 octobre 2013, nous avons fait une communication portant sur la cartographie des partis politiques au Burkina Faso, à l’issue des élections législatives du 2 décembre 2012. Sur cette carte, nous avons représenté les 13 partis politiques qui siègent actuellement à l’Assemblée nationale et, à la suite de cette communication, nous avons poursuivi toujours nos investigations. C’est ainsi qu’en janvier, lorsque certains leaders du CDP ont démissionné, nous avons recueilli les réactions d’internautes sur le Faso.net, pour avoir leur lecture sur ces défections. Et sur cet aspect, nous avons produit un article de presse que nous avons intitulé, « Défection de Roch, Simon et Salif du CDP : analyse statistique de la réaction des internautes ». Dans cet article, nous y avons dégagé les différents centres d’intérêts. A la suite de l’étude sur la cartographie, nous avons mené des réflexions et nous avons abouti à la conclusion d’une nécessité de limiter le nombre de partis politiques au Burkina, sur la base de chiffres. En effet, sur les 74 formations politiques qui se sont présentées aux élections législatives et municipales couplées, on avait 34 partis qui ont obtenu un total cumulé de 30 000 voix sur les 3 000 000 de citoyens qui ont voté, soit 1% et 60 partis politiques avaient obtenus moins de 1%. Il y avait 13 formations politiques qui se sont présentées uniquement dans une seule province et l’une parmi elles, le Fasocrate, avait obtenu 96 voix dans la seule province où elle s’était présentée. Le 3e article de presse que nous avons réalisé a été une lettre ouverte que nous avons adressée au ministre de la Promotion des droits humains, lors du lancement de la Caravane du civisme parce que, lorsque nous avons écouté la communication, nous avons senti que la jeunesse était un peu dans le viseur ; et à partir de données statistiques, nous avons démontré qu’au Burkina Faso, les citoyens ont des valeurs civiques et attendent que l’environnement institutionnel leur permette de les exprimer. Nous avons donc suggéré qu’au lieu de parler de citoyenneté responsable qui évoque implicitement citoyenneté irresponsable ou non responsable, il faut plutôt parler de changer de fusil d’épaule. Donc ce sondage est une suite de nos activités et ce baromètre de confiance politique, en réalité, n’a pas été demandé par l’association. Nous avons construit un baromètre politique et, comme tout sondage, nous avons essayé de greffer un certain nombre de questions telles que, est-ce que les citoyens suivent le débat actuel sur le référendum?, etc.

Quelles sont vos motivations profondes ?

Je suis un chercheur qui s’intéresse beaucoup aux questions politiques et cela aussi se justifie parce que j’ai fait des études dans un institut de recherche appliquée en politique ; c’est un institut qui est basé au Bénin et qui essaie de faire la science politique de manière quantitative. La science politique était jusque-là, je dirais, la chasse gardée des juristes. Mais de plus en plus, la science politique est quantitative et nous nous sommes inscrit dans cette démarche et c’est ce qui nous a motivé à vouloir faire une expertise dans ce domaine.

Quels ont été les critères scientifiques de votre sondage?

La technique de sondage que nous avons employée est une technique utilisée par tout le monde : la méthode des quotas marginaux et quels que soient les instituts de sondages, en France où ailleurs, c’est la méthode que les experts du domaine estiment qu’elle est à même de donner l’information dont on a besoin. Et pour faire la méthode de quota comme son nom l’indique, il faut faire des quotas par rapport à des critères dont l’hypothèse sous-jacente explique ce que vous voulez chercher et ces critères sont le sexe et l’âge. En France où les statistiques sont disponibles, on ajouterait le niveau d’instruction ; mais compte tenu du fait que nous n’en disposions pas, nous nous sommes contentés du sexe et de l’âge. L’enquête s’est déroulée entre le 25 août et le 3 septembre à Ouagadougou ; nous avons donc pris les informations données par l’Institut national de la statistique, les projections démographiques de 2014 et, lorsque nous avons fait le calcul, nous nous sommes retrouvés au niveau de la région du Centre avec 53% d’hommes et 47% de femmes. Sur les 158 personnes que nous avons enquêtées, nous avons pu recueillir l’avis de 84 hommes et de 74 femmes.

Quelles réactions avez-vous recueillies après ce sondage ?

J’avoue que, personnellement, j’ai été surpris de l’intérêt du sondage. D’abord au niveau des médias, car ils m’ont tous sollicité de passer expliquer le travail. Au-delà des médias, j’ai reçu des mails d’encouragement des Burkinabè vivant au pays et ceux de l’extérieur que je ne connais pas. Cependant, je dois noter que, dans certains organes, on m’a demandé si je ne m’attirais pas le courroux de certaines personnes et j’ai dit oui ; mais mon travail n’a pas pour objectif de frustrer quelqu’un. C’est de faire un travail scientifique qui, du reste, n’est pas le premier sous nos cieux. Au Mali, par exemple, à l’élection présidentielle de 2013, il y a un collègue statisticien qui a fait une étude de ce genre, pour essayer de faire des prévisions sur l’issue du scrutin.

Quelle crédibilité peut-on accorder à votre sondage ?

Naturellement, pour un sondage de ce genre qui fâche, on peut tout de suite y jeter un discrédit et je tiens à préciser que je n’ai aucune chapelle politique. Je ne suis pas membre d’un parti politique. Donc, c’est pour dire que j’ai fait le travail en tant que chercheur, en tant que scientifique. De ce point de vue, les échantillons que nous avons proposés nous permettent de dévoiler la rigueur que nous avons mise dans la collecte des données. Cette rigueur nous permet de dire que nos résultats sont fiables et peuvent servir.

Peut-on, sur la base de votre sondage, conclure que si l’élection présidentielle a lieu actuellement à Ouagadougou, Zéphirin Diabré sera élu ?

Je crois que ce serait bon qu’on contextualise. En réalité, les sondages ne disent pas que c’est Zéphirin Diabré qui sera élu président. La question a été claire : « Parmi les personnalités suivantes, lesquelles souhaitez-vous voir jouer un rôle important dans les mois et années à venir ? » Donc, chacun peut donner un contenu du concept « rôle important ». Certains pourraient penser qu’il sera président en 2015, alors que la question que nous avons posée n’est pas allée dans ce sens-là. Nous avons demandé les rôles qu’ils souhaitent les voir jouer et nous avons retenu ici 30 personnalités qui sont dans le domaine politique, dans la société civile et dans le domaine purement militaire. Disons ici que nous avons donné aussi la latitude aux enquêtés eux-mêmes de nous proposer des personnalités qu’ils souhaitent voir jouer un rôle, et dont les noms ne figurent pas sur notre liste. Ils ont fait aussi des propositions.

On sait que l’enquête intervient dans un contexte marqué par des débats, notamment sur l’article 37 de la Constitution, le référendum et la mise en place du Sénat. Ne pensez-vous pas que votre travail pourrait avoir un impact sur le déroulement de ces débats ?

Je ne le pense pas parce que c’est juste pour donner la situation. Si vous regardez dans les instituts de sondages de certains pays dont la France, ils font des enquêtes de ce genre-là, à la limite mensuellement, surtout au niveau de l’exécutif où on donne les probabilités pratiquement à chaque mois.

« Le travail que nous avons effectué ne peut pas influencer le déroulement des choses »

On ne peut pas faire un travail en couple, instantanément ici et maintenant, et dire que cela va déterminer des résultats dans une année. Si j’ai une bonne mémoire, je me rappelle très bien qu’il y a une année où j’étais en Espagne et il s’y est produit un accident à la veille d’une élection. Les candidats favoris l’ont perdue et cela a surpris beaucoup de citoyens. C’est pour vous dire que le travail que nous avons effectué ne peut pas influencer le déroulement des choses. Donc, c’est juste pour donner la situation à un instant T. Il appartient à chacun maintenant de faire l’usage qu’il en veut.

Vous êtes-vous senti menacé après la publication de votre sondage ou craignez-vous pour votre sécurité ?

J’avoue que si je dis qu’il n’y a pas de crainte qui m’habite, j’aurai menti. Mais je me dis aussi que c’est un travail scientifique et que ceux qui essaieraient de m’intimider pourront se ressaisir, étant donné qu’ils ont la possibilité de refaire l’opération. Donc, si je vous dis que je ne crains pas pour ma sécurité, j’ai menti car il n’y a qu’à entendre certains commentaires. Ce matin (NDLR 11 septembre), par exemple, nous avons reçu un appel d’une amie de la famille qui a dit qu’ils ont écouté l’élément qui est passé. Elle nous a demandé si cela n’allait pas susciter le courroux de certaines personnalités. J’ai répondu qu’on ne peut pas l’occulter. Mais je crois aussi que ces personnalités sont assez intelligentes pour comprendre le sens de mon travail. En tous les cas, l’opinion publique est là comme mon bouclier.

En tant que chercheur qui s’intéresse à la politique, quelle analyse faites-vous de la situation sociopolitique actuelle ?

L’analyse que je peux faire en tant que chercheur, c’est que, depuis quelques temps, on a estimé que les Burkinabè ne participent pas à la chose politique. Notons qu’il y a de plus en plus une effervescence dans la participation aux débats politiques et cela est un élément important pour l’enracinement de la démocratie dans notre pays. Quant à ma lecture sur le référendum, je peux dire qu’il n’y a jamais quelque chose d’acquis. Tout est le fruit de la lutte et tout ce qu’on arrive à obtenir est toujours la résultante d’un rapport de force. Je pense que ceux qui comprendront cela, gagneront la bataille. Ici, ce que nous avons pu remarquer au niveau des sondages est que les partisans des deux camps, si je peux m’exprimer ainsi, répètent pratiquement en chœur les arguments avancés de part et d’autre. C’est dire qu’en termes de communication, les citoyens sont réceptifs aux messages qui sont véhiculés. De ce point de vue, ceux qui comprendront mieux cela à temps, pourront donc sortir vainqueurs.

Est-ce qu’il y a un aspect que notre questionnaire ne vous a pas permis de dire et que vous aimeriez aborder ?

Il y a un aspect assez important dans ce sondage, je dirai le nœud même du travail, car nous avons voulu avoir une idée précise sur le niveau de confiance des citoyens par rapport à un certain nombre d’institutions en l’occurrence la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’Armée, les partis politiques de la Mouvance présidentielle et de l’Opposition, la Présidence, l’Assemblée nationale, le Conseil régional, le Conseil constitutionnel, le Conseil municipal et la Justice. Nous avons demandé aux enquêtés s’ils font confiance à ces institutions et nous avons proposé une échelle appelée « échelle de likert » qui est : « pas du tout confiance » et « tout à fait confiance ».

« Les Ouagavillois n’ont pas du tout confiance à l’institution judiciaire »

A la fin, on a fait le solde entre ceux qui ont confiance et ceux qui n’ont pas confiance ; et quand nous avons fait le classement, la CENI vient en tête avec un solde de 13,4%, ensuite vient l’Armée qui a un solde de 9,3%. Contrairement à ce qu’on pouvait penser avec les évènements de 2011, les gens n’ont pas jeté un grand discrédit sur la grande muette, ils en ont plutôt un autre regard. Ensuite, viennent les partis politiques de l’Opposition avec un solde de 1,4%. L’institution qui viennent en 4e position avec un solde négatif -7,4% est la Présidence, même quand on sait que, dans nos pays, son solde est souvent lié à l’image du président. La dernière des institutions est la Justice où le solde est -57,7%. En réalité, cela veut dire que le justiciable, notamment le Ouagavillois, n’a pas du tout confiance à l’institution judiciaire. Je crois que cela corrobore un peu ce que nous lisons à travers les médias. C’est le véritable nœud de notre travail. Comme on l’a dit, pour un sondage, on greffe toujours des questions d’actualité pour pouvoir éclairer un certain nombre de situations et c’est ce que nous avons fait.

Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA et Mamouda TANKOANO


Comments
  • je ne suis pas trop d’accord avec cette proportion car la somme des reponses depassent 100%.

    13 septembre 2014

Leave A Comment