L’ORGANISATION OUEST-AFRICAINE AU CHEVET DU MALI
C’est, en principe, aujourd’hui qu’arrive sur les rives du Djoliba dont les eaux tumultueuses menacent de déborder, une délégation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) composée des ministres des Affaires étrangères du Nigeria et du Niger et du président de la Commission de l’organisation régionale. L’objectif de la mission est de réunir sous l’arbre à palabre, les frères ennemis maliens qui, depuis la démonstration de force réussie par la troïka (partis politiques-associations de la société civile-comité de soutien à l’iman Mahmoud Dicko), le 5 juin dernier, se regardent en chiens de faïence. En attendant de voir les résultats de cette offre de bons offices de la Communauté ouest-africaine, l’on peut déjà se féliciter de cette initiative. Car, au-delà de l’acte de solidarité qu’elle traduit au peuple du Mali, l’organisation régionale est bien dans le rôle qu’elle s’est assigné de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les Etats membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ».
Il est urgent que le moindre petit foyer d’incendie soit éteint pour éviter tout risque de propagation
Cette ambition, comme on le voit, demeurera une chimère tant que la stabilité sociale et politique des 15 Etats membres de l’organisation, n’est pas assurée. En outre, il va des intérêts sécuritaires de l’espace régional, que la CEDEAO vole au secours du Mali. Car, une crise des institutions publiques maliennes aura nécessairement de graves répercussions sur la sécurité de la région ; tant il est établi que les problèmes sécuritaires que rencontrent les pays limitrophes, en l’occurrence le Burkina Faso et le Niger, sont liés à la situation politique au pays d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). La situation est d’autant plus à prendre au sérieux que l’année 2020 est une année charnière pour beaucoup de pays de l’espace communautaire, qui organisent des élections à risques en raison du péril sécuritaire. Il est donc urgent que le moindre petit foyer d’incendie soit éteint pour éviter tout risque de propagation. Cela dit, la question que l’on peut se poser est la suivante : les missi dominici de la CEDEAO parviendront-ils à faire fumer le calumet de la paix à IBK et Mahmoud Dicko et ainsi enterrer la hache de guerre ? Rien n’est moins sûr quand on sait que les positions sont très tranchées et paraissent difficilement conciliables. En effet, la principale revendication du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des patriotes du Mali, est la démission du chef de l’Etat IBK. Toute chose qui, pour le pouvoir et ses partisans, n’est ni plus ni moins qu’un coup d’Etat contre un président démocratiquement élu. L’on imagine difficilement comment la CEDEAO pourrait se mettre en marge de la légalité constitutionnelle du Mali pour demander le départ du président. Mais en même temps, l’on se demande comment elle peut défendre cette légalité sans donner l’impression d’un parti pris pour IBK et ainsi conforter cette image d’être le syndicat des chefs d’Etat contre leurs peuples respectifs.
Des décisions fortes auront l’avantage de faire baisser le mercure social
En tout cas, les émissaires de la CEDEAO marchent sur des œufs et doivent faire preuve de tact s’ils ne veulent pas être taxés d’être de connivence avec l’un ou l’autre camp. Leur marge de manœuvre semble bien étroite mais toute solution viable reste le maintien de IBK au pouvoir, qui semble la seule garantie du respect de l’ordre constitutionnel. Toutefois, l’on peut croire que la pression est plus du côté du président IBK qui, non seulement a tout à perdre dans cette crise, mais aussi dispose de leviers pour prendre des actions allant dans le sens de la satisfaction des revendications populaires. Mais tout laisse croire qu’il n’a pas encore compris totalement tous les enjeux. En effet, les solutions qu’il propose, et c’est de bonne guerre, relèvent encore trop de la ruse politique destinée à diviser le mouvement de contestation en appelant à « la mangeoire », une partie des manifestants dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale ou à en effriter la base sociale en satisfaisant aux revendications sociales du monde enseignant et du personnel soignant. Aucune proposition concrète n’est faite pour résoudre les problèmes de gouvernance que dénonce la rue, en l’occurrence la corruption endémique, les détournements de deniers publics et l’insuffisance de résultats sur le front de la lutte contre l’insécurité. Même à supposer que ces griefs soient des arguments pour justifier les velléités « putschistes » de certains acteurs de la contestation, le chef de l’Etat devrait être en mesure de les leur ôter en prenant des décisions fortes pour punir les auteurs de malversations financières dont certaines ont fait l’objet d’enquêtes parlementaires. Mieux, ces décisions fortes auront l’avantage de faire baisser le mercure social, en attendant la mise en œuvre de solutions plus structurelles pour améliorer la gouvernance globale et relancer le pays sur la bonne voie.
« Le Pays »