INVESTITURE D’ALPHA CONDE
A la suite du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (ADO) qui a prêté serment pour la troisième fois consécutive le 14 décembre dernier, sur les bords de la lagune Ebrié, le président guinéen, Alpha Condé, sacrifie ce 15 décembre 2020, à la même tradition dans un contexte de tensions nées de la crise sociopolitique liée à la question du troisième mandat. Si la succession des dates semble relever d’un hasard de calendrier, dans les faits, ces deux chefs d’Etat nouvellement réinvestis, apparaissent comme des larrons en foire mus par la même volonté de tailler des croupières à la démocratie et aux règles de l’alternance, en s’octroyant ces mandats à polémique qui ont fait couler beaucoup d’encre, de salive et de sang dans leurs pays respectifs. Et dans le cas d’espèce, le dirigeant guinéen est celui qui se sera le plus tristement illustré car, non content d’avoir été le premier des deux à afficher clairement ses ambitions, Alpha Condé aura montré une volonté inébranlable de s’offrir à tout prix ce troisième mandat.
Cette investiture sonne comme un requiem pour la démocratie au pied du Fouta Djallon
Et il n’a pas hésité à aller le chercher en enjambant les cadavres de certains de se compatriotes dont le seul tort aura été de s’ériger en travers de son chemin pour marquer leur désaccord avec une pratique en porte-à-faux avec les règles de droiture démocratique. C’est dire si cette investiture qui consacre officiellement le troisième mandat du Professeur, sonne comme un requiem pour la démocratie au pied du Fouta Djallon. Et l’opposition aura beau crier, rien ne pourra encore empêcher Alpha Condé de prolonger son bail au palais Sekoutoureya. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire que la dizaine de chefs d’Etat annoncés à cette cérémonie, va assister aux funérailles de la démocratie en Guinée, dans ce qui apparaît comme une campagne de légitimation, au plan international, de ce mandat querellé. Comment peut-il en être autrement quand, au nombre de ces invités de marque, se comptent des dirigeants comme le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Togolais Faure Gnassingbé ou encore le Tchadien Idriss Deby Itno qui sont autant de vieux caïmans du marigot politique africain, qui refusent obstinément de passer la main ? A côté d’eux, on veut bien croire qu’au-delà des affinités personnelles, la présence de chefs d’Etat comme ceux du Liberia, de la RD Congo, du Ghana, de la Mauritanie ou encore du Burkina Faso, répond plus aux mêmes règles de convenances diplomatiques qui pourraient aussi justifier la présence d’un représentant du président français, Emmanuel Macron. Ce dernier ne s’est pas gêné d’émettre publiquement des réserves sur la manière et les conditions de réélection de son homologue guinéen, à la tête de son pays. Sans oublier qu’au terme de la nouvelle Constitution qui remet les pendules à zéro, la durée du mandat présidentiel est passée à six ans, alors que l’octogénaire président guinéen ne montre pas encore de signes de satiété, après dix ans de pouvoir. C’est dire si l’investiture de ce jour, est une cérémonie qui vient porter une ombre supplémentaire au tableau de la démocratie sur un continent encore à la recherche de ses marques.
On peut craindre que d’autres têtes couronnées du continent noir, ne succombent à la tentation de la prolongation indue de leur pouvoir
Et pour cause. L’Afrique de l’Ouest qui pouvait jusque-là s’enorgueillir de ses progrès en matière de respect des règles de l’alternance, est en train de prendre un virage dangereux avec ce printemps des troisièmes mandats. En effet, on se rappelle encore comme si c’était hier, la volonté affichée des chefs d’Etat de la CEDEAO de faire de la limitation des mandats présidentiels dans leur espace, un sacro-saint principe auquel aucun pays ne devait déroger. L’idée avait fait son chemin en 2015 sur instigation du président en exercice de l’instance régionale à l’époque, le Ghanéen John Dramani Mahama. Et les démocrates du continent n’espéraient pas moins venir à bout de la résistance des mauvais élèves que représentaient le Togo et la Gambie, véritables moutons noirs de la démocratie qui ramaient encore à contre-courant de ce mouvement qui était censé mettre fin au principe de l’indispensabilité et tirer la gouvernance de nos Etats vers le haut. Mais quelques années plus tard, les Africains ne sont pas loin de déchanter. En effet, non seulement l’ivraie que représentait principalement le pays des Gnassingbé n’a pu être dessouchée, mais pire, elle semble avoir poussé des racines tellement loin que l’on se demande aujourd’hui si elle n’a pas gangrené le reste du champ au point qu’il est aujourd’hui difficile de distinguer la bonne graine parmi nos chefs d’Etat, à l’épreuve de la question des troisièmes mandats. En tout cas, à la suite d’Alassane Ouattara et d’Alpha Condé, on peut craindre que d’autres têtes couronnées du continent noir, ne succombent à la tentation de la prolongation indue de leur pouvoir, à l’idée de pouvoir se faire une légitimité internationale. peu importent les séismes et autres répliques telluriques que cela pourrait avoir à l’intérieur de leurs pays respectifs. C’est dire si la démocratie est véritablement en danger sur le continent africain. Mais, chaque peuple a son histoire et il lui appartient de l’écrire à sa façon même si dans le cas de la Guinée où l’alternance est visiblement piégée, l’on n’est pas loin de s’en remettre à présent à l’œuvre de Dame nature.
« Le Pays »