L’EI EN CRISE : Une bonne nouvelle qui fait peur
Selon un rapport onusien, l’Etat islamique (EI) serait en crise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle était des plus attendues. Car, aux revers militaires dus aux interventions des puissances étrangères agissant en tandem avec les forces locales, vient s’ajouter l’effet conjugué des mesures destinées à frapper l’organisation au portefeuille. La conjoncture économique internationale caractérisée par l’effondrement des cours mondiaux du pétrole, a aussi contribué à assécher les sources de revenus et atrophié les relations de l’organisation avec ses bailleurs de fonds des monarchies du Golfe, eux-mêmes pris dans la tourmente de la dépréciation de l’or noir. Il est donc normal que l’EI montre des signes d’essoufflement, alors qu’il est acculé de toutes parts et éprouve même des difficultés de recrutement au moment où les bombardements occidentaux ont envoyé ad patres bon nombre de ses cadres.
Il faut craindre que le rapport de l’ONU ne pousse à la multiplication des actes de désespoir
Même en s’en tenant à la sagesse populaire selon laquelle «il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué », ce rapport de l’ONU qui fait état de la déliquescence de l’EI, est en soi une bonne nouvelle. Non seulement il apporte la preuve que l’on peut lutter efficacement contre le terrorisme à condition d’y mettre les moyens et la volonté, mais aussi cela pourrait participer d’une simple stratégie de communication. Car, en fournissant des informations sur l’état grabataire de la nébuleuse terroriste, cela peut, en effet, décourager les candidats au départ pour le djihad et contribuer à assécher ainsi les filières de recrutement. Le hic réside cependant dans le fait que ce rapport peut endormir la communauté internationale qui risque ainsi de tomber dans l’autosatisfaction. Il faut même craindre que ce rapport ne pousse à la multiplication des actes de désespoir ou ne pousse à l’action des « loups solitaires », dans un contexte international marqué par les frasques du nouveau locataire de la Maison Blanche qui fait intentionnellement dans l’amalgame. C’est dire qu’il ne faut pas baisser la garde, surtout que l’on sait que là où les terroristes font le plus souvent mal, ce n’est pas sur leurs bases au Proche et au Moyen Orient, mais sur des cibles civiles dans les territoires excentrés qu’ils infiltrent. Cela dit, cette bonne nouvelle apportée par l’ONU, n’augure pas de lendemains certains pour l’Afrique. La destruction de la ruche au Proche et Moyen Orient risque d’entraîner le départ de nombreux essaims de djihadistes vers le continent africain. Et pour causes. Il existe déjà, dans la bande sahélo-saharienne et dans la Corne de l’Afrique, de nombreux groupes djihadistes dont certains revendiquent déjà leur appartenance à l’EI. Des organisations terroristes comme Boko Haram au Nigeria ou les Shebabs en Somalie, peuvent se retrouver renforcées du fait de l’arrivée de nouveaux combattants. Ensuite, ce n’est un secret pour personne, les frontières africaines sont très poreuses. En effet, dans la bande sahélo-saharienne en particulier, les espaces sont très ouverts et le mode de vie transhumant des populations est très favorable à l’infiltration des djihadistes fuyards. Enfin, les armées africaines sont très mal équipées pour faire face à un éventuel repli des combattants de l’EI. Le chaos en Libye et son corollaire au Nord-Mali en sont une parfaite illustration. Il faut donc craindre que l’Afrique devienne un terrain de chasse pour de nombreuses bandes armées ou, au pire des cas, le nouveau territoire de l’EI. L’autre mauvaise nouvelle qui transparaît dans le rapport onusien, est la nouvelle cible que se donne l’EI : les journalistes et les humanitaires. L’EI entend multiplier les rapts des Hommes de médias et des travailleurs des missions humanitaires dont les libérations contre rançons pourraient constituer d’importantes sources de revenus.
Le rapport de l’ONU sur l’EI constitue un important signal pour les dirigeants africains
Mais au-delà des aspects pécuniaires, cette nouvelle orientation de l’organisation terroriste est une prolongation de son combat contre les valeurs occidentales. Elle vise à scier la liberté d’expression et au-delà, la liberté en général, qui, aux yeux des fondamentalistes, est la source de toutes les abominations. Par cette nouvelle forme d’action, l’EI et ses groupes affiliés entendent, surtout en Afrique dont une large partie des populations est sous assistance humanitaire européenne, cultiver la misère devenue un terreau propice au terrorisme. Quoi qu’il en soit, que le rapport de l’ONU sur l’EI soit porteur de bonnes nouvelles ou pas, il constitue un important signal pour les dirigeants africains et leurs partenaires occidentaux. Des mesures préventives doivent être urgemment prises pour endiguer ces flux migratoires de combattants djihadistes dans le Sahel et dans l’Est du continent. Dans le Sahel, il devient donc urgent que le mandat de la Mission des Nations Unies au Mali (MNINUSMA) soit renforcé pour en faire des unités combattantes, en vue de prévenir la recrudescence attendue des groupes terroristes et que soit opérationnalisé le projet du G5 pour la sécurisation du Nord-Mali et des frontières communes. En Afrique de l’Est, l’UA doit étoffer en nombre ses unités combattantes et renforcer la logistique de ses troupes en Somalie et au Mozambique. Au-delà des aspects militaires, les Etats africains doivent se donner les moyens, par de vrais programmes de développement, de soustraire leur jeunesse du charme des djihadistes.
« Le Pays »