LA CEDEAO FACE AUX COUPS D’ETAT : La stratégie du bâton est-elle payante ?
Le dernier sommet des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), tenu le 25 mars dernier à Accra, a décidé de maintenir la pression sur la junte au pouvoir au Mali en gardant en l’état les sanctions politiques et économiques déjà engagées contre le pays. La Guinée et le Burkina où le pouvoir d’Etat est aux mains de putschistes, ont été aussi menacés de nouvelles sanctions. Pour l’instant, les mesures prises et les menaces proférées par les têtes couronnées de l’espace communautaire, ne semblent faire sur les pouvoirs militaires, que l’effet de l’eau sur les plumes d’un canard. Face à cet état de fait, l’on peut légitimement se poser la question suivante : la stratégie du bâton de la CEDEAO est-elle payante ? Il est difficile de répondre avec certitude, à la question, l’efficacité de certaines mesures ne pouvant être évaluée que sur le long terme. En revanche, pour l’instant, les sanctions prises par les chefs d’Etat ont eu pour effet immédiat, de soulever un immense concert de réprobations tant au sein des populations des pays affectés que dans les opinions publiques internes des Etats membres de l’organisation régionale.
La CEDEAO est perçue dans l’imaginaire de bien des Africains, comme un instrument au service de l’impérialisme français
En effet, ces sanctions font l’unanimité contre elles en raison des grandes souffrances qu’elles imposent aux populations déjà durement éprouvées par la triple crise sécuritaire, alimentaire et humanitaire. Pire, ces sanctions sont perçues comme étant un diktat de la France qui tenterait de se maintenir contre vents et marées dans son pré-carré hérité de la colonisation. La CEDEAO est donc perçue dans l’imaginaire de bien des Africains, comme un instrument au service de l’impérialisme français qui ne recule devant rien pour défendre ses intérêts géostratégiques et économiques. Mais toutes ces accusations contre l’organisation communautaire, sont-elles véritablement fondées ? Il est indéniable, même si la junte militaire au Mali fait le dos rond, que les populations sentent dans leur chair, les sanctions économiques imposées par la CEDEAO. L’on en veut pour preuve le fait que les autorités maliennes elles-mêmes tentent, par tous les recours en leur possession, de desserrer l’étreinte de cet embargo qui peut s’avérer, à terme, gravement handicapant voire mortel. Quant à l’accusation qui fait de la France l’auteur en sous-main de ces sanctions, elle peut donner lieu à des conjectures. En effet, certains propos du chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, laissent croire que s’il n’est pas le donneur d’ordres, il y a pour le moins une forte collusion entre les intérêts français et les décisions prises par l’organisation sous-régionale. L’on peut, de ce fait, dire que la CEDEAO prête le flanc à cette accusation tout comme elle le fait dans le procès du « deux poids, double mesure » qu’on lui fait dans la gestion des crises de gouvernance politique dans la sous-région.
Il est temps que l’institution régionale réforme ses textes
En effet, l’institution est accusée de vite monter sur ses grands chevaux contre les coups d’Etat militaires alors qu’elle fait preuve d’un incompréhensible immobilisme face aux tripatouillages constitutionnels qui ouvrent pour les princes régnants, des boulevards vers les troisièmes mandats comme on en a vu en Côte d’Ivoire et en Guinée, pour ne citer que ces exemples les plus emblématiques. Mais faut-il pour autant prendre pour argent comptant, toutes ces accusations ? A défaut d’y répondre par la négative, sans pour autant se faire l’avocat de la CEDEAO, l’on peut simplement dire que l’irruption des hommes en treillis sur la scène politique ne laisse pas souvent beaucoup de choix aux dirigeants de l’espace sous-régional. Et pour cause : d’abord, l’organisation ne fait que respecter ses principes auxquels ont librement souscrit tous les Etats membres. Ensuite, l’on peut se demander à quel autre argument la CEDEAO pourrait recourir pour faire entendre raison à des gens qui n’entendent que l’argument de la force et qui l’ont érigée en mode d’accession et de gestion du pouvoir. « Quand le fer est dur, seul un autre fer peut le couper », dit la sagesse populaire. Enfin, l’on peut se demander quelle autre attitude il reste à la CEDEAO, quand les pouvoirs kaki affichent une mauvaise foi manifeste et manipulent les populations par un populisme débordant, pour se maintenir au pouvoir tout en les utilisant comme boucliers pour avancer masqués. Ceci étant, il reste, entre toutes ces positions bien tranchées, encore suffisamment d’espace pour se rapprocher. Pour cela, la CEDEAO peut faire plus de pédagogie dans la prise et l’application de ses décisions en améliorant sa communication dans la gestion des crises. Il est aussi temps que l’institution régionale réforme ses textes pour prendre davantage en compte les préoccupations des populations qui sont essentiellement sécuritaires et ôter, du même coup, tout argument pouvant justifier les prises de pouvoir par l’armée. Il faut surtout aussi que dans les dispositifs réglementaires de l’institution, la problématique des tripatouillages constitutionnels soit suffisamment prise en compte et que les auteurs des putschs constitutionnels soient tout aussi ostracisés que les auteurs des coups de force militaires. A l’opposé, les opinions publiques qui sont généralement si virulentes, doivent prendre conscience qu’elles sont les premières responsables des errements politiques de la sous-région parce que d’abord, c’est elles qui facilitent l’ascension au pouvoir d’élites politiques corrompues qui font le lit des coups d’Etat, mais ensuite parce qu’elles cèdent facilement aux militaires diseurs de bonnes aventures. Elles devraient donc elles aussi assumer leur choix quand s’abat la férule de la CEDEAO sur les pouvoirs kaki.
« Le Pays »