HomeA la uneJOËL COMPAORE, SG DE LA SECTION CDP FRANCE

JOËL COMPAORE, SG DE LA SECTION CDP FRANCE


Il s’appelle Joël Compaoré. Il est le Secrétaire général de la section France du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ex-parti au pouvoir. Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder le 2 juillet depuis Paris où il vit « confiné », il est question du sort de François Compaoré qui, pour l’instant, retient encore son souffle, attendant impatiemment le verdict du Conseil d’Etat. Mais pour Joël Compaoré, les choses sont claires : « François Compaoré est victime d’un acharnement sur fond de règlements de comptes politiques ». Lisez plutôt !

« Le Pays » : La Cour d’appel de Paris a donné un avis favorable pour l’extradition de François Compaoré, suivi de la signature du décret par le Premier ministre Edouard Philippe. Quelle lecture faites-vous de cette décision en tant que Secrétaire  général CDP de la section France?

Joël Compaoré : Avant tout propos, c’est en tant que citoyen burkinabè qui a vécu ces évènements en 1998 et qui a consenti beaucoup d’efforts, que je m’exprime. Je dis cela parce que nous sommes de ceux qui ont bravé les répressions de la police pour manifester dans les rues de Ouagadougou pour demander justice. Nous avons veillé devant les domiciles des responsables du MBDHP de l’époque pendant que les responsables du CDP actuellement au MPP, se faisaient garder par les CRS. Beaucoup de sacrifices aussi, car je suis de la promotion qui a été victime de l’année invalidée du fait des multiples grèves et des manifestations avec les conséquences que l’on sait. Ce fut un crime atroce qui nous a choqués et qui a indigné le Burkina Faso. Aujourd’hui, à la lumière de ce qui a été dit et présenté pendant les différents procès, on ne peut qu’être étonné et surpris de la signature de ce décret autorisant l’extradition de M. François Compaoré. Au vu des débats devant la Chambre de l’instruction qui, je le précise, ne s’est pas penchée sur le fond de l’affaire, mais a donné un avis sur la forme, on se rend bien compte que ce crime a été instrumentalisé pour annihiler les ambitions d’un adversaire politique. Sinon, comment comprendre qu’une personne, dans une affaire, puisse faire l’objet d’un mandat d’arrêt alors qu’elle n’est même pas inculpée et a seulement été entendue à l’époque des faits comme simple témoin. D’ailleurs, selon les accords de coopération du 24 avril 1961 en vigueur au moment de son arrestation, qui lient nos deux pays, l’extradition n’est possible que seulement si l’intéressé est mis en examen, inculpé ou condamné. Ce qui n’est pas le cas dans ce dossier.  En tant que SG de la section, le mandat d’arrêt ne nous étonne pas en ce sens que le camarade François Compaoré est un éminent cadre de notre parti, donc un homme à « abattre », surtout face à l’échec du régime Kaboré qui n’est plus à démontrer. En plus, la prise de position du président français lors de son séjour à Ouagadougou en 2017, que je cite : « je ne doute pas que la Justice française rendra sa décision et qu’elle sera favorable… ». En engageant sa parole en tant que chef de l’Etat français devant un parterre de « soi-disant étudiants » dans un dossier judiciaire aussi sensible que celui-là, nous nous interrogeons sur la réalité de l’indépendance de la Justice. C’est, pour moi, l’occasion d’interpeller les différentes organisations de la magistrature française sur leur silence face à cette ingérence et cette guillotine appliquée au principe de la séparation des pouvoirs. Elle est où, cette France des lumières ? Elle est où, cette France de l’Universel qui a fait rêver tant de monde ? Peut-être faut-il le rappeler, le président français, lors de son séjour au Japon et répondant au cas Carlos Ghons, disait ceci : « il n’appartient pas au président de la République française de venir s’immiscer publiquement dans un cas judiciaire (…) je suis attaché au principe de la présomption d’innocence et au droit de la défense ». Nous sommes certains que si le président de la République française avait tenu les mêmes propos sur le dossier de M. Compaoré, la décision serait tout autre. Mais, vous constatez comme moi que les règles de la république, surtout en matière de justice, varient selon qu’on est Africain, Européen ou Franco-libano-brésilien et aussi selon qu’on a affaire à la Justice japonaise ou burkinabè. Alors que le Burkina est confronté à de graves problèmes sécuritaires et économiques, il n’y a que le cas de M. Compaoré qui est resté en mémoire lors de la visite du Président Macron.

Vous avez suivi les différentes étapes du procès et la défense de François Compaoré est constituée d’avocats de renom, pensez-vous qu’il y a eu déni de justice quelque part ?

Il faut croire que la Justice française a déroulé le tapis rouge à l’Etat burkinabè pour des raisons qu’elle seule connaît. Mais l’avenir nous révélera les contours de ce dossier qui prend des allures de règlement de comptes politiques. Ayant assisté au procès sur l’extradition, on peut se poser des questions sur certaines incohérences. Nous en avons fait le constat, de même que les avocats de M. Compaoré. Alors que le délai requis pour complément de dossier, était de 21 jours, il a fallu attendre deux audiences et six mois pour que la partie burkinabè puisse fournir des documents ; tout le dossier était désespérément vide. Pourtant, tenez-vous bien, le dossier avait été ré-ouvert selon le juge, sur la base d’éléments nouveaux ! Eléments nouveaux découverts dans une résidence saccagée et brûlée par les émeutiers. Des inquiétudes avaient été soulevées par les conseils de M. François Compaoré, qui disaient à la Cour qu’un temps long, laisse la possibilité au juge burkinabè de préparer de faux documents pour justifier l’extradition. Et bien sûr, cela n’a pas manqué puisque le juge d’instruction burkinabè a modifié un PV d’audition du seul témoin oculaire et l’a introduit dans le dossier. Nous comprenons donc pourquoi les demandes des avocats burkinabè de M. François Compaoré afin d’avoir accès au dossier, sont restées vaines jusqu’à présent. Nous sommes aussi interloqués lorsque la Chambre d’instruction affirme, je cite: « la Cour est donc parfaitement en mesure de se rendre compte que la citation faite par le juge d’instruction dans sa note n’est pas correcte…», et rendre une telle décision. Nous laissons vos lecteurs en juger. M. Compaoré a été interpellé, bloqué en France ; ce qui a permis au juge burkinabè de fabriquer des pièces comme l’avocat de M. Compaoré l’avait prédit lors de l’audience devant la Chambre de l’instruction ; c’est le constat qui s’impose. Et cela, dans le seul but de le neutraliser parce qu’il est une référence et une menace face à l’incapacité et l’incompétence actuelles. Mais vous savez, les juges restent des hommes. Un juge peut-il contredire son président ? Tous ceux qui ont suivi les débats dans cette salle d’audiences sont restés stupéfaits et atterrés par le 1er verdict. En fait, un verdict qui sonnait « quittez mon tribunal et allez vous démerder avec l’Exécutif ».

« Sans l’ombre d’un doute, ce dossier est politique et nous savons que les arguments judiciaires pèsent peu »

Comment François Compaoré doit-il prouver son innocence dans l’affaire de l’assassinat de Norbert Zongo ? Où alors, avez-vous le sentiment que l’affaire soit un règlement de comptes politiques de l’actuel pouvoir burkinabè ?

Votre question résume en elle-même le caractère inique et ubuesque de cette situation. On n’a pas à prouver son innocence ; on se défend éventuellement face aux éléments de preuve que présente l’accusation. C’est pour cela que dans les principes et postulats de base de la Justice, toute personne est présumée innocente. Dès qu’il s’agit de M. François Compaoré, le raisonnement s’inverse. En réalité, dans ce cas précis, M. François Compaoré est déjà condamné, et sera victime d’une sorte de «loi prairial» et on parodie la Justice pour faire bien. D’une part, il a été mis hors de cause par la Commission d’enquête internationale qui a produit plus de 300 PV. Le juge d’instruction lui en a produit plus de 260 et aucun ne l’incriminait. Je précise que bon nombre des membres de la CEI étaient hostiles au pouvoir Compaoré dont la plupart sont aujourd’hui des dignitaires du régime actuel (Kassoum Kambou président du Conseil constitutionnel, Chérif Sy ministre d’Etat, ministre de la Défense,…). De plus, le seul inculpé dans l’affaire, le regretté Marcel Kafando, a bénéficié, en juillet 2006, d’un non-lieu. Si les avocats « politiques » du dossier ont saisi la Cour Africaine des droits de l’Homme (CADH) espérant un jugement en leur faveur, face à l’absence d’éléments matériels, la CADH a invité l’Etat burkinabè à explorer d’autres pistes. Et l’actualité récente des audios attribués au regretté, même s’ils n’ont pas été authentifiés, indiquaient que plus d’un en voulait à Zongo. En s’acharnant sur la piste Compaoré, la Justice a délimité son domaine de recherche et fermé certainement la porte à la manifestation de la vérité. Aujourd’hui, si tant est que l’on recherche la vérité, pourquoi n’avoir pas procédé par une commission rogatoire pour l’entendre, surtout qu’il n’a jamais quitté le pays à cause d’une affaire judiciaire et vit ici avec sa famille et l’objectif est de l’en éloigner.

Vous avez dit procès politique ?

Certainement! Notre position est claire. Il s’agit d’une affaire politique qui vise à briser un homme d’Etat. Le CDP et toute l’opposition politique burkinabè sont restés sur la même position en considérant que cette extradition n’est rien d’autre qu’un règlement de comptes et une cabale politique. Sans l’ombre d’un doute, ce dossier est politique et nous savons que les arguments judiciaires pèsent peu. Sinon, comment comprendre que malgré plusieurs vices de procédure, un décret soit pris ? Il faut que justice soit rendue à Norbert Zongo et à ses compagnons mais pas au détriment d’un citoyen innocent et pas en bafouant toutes les règles élémentaires du droit.

Mais il y a une vidéo d’un témoin à charge qui circule; Qu’en pensez vous ?

Si vous faites allusion à la vidéo de M. Naon, ils n’ont pas trouvé mieux que des repris de justice car ce dernier faisait partie du cerveau d’un coup d’Etat manqué en 2006, organisé par M. Ouali. Il a été condamné pour atteinte à la sûreté de l’Etat et a écopé de 6 ans de prison ferme. Si le témoignage d’un tel individu qui n’est étayé par aucun élément matériel peut être pris en compte dans une procédure pénale, il faut vraiment craindre pour notre Justice.

« La Justice burkinabè cherche toujours ses marques et ses repères »

Quel regard portez-vous sur la Justice burkinabè ?

La Justice burkinabè cherche toujours ses marques et ses repères. Cette institution ne devrait pas être utilisée à des fins politiques, ce qui est malheureusement le cas dans ce dossier et plus généralement au Burkina. Le corps judiciaire semble sourd et paralysé sur certains dossiers comme par exemple celui des anciens ministres du président Compaoré qui, depuis cinq ans, attendent un jugement. Voici des Burkinabè qui ont été privés de leurs droits civiques élémentaires pour deux élections présidentielle, législatives et municipales. Mais cette même Justice qui s’emballe quand il s’agit du dossier d’extradition de François Compaoré, reste aphone quand il faut rendre justice à notre militant Ouédraogo Salif brûlé vif au siège de notre parti. Sans compter les édifices publics et les biens privés saccagés et incendiés dont les principaux commanditaires et exécutants ne s’en cachent pas et se répandent dans la presse nationale et internationale sans réaction aucune. Pour que les Burkinabè fassent preuve de plus de déférence vis-à-vis de l’appareil judiciaire, il faut qu’elle se départisse de ceux qui ternissent et sapent sa réputation. Il y a quelques jours de cela, dans l’affaire de corruption des 77 véhicules du maire de Ouagadougou, l’opinion nationale est toujours sous le choc de savoir qu’un juge d’instruction aurait monnayé ses services pour étouffer l’affaire. Et figurez-vous bien que le doyen des juges d’instruction qui a falsifié le PV d’audition dans l’affaire d’extradition de François Compaoré, et qui est poursuivi en France pour faux et usage de faux, a été entendu dans cette sombre affaire. Comment voulez-vous faire confiance à une telle machine, à un tel système qui, en son sein, regorge de tels magistrats ? Faites un micro-trottoir dans la rue de Ouagadougou pour demander à la population ce qu’elle pense de sa Justice et vous verrez bien que cette Justice suscite beaucoup d’inquiétudes. Je reste tout de même convaincu que l’institution dispose d’hommes et de femmes intègres, qui triment au quotidien, conscients de leurs responsabilités, pour peu qu’on leur donne les moyens. Je ne parle pas seulement de moyens matériels, mais de tout ce qui entoure l’accomplissement de leur mission, notamment leur indépendance vis-à-vis de l’Exécutif, qui relève aussi de leurs propres luttes.

En France, le Conseil d’Etat dispose d’une jurisprudence plus favorable, pour les personnes susceptibles d’être extradées, que la Cour de cassation ; est-ce un motif d’espoir pour vous ?

Tant que M. François Compaoré n’est pas extradé, nous espérons toujours. Et de toute façon, nous ne souhaitons pas cette extradition dans la situation actuelle du pays. Voyez-vous, le Burkina aujourd’hui, est un pays à risques où les prisons sont devenues des mouroirs (11 gardés-à-vue peuvent périr dans une cellule au commissariat sans raison, ou encore qu’un enseignant peut tout aussi y perdre la vie dans les locaux de la gendarmerie à Ouagadougou), un pays en proie à une instabilité chronique où des milices armées par le gouvernement déciment des civils dans une impunité totale. On parle d’un pays qui est qualifié de « Nouveau Rwanda » par l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’Homme. Le Burkina Faso est qualifié de pays où le risque de massacres à grande échelle est le plus important, selon le Centre de recherche américain de la mémoire de la Shoah. Human Rights Watch s’indignait du massacre de 120 civils pour des raisons jusqu’à présent inexpliquées. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) lui a emboité le pas pour dénoncer la violence faite sur des populations. On parle d’un Etat qui est pointé du doigt par le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) pour « des exécutions sommaires, extrajudiciaires, des populations civiles » à Kain et Bahn dans le Nord. C’est dire que l’Etat burkinabè est en totale faillite. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et même la France interdisent à leurs ressortissants de s’y rendre mais, par contre, cette même France est prête à y envoyer M. Compaoré qui est un opposant politique d’envergure. Il faut vraiment croire que la France qui était citée autrefois comme un exemple de pays dit des Droits de l’Homme, est en train de franchir un palier.

Arrive-t-il que François Compaoré participe aux activités ou rencontres de la section CDP France ?

François Compaoré ne participe ni aux rencontres ni aux activités de la section car son statut ne le lui permet pas.

Avez-vous échangé avec lui sur le choix du candidat du CDP pour la présidentielle de novembre, Eddie Komboïgo qui attend d’être adoubé par le fondateur, son frère aîné ?

Le camarade François Compaoré est seulement préoccupé par son dossier d’extradition. Nos échanges sur le sujet du candidat du CDP, si d’aventure il y en avait, ne sauraientt être du domaine public. Permettez-moi de leur conserver leur caractère privé, surtout que je vous ai dit qu’il ne participait pas aux activités de notre section. Nous ne dévoilerons pas non plus dans la presse, nos stratégies électorales pour gagner les prochaines élections.  Sur le choix du candidat, nous pouvons dire sans nous tromper qu’en tant que démocrate convaincu, François Compaoré est attaché aux principes démocratiques et n’ira pas à l’encontre des statuts et des règlements qui régissent notre parti. Pour conclure, je dois dire simplement que c’est ensemble et uni que le CDP va y arriver.

Propos recueillis par Boundi OUOBA


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