HomeA la uneLES CENT JOURS DE BUHARI : Des ombres et des lumières

LES CENT JOURS DE BUHARI : Des ombres et des lumières


 

C’est dans la sobriété et dans sa ville natale de Daura que le président nigérian, Muhammadu Buhari, a bouclé ses  cent premiers jours à la tête de son pays. Pour un chef d’Etat qui a été élu pour « combattre l’insécurité, remettre l’économie sur pied et éliminer la corruption », il est difficile, en seulement trois mois d’exercice du pouvoir, de gagner ce pari, surtout quand on sait que ces maux sont solidement ancrés dans toutes les strates de la société nigériane. Au lendemain de son investiture, beaucoup de ses compatriotes avaient nourri, peut-être trop prématurément, l’espoir de voir le nouveau président mettre, avec empressement, un terme à la délinquance économique et à la crise sécuritaire sur fond d’intégrisme islamiste dans le nord du pays. C’est oublier que le président nigérian n’est plus le fringant quadragénaire qu’il était quand, en 1983, il destituait par un coup de force Shehu Shagari pour, disait-il, mener « une guerre totale contre l’indiscipline dans toutes ses formes et instaurer une gouvernance vertueuse au Nigeria ». Cet homme de poigne qu’était Buhari, qui avait ordonné l’exécution publique de petits trafiquants et l’incarcération du   célèbre chanteur afrobeat  Fela Kuti pour « exportation illégale de devises », est conscient que si la mauvaise gestion du pays est la mère de toutes les crises qui l’ont secoué au cours de ces dernières décennies, le contexte d’après-guerre froide n’est plus favorable à ses méthodes brutales et expéditives du milieu des années 80. Il est donc tenu de procéder à un savant dosage entre la fermeté requise pour couper la tête de l’hydre islamiste et le respect des droits de l’Homme dont l’armée nigériane n’a pas toujours fait preuve dans sa croisade contre l’insécurité. Est-ce pour cette raison que le Général Buhari est resté, pour ainsi dire, apathique pendant tout ce trimestre face à des insurgés islamistes qui ont multiplié attaques et attentats-suicide depuis son élection ? Certes, le président nigérian avait promis au cours de sa campagne électorale de chasser Shekau et ses diablotins des zones qu’ils occupent, et cela dans de brefs délais, mais il s’est tout de suite rendu à l’évidence qu’avec une armée dont l’image a été abimée à cause de l’embourgeoisement de ses chefs et de son manque criard de moyens opérationnels, il ne pourra pas vaincre la nébuleuse islamiste en un temps record, avec des ordres jetés à la cantonade. En vérité, la crise sécuritaire et la mal gouvernance ont atteint de telles proportions qu’il était utopique de croire que Muhammadu Buhari    pourrait y apporter des solutions miracles après seulement trois mois au palais présidentiel. Il ne faut certainement pas donner trop de « temps au temps » dans la recherche de solutions aux problèmes cruciaux posés au Nigeria, mais il faut comprendre la démarche qui semble être celle de Buhari qui consiste à aller lentement mais sûrement vers la moralisation de la vie économique et l’éradication du terrorisme dans ce pays de tous les paradoxes (premier producteur de pétrole, mais néanmoins importateur de carburant par manque de raffineries, première puissance militaire de l’Afrique de l’ouest mais incapable de mater des bandes armées souvent ne connaissant rien des subtilités de l’art militaire…).

Les petites ombres au tableau du Général Buhari ne doivent pas occulter les avancées notables

C’est conscient des limites de son administration face à ces défis titanesques qu’il a décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en demandant de l’aide à ses voisins, même ceux avec qui il entretenait des relations orageuses comme le Cameroun pour des raisons  de litige territorial autour de la presqu’île de Bakassi. Avec la mise en place de cette force commune des pays riverains du Lac Tchad et du Bénin, avec la délocalisation de l’Etat-major de l’armée nigériane à Maïduguri pour être plus proche du théâtre des opérations et la valse des chefs militaires véreux et en manque de stratégie gagnante, on peut espérer que la machine turbo-diesel du Général Buhari est véritablement lancée, et que le compte à rebours a commencé pour Boko Haram, dont ni le changement de nom, ni l’escalade dans la violence des actions ne pourront, à terme, éviter la défaite et, subséquemment, la disparition. Et comme pour apporter  la preuve que l’armée nigériane est désormais décidée à aller au contact des hommes de Shekau,  le tout nouveau chef d’état-major de l’armée, le Général Tukur Buratai himself, a pris la tête d’une patrouille dans l’Etat de Borno considéré comme le sanctuaire de la secte islamiste. Patrouille au cours de laquelle il a été pris pour cible, mais s’en est sorti indemne.

En plus de ces signaux positifs dans la lutte contre le terrorisme, on peut mettre au crédit de Muhammadu Buhari l’amélioration substantielle de l’alimentation électrique au cours des trois derniers mois, ainsi que les actes forts qu’il a personnellement posés sur le plan de la transparence et de la bonne gouvernance, en réduisant de moitié son salaire (et par effet d’entraînement, celui de ses proches collaborateurs) et en rendant publics ses biens  alors que tous ses prédécesseurs avaient, à dessein, soigneusement contourné cette obligation constitutionnelle.

Au total, on peut regretter, au vu des actes de plus en plus désespérés que pose Boko Haram au Nigeria même et dans tous les pays limitrophes, que les stratégies de riposte et de reconquête n’aient pas été mises en place plus tôt, tout comme l’absence pesante d’un gouvernement pour mieux coordonner les actions. Mais ces petites ombres au tableau du Général Buhari ne doivent pas occulter les avancées notables constatées ces dernières semaines aussi bien dans la sécurisation que dans les actes volontaristes  pour assainir le secteur financier et économique du pays. Espérons donc que ces lueurs d’espoir se transformeront, à moyen terme, en lumière qui donnera plus de clarté dans la gestion de la chose publique dans ce pays considéré jusqu’ici comme l’un des plus corrompus d’Afrique.

Hamadou GADIAGA


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