HomeA la uneL’ETAT ET LES STRUCTURES D’AUTODEFENSE AU BURKINA : Ne faudrait-il pas des assises nationales sur les Koglwéogo ?

L’ETAT ET LES STRUCTURES D’AUTODEFENSE AU BURKINA : Ne faudrait-il pas des assises nationales sur les Koglwéogo ?


 

Dans un communiqué rendu public le 13 juin 2016 dernier, le ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure, a annoncé des mesures destinées à corriger les dérives commises par les Koglwéogo, du nom de ces groupes d’autodéfense au sujet desquels les avis sont partagés aujourd’hui au Burkina Faso. Ces mesures sont, entre autres : la conformité de la détention et du port d’armes à feu à la réglementation en vigueur, la remise aux forces de sécurité de toute personne appréhendée en flagrant délit d’infraction à la loi pénale, l’interdiction formelle des séquestrations, des amendes et des traitements portant atteinte aux droits humains, l’interdiction des déplacements en groupe avec port ostensible d’armes à feu ou d’armes blanches. Dans un Etat de droit digne de ce nom, l’observance de telles mesures est un minimum et un impératif catégorique. Dans le principe donc, l’on ne devrait pas trouver à redire. De ce point de vue, l’on ne peut que saluer le gouvernement dans sa volonté de ne pas accepter que des structures privées, qui plus est, ne sont pas officiellement reconnues, s’arrogent le droit de jouer le rôle dévolu aux forces de défense et de sécurité et à la Justice. Ces mesures gouvernementales sont d’autant plus justifiées que les Koglwéogo, en tout cas certains de leurs membres, se sont illustrés ces derniers temps par des excès susceptibles de révolter la conscience humaine.

L’on peut comprendre la pertinence des mesures que l’Etat vient de prendre

 Au nombre de ces excès, l’on peut citer leur propension à la justice expéditive et les tortures morales et physiques dignes des Khmers rouges de Pol pot, qu’ils infligent sans état d’âme à leurs victimes. Ces tortures rappellent également celles qui avaient cours dans les geôles du Conseil de l’entente dans les années de braise du régime Compaoré. David Ouédraogo, du nom de l’ancien chauffeur de François Compaoré et l’étudiant Dabo Boukary, sont, entre autres, les victimes les plus emblématiques de ces lieux où toutes les techniques de tortures ont été expérimentées par les sbires du régime. Au regard de ce douloureux passé qui a traumatisé plus d’un Burkinabè, l’on peut comprendre la pertinence des mesures que l’Etat vient de prendre à l’effet d’empêcher que les Koglwéogo se comportent comme des Tontons macoutes. Mais, pour véritablement cerner toute la problématique des Koglwéogo afin de lui trouver une solution qui prenne en compte les exigences de l’Etat de droit, il convient de se poser la question suivante : qu’est-ce qui a motivé l’avènement des Koglwéogo ? La réponse est simple. C’est l’incapacité manifeste et chronique de l’Etat à s’acquitter de son devoir régalien d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Ce constat, personne ne peut le nier. La conséquence est que certaines parties du pays, pour ne pas dire tout le territoire national, étaient devenues de véritables Far-West où les bandits de tout acabit sévissaient de jour comme de nuit contre les paisibles populations et ce, dans bien des cas, en toute impunité. C’est pourquoi ils étaient nombreux, les Burkinabè qui avaient applaudi à tout rompre l’avènement des Koglwéogo. Mieux, ils les ont adoptés et leur ont confié la gestion de leur sécurité et celle de leurs biens. Sans être dans la légalité, ils jouissaient d’une popularité certaine, du moins à leur début et subséquemment, peut-on dire, de légitimité. De ce fait, aucune formation politique d’envergure n’avait pris le risque de les écorcher. Toutes ont rivalisé soit de réponses de Normand à leur endroit, soit de déclaration du genre de celle tenue par Simon Compaoré, le 7 mars 2016, à leur sujet : « On ne peut pas jeter l’anathème sur tous les Koglwéogo ». Dans le même  registre, l’on peut ajouter que ces structures d’autodéfense avaient coopté le même Simon Compaoré comme le premier des Koglwéogo. En somme, l’heure était, pour des raisons électoralistes évidentes, à la lune de miel entre bien des acteurs politiques, majorité et opposition confondues, et les Koglwéogo. L’on peut faire le constat qu’après les élections, le discours officiel à leur endroit a changé de ton et de teneur. C’est désormais la fermeté et à tout le moins, l’option de les mouler dans le cadre strict de la République et de l’Etat de droit. Encore une fois de plus, dans le principe, c’est bien mais l’on peut se demander si l’Etat dispose aujourd’hui d’une autorité suffisante pour mettre en œuvre toutes les mesures qu’il vient de prendre pour « civiliser » les Koglwéogo. L’on peut en douter, au regard du fait que l’Etat semble avoir jeté l’éponge devant les nombreux cas de défiance de son autorité, que l’on peut constater aujourd’hui.

Toutes les structures Koglwéogo ne doivent pas être logées à la même enseigne

L’Etat semble d’autant impuissant face à ces structures d’autodéfense qu’il n’a pas d’alternative aux Koglwéogo. Or, ce qui préoccupe les populations, surtout celles des zones rurales, c’est que l’Etat apporte des réponses concrètes à leurs problèmes de sécurité. Certes, les Koglwéogo, et il faut relativiser les choses, ont posé par endroits, des actes attentatoires à la dignité humaine et à certains principes de l’Etat de droit. Mais il faut reconnaître que certains ont réussi le tour de force de sécuriser bien de nos localités. De tout ce qui précède, l’on peut avoir envie, face au phénomène des structures d’autodéfense et suite aux mesures que l’Etat vient de prendre à leur encontre, de se poser la question majeure suivante : ne faudrait-il pas des assises nationales sur les Koglwéogo ? Cette question s’impose  et elle ne peut trouver de réponse acceptable que dans le cadre d’une réflexion à l’échelle de la Nation. Car les Koglwéogo sont une force sociale qui, repensée comme il faut, peut véritablement contribuer, aux côtés de l’Etat, à faire reculer l’insécurité surtout dans nos campagnes. Aujourd’hui, malheureusement, lorsque l’on observe les choses, l’on peut avoir l’impression que la question n’est pas cruciale pour l’ensemble de la Nation. A défaut de soumettre le problème à la cogitation de la Nation pour trouver des solutions idoines, l’on peut à tout le moins résoudre le problème dans le cadre de la réglementation qui régit la création des associations d’utilité publique. De ce fait, les Koglwéogo qui tiennent à exercer légalement, sauront à quoi s’en tenir en termes de critères à remplir pour être acceptés par la République. Toutefois, toutes les structures Koglwéogo ne doivent pas être logées à la même enseigne. Car, autant il y a des Koglwéogo qui font dans l’abus, autant il y en a qui s’illustrent dans les bonnes manières.

« Le Pays » 


Comments
  • Face à la recudescence du banditisme, l’Etat avait initié ce qu’on appelait “opération coup de poing”.
    Nous savons tous ce que cela à donné des exécutions estra-judiciaires, des tortures, et traitemenants dégradants. Et ce sont ces mêmes méthodes qu les kolgwégo utilisent; de ce fait on peut dire aisément sans se tromper que les kolgwégo n’appliquent que ce qu’ils ont vu.
    Quand des détenus meurent dans les violons de la Gendarmerie ou de la Police, ça s’appelle ‘bavure”, et quand les kolgwégo les kolgwégo trucide un criminel recalcitrant, c’est une violation des droits de l’homme.
    Tout est hyppocrisie, tous ceux qui partent mal des kolgwégo ne sont certainement pas logés à même enseigne que la population rurale.
    J’adère à l’idée de la conférence nationale, pas seulement sur les kolgwégo, mais une conférence oû tous les problèmes de ce pays srront débattus sans tabou, afin que des solutions soient trouvées pour repartire sur de nouvelles bases, c’est important que les discours populistes à tonalité contradictoire.

    16 juin 2016
  • L’Institut des Sciences des Sociétés (INSS/CNRST) a initié un projet de recherche sur le phénomène des groupes d’autodéfense. Il s’agit d’une recherche holistique qui va permettre la localisation sur le territoire des différents groupes avec leur mode d’expansion, leur mode opératoire en relation avec l’environnement sécuritaire et le fond culturel des communautés. Comprendre l’ensemble de ces aspects permettra de cibler et d’adapter les stratégies de réponse.

    23 juin 2016

Leave A Comment