JUGEMENT DE DOMINIC ONGWEN
Bourreau ou victime ? Telle était la problématique du verdict de Dominic Ongwen, ex-enfant soldat devenu chef de guerre ougandais, des années plus tard. Il a été reconnu coupable de 61 chefs d’accusation, hier, 4 février 2021, par la Cour pénale internationale (CPI) où il devait répondre, depuis son transfèrement en 2015 et l’ouverture de son procès en 2016, de 70 chefs d’accusations dont ceux d’esclavage d’enfants, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en Ouganda et dans la région des Grands lacs. En 2013, les Etats-Unis avaient mis sa tête à prix pour cinq millions de dollars. C’est dire toute la dimension des crimes à lui reprochés, et du danger qu’il représentait en étant dans la nature. Le quadragénaire prisonnier d’aujourd’hui de La Haye, à qui il est reproché de multiples atrocités, était décrit comme le plus « courageux, loyal et brutal » des hommes de Joseph Kony. Ce leader de la LRA (Armée de résistance du Seigneur), en cavale et toujours introuvable, a poussé à la rébellion, de nombreux combattants qui sévissaient en Ouganda, en République démocratique du Congo, au Soudan et en Centrafrique.
Ce ne sont pas tous les enfants victimes de brimades, qui deviennent d’impitoyables tueurs froids
Autant de pays qui restent aujourd’hui encore, à des degrés divers, des foyers de tensions. D’après l’ONU, le groupe de Joseph Kony aurait tué près de 100 000 personnes en Afrique et enlevé plus de 60 000 enfants. Tueries et kidnappings qui s’étendent sur les trois dernières décennies, d’abord dans le cadre d’un soulèvement contre le gouvernement ougandais en 1987 (date de création de la LRA), puis en tant que bande armée errante sur le continent africain. Avec un tel pedigree de cruauté à la limite de l’inhumanisme, on se demande comment Dominic Ongwen pouvait espérer échapper aux fourches caudines de la Justice internationale. En tout cas, son passé d’enfant soldat qui était sa principale ligne de défense et qui tendait à le faire passer lui-même d’abord pour une victime, ne pouvait expliquer à lui seul, les atrocités dont il s’est rendu par la suite coupable, encore moins l’absoudre de la responsabilité des meurtres, viols, tortures, esclavage sexuel, pillages et autres recrutements d’enfants soldats âgés de moins de 15 ans dont il était accusé. Car, ce n’est pas parce qu’on est enfant, qu’on n’est pas passible de condamnation. C’est ce qui justifie, du reste, l’existence de tribunaux pour enfants, qui prononcent des sentences assorties. Dans le cas d’espèce, les avocats de Dominic Ongwen voulaient pour lui, l’excuse d’avoir été enlevé à l’âge de l’adolescence pour être conditionné et formaté dans un carcan qui ne lui laissait pas beaucoup de choix. Mais c’est oublier un peu trop facilement que ce ne sont pas tous les enfants victimes de brimades, qui deviennent d’impitoyables tueurs froids au point de se bâtir une triste renommée à l’échelle internationale.
Reste à espérer que cela servira de leçon
C’est pourquoi le verdict de la CPI paraît aussi logique que pédagogique et on ne peut pas trouver à redire sur son jugement. En même temps, c’est un message fort que l’institution de Fatou Bensouda envoie à l’endroit de tous les criminels de guerre dont certains continuent de courir les rues, et pensent pouvoir se soustraire impunément à la Justice des Hommes. En tout cas, ce n’est que justice, que Dominic Ongwen qui a été rattrapé par son passé, puisse enfin payer ici-bas pour ses actes. Reste maintenant à espérer que cela servira de leçon et que d’autres criminels du même acabit encore tapis dans l’ombre, finiront tôt ou tard par tomber dans les filets de la Justice internationale. A commencer par son mentor, Joseph Kony, dont on se demande à quand le tour. En tout état de cause, au-delà du droit, en reconnaissant Dominic Ongwen coupable et en attendant le prononcé de la sentence, la Justice internationale fait œuvre utile en continuant de le maintenir dans les liens de la détention. Car, non seulement son mentor, Joseph Kony, est toujours en cavale, mais aussi des pays comme la Centrafrique, le Soudan et dans une moindre mesure la République démocratique du Congo où la LRA a eu à sévir, sont encore loin d’être totalement pacifiés. En outre, l’intéressé qui avait plaidé non coupable dès le départ face à la foultitude de chefs d’accusation portés à son encontre par la juridiction internationale, semble encore dans le déni de ses actes, pour en rejeter exclusivement la responsabilité sur son mouvement armé d’appartenance. Comment, dans ces conditions, peut-on espérer une quelconque repentance en vue d’une éventuelle bonne réinsertion dans la société, si tant est que la prison de Scheveningen où il croupit depuis cinq ans, ait, comme tout centre pénitentiaire, aussi pour vocation d’en faire un homme nouveau, à sa sortie du cachot ?
« Le Pays »