LIBERATION DE BAH N’DAW ET MOCTAR OUANE SUR FOND D’ARRESTATION D’ANCIENS CACIQUES
L’ancien président malien de la Transition, Bah N’daw, et l’ancien Premier ministre Moctar Ouane, sont, depuis le 27 août dernier, libres. En rappel, les deux hommes avaient été assignés à résidence surveillée depuis fin mai dernier, date du second coup d’Etat du Colonel Assimi Goïta. Pendant donc trois longs mois, les anciennes deux têtes de l’Exécutif malien ont été sevrées de liberté d’aller et de venir, si fait que leur avocat, Me Mamadou Ismaïla Konaté, avait porté plainte au niveau de la Cour des droits de l’Homme de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), pour détention arbitraire. Et visiblement, c’en était une. Car, rien n’avait été notifié officiellement aux deux hommes pour justifier leur privation de liberté. Il est donc heureux qu’ils aient été libérés. Et l’on peut rendre hommage aux hommes et aux femmes ainsi qu’aux structures qui y ont travaillé. L’on peut aussi se permettre de saluer la Justice malienne pour avoir enfin entendu, peut-on dire, toutes ces voix qui se sont élevées au Mali et au-delà pour exiger leur libération.
Bah N’Daw aura appris à ses dépens qu’on ne peut pas collaborer avec des putschistes sans perdre des plumes
Le premier acte d’homme libre de l’ancien président de la Transition, Bah N’Daw, a consisté à se rendre dans son champ. Et cela pourrait être interprété comme un adieu à la politique et un retour à ses premières amours, dans sa nouvelle vie de retraité. D’ailleurs, l’on peut se demander quelle mouche a bien pu le piquer pour qu’il abandonne cette vie paisible pour répondre à l’appel des putschistes de Kati. En tout cas, il aura appris à ses dépens qu’on ne peut pas collaborer avec des putschistes sans perdre des plumes. Et cet enseignement est aussi valable pour l’ancien Premier ministre de la Transition, c’est-à-dire Moctar Ouane. Ce dernier, en effet, on se rappelle, a quitté son poste confortable et tranquille de commissaire à l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) pour piloter, avec Bah N’Daw, la Transition malienne. La suite, on la connaît, ils ont été arrêtés et humiliés. Si c’était à recommencer, ils auraient certainement purement et simplement décliné l’offre des putschistes. Mais l’essentiel aujourd’hui, peut-on dire, est leur libération. De ce point de vue, c’est un recul de l’arbitraire. Mais peu avant cet acte, Boubeye Maïga, l’ancien Premier ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) ainsi que d’autres caciques de son régime, ont été arrêtés. Tous sont soupçonnés d’avoir trempé la main dans des achats irréguliers d’équipements militaires opérés sous IBK. C’est du moins la version officielle qui a été servie aux Maliens et au monde. Mais bien des observateurs n’y croient pas du tout. Ils croient, à tort ou à raison, à une chasse aux sorcières. Pendant donc qu’Assimi Goïta embastille d’anciens caciques du pouvoir d’IBK, il procède à la libération de Bah N’Daw et de Moctar Ouane. Ce pas en arrière et ce pas en avant, s’apparentent à un tango.
Derrière ces arrestations et ces libérations, pourrait se cacher tout un programme de société
L’objectif de cette danse est de donner l’illusion qu’il n’est pas un prédateur des droits humains. En libérant Bah N’Daw et Moctar Ouane, il veut renvoyer par là, surtout à la communauté internationale qui s’est investie pour leur élargissement, qu’elle peut compter sur lui pour la mise en place d’un Etat de droit au Mali. Et en sévissant contre les présumés prédateurs des biens de l’Etat, il veut signifier par là, aux Maliens, qu’il a le profil de l’homme qui peut assainir le pays. Et il peut en récolter les dividendes politiques, le cas échéant. Derrière donc ces arrestations et ces libérations, pourrait se cacher tout un programme de société. Outre ce calcul politique, l’on peut aussi décrypter ces arrestations et ces libérations, comme une tentative de diversion du peuple malien, en ce sens que ces deux sujets peuvent cristalliser l’attention de l’opinion et cela, au détriment des sujets qui urgent. Et au nombre de ces derniers, il y a bien sûr la question sécuritaire qui s’est dégradée depuis que le Colonel Goïta a « déserté » le front pour déposer son paquetage de commando au palais de Koulouba. Il y a aussi l’obligation faite à la junte d’organiser des élections inclusives et transparentes avant février 2022. Et une des manières de renvoyer cette échéance aux calendes… maliennes, c’est de divertir les Maliens et les Maliennes.
« Le Pays »