HomeA la uneLA CEDEAO EN SOMMET ORDINAIRE A ABUJA : Le sursaut ou la chute

LA CEDEAO EN SOMMET ORDINAIRE A ABUJA : Le sursaut ou la chute


La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en sommet ordinaire, le 14 décembre 2025 à Abuja, avec en toile de fond, deux secousses politiques majeures en Guinée Bissau et au Bénin, deux pays qui ont respectivement connu un coup d’Etat abouti, et une tentative avortée. Deux événements donc, deux issues, mais une même alerte rouge pour une organisation régionale qui, bien plus que son autorité, joue sa survie. Fragilisée par le départ de trois Etats membres en l’espace de quelques années, contestée dans sa légitimité et concurrencée sur le terrain géopolitique par un nouvel espace créé par ses dissidents, la CEDEAO n’a plus le luxe de l’ambiguïté.

 

Une instance qui se veut crédible, ne se juge pas à l’intensité de ses communiqués, mais à la constance de ses principes

 

Sa réaction prompte et vigoureuse qui a permis de mettre en échec le coup d’Etat perpétré au Bénin, il y a une semaine, est un signal fort, presqu’un réflexe de survie, pour étouffer dans l’œuf une déflagration institutionnelle qui aurait pu provoquer un effet domino dévastateur pour l’Organisation. Car, les chefs d’Etat ouest-africains réunis hier autour de leur homologue nigérian, Bola Tinubu, savent désormais que chaque coup d’Etat réussi ou toléré, est une pierre supplémentaire qui se détache de l’édifice communautaire déjà lézardé, et chaque silence, chaque hésitation, chaque décision à géométrie variable, alimente l’hémorragie et ouvre davantage la voie à des recompositions géopolitiques qui risquent d’être fatales à la CEDEAO ou à ce qu’il en reste.En un mot comme en mille, le sommet d’Abuja n’a pas été une rencontre de plus dans l’agenda diplomatique des présidents, mais une occasion pour montrer à tous ses membres qu’elle sera désormais la boussole et non la girouette, le rempart et non le simple spectateur de l’effondrement démocratique régional en cours. L’Organisation pourrait ne plus, en effet, se contenter de condamner les coups d’Etat militaires après coup, de brandir des sanctions symboliques, ni de se satisfaire de succès ponctuels comme, ce fut le cas au Bénin. Une instance qui se veut crédible ne se juge pas à l’intensité de ses communiqués, mais à la constance de ses principes et à l’efficacité de leur application. La Guinée Bissau constitue, à cet égard, un test grandeur nature de crédibilité, et l’on comprend pourquoi le sommet d’hier est allé au-delà des déclarations rituelles et des résolutions incantatoires pour exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans les plus brefs délais à Bissau. Faillir sur ce dossier de la Guinée Bissau reviendrait à ses yeux, à envoyer un signal désastreux, celui qu’un coup de force, au lieu d’être une ligne rouge absolue à ne pas franchir, peut prospérer à cause de sa complaisance dans l’application de ses textes fondateurs, et des compromis douteux avec les nouveaux maîtres, comme on l’a vu dans certains pays de l’espace. Le coup de semonce venu de Cotonou, la semaine dernière, semble avoir motivé cette décision des chefs d’Etat présents à Abuja, à mettre fin à cette indulgence sélective, et à ne plus brouiller le message.

 

La CEDEAO est plus que jamais à la croisée des chemins

 

Les bruits de bottes qui ont failli emporter le président béninois, Patrice Talon, ont manifestement décillé les yeux des participants au conclave d’Abuja, sur la vraie bataille qui doit se jouer en amont, notamment le regard que la CEDEAO doit absolument porter sur les causes profondes des coups d’Etat militaires. Tripatouillage des textes, Constitutions taillées sur mesure, élections verrouillées, oppositions étouffées et gouvernance sourde aux aspirations populaires sont, entre autres, des dérives qui sapent la légitimité des régimes civils issus d’élections supposément démocratiques.La CEDEAO qui, rappelons-le, célèbre cette année, son cinquantième anniversaire, a atteint l’âge des choix décisifs, et ne doit plus continuer à fermer les yeux sur ces pratiques qui lui ont déjà fait perdre des membres, du crédit et du sens. Elle est donc plus que jamais à la croisée des chemins, et ce sera le sursaut si elle applique ses propres principes avec la sévérité requise. Ou carrément la chute avec l’érosion inexorable de son influence et son délitement, crise après crise, si elle continue d’endosser, à la fois, le rôle du pyromane silencieux par-endroits, et du pompier empressé par ailleurs. Avec ce qui s’est récemment passé à Bissau et à Cotonou, on espère que les chefs d’Etat réunis hier dans la salle des banquets de la villa présidentielle à Abuja, ont enfin compris qu’en politique régionale comme en médecine, « mieux vaut prévenir que guérir ».

 

« Le Pays »


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