HomeA la uneMe GUY HERVE KAM, COORDONNATEUR DU MOUVEMENT « SENS » : « Si on pense que c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui doit mettre en œuvre l’opération mains propres, on va vers un échec programmé »

Me GUY HERVE KAM, COORDONNATEUR DU MOUVEMENT « SENS » : « Si on pense que c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui doit mettre en œuvre l’opération mains propres, on va vers un échec programmé »


 

Il est l’un des leaders du mouvement le Balai Citoyen, qui a été de tous les combats qui ont abouti à la chute de Blaise Compaoré, après 27 ans de pouvoir.   Aujourd’hui, il est à la tête d’un nouveau mouvement politique burkinabè, dénommé “SENS” (Servir et non se servir), créé en août 2020 à Ouagadougou. Maître Guy Hervé Kam, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est notre invité de « Mardi Politique ».  Il nous a livré son point de vue sur la situation nationale, le procès de l’assassinat du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara et de ses 12 compagnons tués le 15 octobre 1987. C’était le mercredi 19 janvier 2022 à Ouagadougou

 

Le Pays : Comment se porte le mouvement SENS ?

Me Guy Hervé Kam : Tout d’abord, permettez-moi, en ce début d’année, de souhaiter à tous les Burkinabè et à toutes les personnes vivant dans notre pays, une bonne année 2022. J’ai une pensée particulière pour toutes les personnes qui nous ont quittés en 2021 et particulièrement les cadres du mouvement, Boureima Sanon dit Ibé et Sié Jérémie Désiré Kam.

Pour en revenir à votre question, le Mouvement SENS, de façon intrinsèque, se porte bien parce que nous avons l’opportunité de déployer nos activités. Mais lorsqu’on évolue dans un pays qui est confronté à autant de difficultés comme les nôtres, que l’on soit une personne physique ou morale, il est très difficile de dire qu’on se porte bien. Notre mouvement aurait pu se porter mieux si on avait pu mener nos activités sur toute l’étendue du territoire national.  Nous aurions pu nous porter mieux si nos concitoyens n’avaient pas été obligés de quitter leurs familles pour se retrouver déplacés dans leur propre pays. Nous pourrions nous porter mieux si nos Forces de défense et de sécurité (FDS) et nos Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) n’étaient pas confrontés à la dure réalité de la guerre antiterroriste, tous les jours, au prix de nombreuses pertes en vies humaines. C’est pour dire que ça  va, mais ça pourrait aller mieux.

 

« Nous avons des regrets.  Et le regret essentiel est que ce procès n’a pas été traité comme il devrait l’être »

 

La gouvernance actuelle cadre-t-elle avec la vision du mouvement SENS ?

La réponse est clairement non ! Si la vision et la gouvernance actuelles cadraient avec la nôtre, probablement, nous n’aurions pas créé le mouvement SENS.  En rappel, la plus grande partie de nos adhérents font leurs premiers pas en politique et leur engagement a été déterminé par le constat de l’échec de la classe politique actuelle, toutes tendances confondues. Nous ne pensons pas simplement que la vision et la gouvernance actuelles ne cadrent pas avec la nôtre, mais nous pensons que la gouvernance actuelle, comme toutes les autres visions proposées, est inappropriée par rapport aux maux qui minent notre pays et la sous-région. C’est pourquoi nous avons créé le mouvement pour promouvoir notre vision de la politique qui est de servir et non se servir. Nous voulons faire de la politique un engagement citoyen au profit de la population, au profit du bien-être des populations et non l’échelle la plus courte vers l’ascension sociale personnelle comme c’est le cas actuellement.

 

On s’achemine vers la fin du procès Thomas Sankara. Que peut-on tirer comme enseignements ?

Pour moi, le principal enseignement que l’on peut tirer de ce procès, c’est que, comme on le dit,  « la nuit a beau être longue, le jour finira par se lever ».  Il y a 35 ans, peu de gens pouvaient penser qu’un jour, cette affaire serait  devant les juridictions pour être jugée.  Ceux qui ont perpétré ce coup d’Etat étaient dans un contexte et dans une  disposition d’esprit qui étaient que: « on fait et il n’y a rien ». 35 ans après, le procès est là !  C’est une leçon pas seulement pour eux, mais pour nos contemporains, c’est-à-dire tous les Burkinabè qui vivent aujourd’hui. Tout le monde doit savoir et se dire que les actes qu’il pose peuvent le rattraper un jour ou l’autre. Nous avons vu des personnes du 3e âge comparaitre à la barre pour s’expliquer de ce qu’ils ont  fait 35 ans auparavant. Je pense qu’il y a ici une belle leçon à tirer. Il y a d’autres enseignements importants mais je vais retenir le fait que la persévérance finit toujours par payer. Ce procès n’allait jamais avoir lieu s’il n’y avait pas eu au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde, des gens qui ont  accepté de se battre, jour et  nuit, pour que le dossier  du coup d’Etat du 15 octobre 1987 ne tombe  pas dans les oubliettes. Il y a eu des sacrifices personnels, aux plans humain et matériel de la part de beaucoup de personnes et je pense que l’enseignement que l’on peut tirer, c’est que la victoire est au bout de la persévérance. Voilà les deux principaux enseignements que l’on peut tirer de ce procès, même si on peut encore imaginer  plein d’autres choses.

 

D’aucuns estiment que les témoignages n’ont pas apporté grand-chose par rapport à la manifestation de la vérité. Etes-vous de cet avis ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?

Quand on dit que les témoignages n’ont pas apporté grand-chose, je trouve que l’on va trop loin. Oui, on peut dire que certains témoignages,  dont peut- être les plus attendus, n’ont pas apporté grand-chose et  c’est encore un euphémisme. Mais il y a d’autres témoignages qui, peut-être, étaient les  moins attendus, ou même pas attendus et qui ont  apporté des éclaircissements exceptionnels.  En faisant la balance, on peut se dire que les témoignages ont apporté beaucoup de choses. Avant l’ouverture du procès, en tant qu’avocat, je connaissais le dossier. Mais je dois dire que ce que nous avons appris des auditions, tant des accusés que des témoins, est encore plus important que ce qui pouvait se trouver dans le dossier. A l’audience, il y a des contradictions, des échanges qui nous permettent d’aller de l’avant. Ce qui est dommage, c’est que beaucoup de personnes n’ont pas pris la peine d’assister au procès et certains et se sont satisfaits de juger le procès à partir des comptes-rendus qui sont faits. Malheureusement, sans vouloir jeter l’anathème sur la presse, il faut reconnaitre que les comptes-rendus  qu’il nous a souvent été donné de voir à la sortie de l’audience ne reflètent pas totalement ce qui se disait dans la salle d’audience. Du coup, lorsqu’on reste à la maison et qu’on ne suit le procès que par l’intermédiaire des médias, il est tentant de tirer la conclusion que ni les auditions, ni les témoignages n’ont rien apporté. Mais quand on est présent dans la salle d’audiences, quand on vit le procès, on en sort totalement édifié.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?

Vous voulez dire que c’est ce qui explique que beaucoup de témoignages attendus, ont été décevants ? Si c’est cela, je pense que c’est parce que certains n’ont pas eu le courage d’affronter ni la vérité, ni leur passé. 

 

En tant qu’avocat de la partie civile, êtes-vous satisfait de la manière dont le procès se déroule ?

En tant qu’avocat, je peux dire que nous sommes totalement satisfaits dans la mesure où le procès se déroule dans le strict respect des règles du procès équitable. Les droits de toutes les parties au procès, sont respectés. Chacun a le droit et la capacité de s’expliquer et pour un avocat, on ne peut pas demander mieux.  Maintenant, nous avons des regrets.  Et le regret essentiel est que ce procès n’a pas été traité comme il devrait l’être. Nous pensons que compte tenu de l’importance de ce dossier, pas seulement pour le Burkina mais aussi pour l’Afrique et le monde en général, à défaut de le diffuser, il aurait fallu au moins l’enregistrer pour l’histoire. Cela n’est pas le cas, mais ça n’enlève en rien à la qualité de ce procès. Mais quand on voit que, malgré l’attente que ce procès a suscitée, la salle d’audiences est très souvent vide, on se pose des questions. C’est vrai que le procès se tient aux jours ouvrables et qu’il n’est pas donné à tout le monde de laisser son activité pour assister à ce procès.

Sur le plan judiciaire, tout se passe très bien. Nous attendons la fin du procès et les décisions qui vont intervenir mais sur le plan purement formel et socio- politique, on peut avoir des regrets.

 

« Il est juridiquement impossible de considérer que la responsabilité de mettre en œuvre une opération mains propres,  incombe au Conseil supérieur de la magistrature »

 

Que pensez-vous de la Déclaration de politique générale du Premier ministre Lassina Zerbo ?

En terme de contenu, le constat est assez simple. Quand on lit le discours, on voit bien que le Premier ministre a évoqué les problèmes qui tiennent à cœur au peuple burkinabè. Je dis que c’est simple parce que nous sommes dans un contexte social et politique tel qu’en réalité, il n’est pas du tout évident de savoir ce qu’il faut faire. La question de la sécurité, des déplacés internes, la question de la corruption sont aujourd’hui les préoccupations essentielles du peuple burkinabè et il se trouve que le Premier ministre en  fait des composantes essentielles de sa politique. Le seul regret que l’on peut avoir, c’est que cet engagement a été pris mais les citoyens n’ont pas bénéficié de tous les éléments qui auraient pu leur permettre d’apporter des jugements sur l’action future du Premier ministre. Voyez-vous ? Dans le format utilisé, ce sont les questions des députés qui auraient permis   d’aller plus loin dans l’appréciation de la politique générale du Premier ministre Zerbo. Lorsque le Premier ministre dit qu’il va faire telle ou telle chose, on doit pouvoir savoir de quels moyens il dispose pour le faire. Malheureusement, nous n’avons pas eu ces éléments et nous sommes restés sur notre faim. Mais est-ce la faute du Premier ministre ? Est-ce   la faute d’une Assemblée composée de députés dont on a l’impression qu’en allant à l’Assemblée nationale ce jour-là, il y avait deux camps ? Il y avait ceux qui allaient pour voter, peu importe ce que le Premier ministre allait dire et ceux qui y allaient pour s’abstenir, peu importe ce que le Premier ministre allait dire. Face à ces deux camps, se trouve un peuple qui été privé de l’opportunité de savoir si le Premier ministre avait les moyens de sa politique.

 

« Il est totalement inadmissible qu’on puisse avoir des alertes et que la réponse ne puisse pas être à la hauteur »

 

Les autorités ont affirmé avoir déjoué un coup d’Etat. Quel est votre commentaire ?

Sur la question du complot, le juriste et l’avocat que je suis doit être très prudent et ne pas se laisser emporter par le côté Homme politique.   Le complot est une infraction particulière qui existe lors- qu’il y a une concertation arrêtée de changer le régime. La question que l’on peut se poser est la suivante : est-ce qu’il  y avait une  concertation arrêtée de changer le régime légal par la violence ?  C’est une infraction très délicate à manipuler. Entre la concertation qui ne débouchera pas sur une résolution arrêtée de passer à l’action et le passage à l’action, à quel stade les autorités chargées de la sécurité, doivent-elles intervenir ?  Dans le cas qui nous intéresse, sommes-nous arrivés à un stade où le comportement pénal peut être retenu ?  Si on est à la place du gouvernement, est-ce qu’on attend, dès lors qu’on sait qu’il y a concertation ? Est ce qu’on attend la maturation du projet avant d’intervenir pour être sûr que pénalement, il n’y a pas de problème ? Dans ces conditions, mieux vaut être prudent et ne juger que sur les faits et non juger sur les intentions que l’on peut prêter à telle ou telle personne. Mon souhait, dans ces conditions, est que les droits des uns et des autres soient respectés et que le peuple soit situé le plus vite possible pour éviter toute manipulation de part et d’autre.

 

Le président du Faso a promis une opération mains propres qui tarde à venir.  Le croyez-vous ?

Je ne suis pas dans une posture où il faut croire ou ne pas croire qu’il est en mesure de le faire. Je me mets dans une posture qui consiste à dire qu’il faut qu’il le fasse.  Mieux,  qu’il le réussisse.  Ceci étant, je fais une première  observation : dans l’histoire politique de notre pays, c’est la première fois qu’un chef d’Etat annonce une opération mains propres. Déjà, en cela, c’est un soulagement et c’est très bien.  La question que l’on peut se poser, c’est de savoir si c’est  un effet d’annonce ou si c’est une volonté politique ferme. Si c’est une volonté politique ferme, est-ce que le président se donne les moyens de réussir ? La deuxième qu’il y a lieu de poser, c’est de savoir si en l’état actuel des choses, une opération mains propres est possible. Sur ce point, en observant que l’opération mains propres fait intervenir la Justice et les institutions qui y sont rattachées  sur le plan opérationnel, je me demande  si le chef de l’Etat a les leviers pour impulser  l’opération mains propres sur le plan judiciaire. En tout cas, au regard des textes, je pense que non. En outre, il y a un document qui a circulé sur les réseaux sociaux, qui semblait être une note des conseillers du président à son attention, notamment sur la mise en œuvre de ses engagements. Ce document n’a pas été contesté.  Quand on regarde dans ce document, on note qu’il impute la responsabilité de l’opération mains propres au Conseil supérieur de la magistrature. Quand je vois ça, je perds espoir ! Parce qu’il est juridiquement impossible de considérer que la responsabilité de mettre en œuvre une opération mains propres,  incombe au Conseil supérieur de la magistrature. Et quand cela vient du cabinet du président, il y a vraiment lieu de s’inquiéter car, ce ne sont pas les missions ou   les attributions du Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil supérieur de la magistrature est chargé de la gestion des carrières des magistrats et à ce titre, de veiller  à l’indépendance de la magistrature. Normalement, il n’a aucun pouvoir fonctionnel sur le juge dans l’exercice de ses fonctions. Si on pense que c’est cette institution qui doit mettre en œuvre l’opération mains propres, on va vers un échec programmé. Enfin, je pense que l’annonce de cette opération mains propres devrait s’accompagner d’un engagement personnel du chef de l’Etat, qui aurait pu s’accompagner de l’engagement personnel du Premier ministre sur quelque chose de plus concret.  Pour moi, le chef de l’Etat aurait pu dire, puisque je lance l’opération mains propres, je décrète la tolérance zéro en matière de corruption. Ce qui voudrait dire qu’il y a  un engagement personnel du président du Faso et de son Premier ministre de dire qu’aucun cas de corruption ne restera sans suite. Vous êtes un agent subalterne, si vous avez pris 500 ou 1 000 F CFA pour faire votre travail, vous serez sanctionnés. Si vous êtes de la haute Fonction publique et que vous avez pris de l’argent pour faire votre travail, vous serez sanctionnés. Si l’administration n’a aucune mainmise sur le volet judiciaire, elle a au moins une mainmise sur la tolérance à la corruption. C’est pourquoi j’aurais aimé entendre pareil engagement solennel de la part du Premier ministre et de la part du président du Faso.

 

« En réalité, les sanctions économiques  sont conçues pour faire en sorte que les populations se révoltent contre le pouvoir établi qui ne respecterait  pas ses engagements »

 Comment avez-vous accueilli le report des élections municipales ?

Le report des élections municipales était une solution obligatoire au regard de la loi. C’est aussi une  solution de sagesse dans le contexte actuel. Obligatoire au regard de la loi parce que, simplement, on a pas fait la révision des listes électorales et juridiquement, il était tout à fait impossible, en 2022, d’organiser les élections municipales sans réviser le fichier électoral. La dernière révision du fichier a eu lieu en 2020 et la loi prévoit que chaque année, le fichier électoral soit révisé. Ensuite, nous sommes confrontés à une aggravation de la crise sécuritaire qui fait que l’organisation des élections locales, devient difficile, en tout cas plus difficile qu’en ce qui concerne les élections nationales. L’élection présidentielle est une élection nationale. Une personne qui réside à Namsiguia, qui se retrouve à Ouagadougou, peut voter à Ouagadougou. Mais tel n’est pas le cas lorsqu’on parle d’élections locales. Je pense qu’on doit profiter de ce report pour avancer sur la sécurisation du territoire, sur le retour des déplacés et procéder à la révision du fichier électoral afin de pouvoir faire des élections qui vont permettre de doter les communes de  conseils municipaux légitimes qui vont pouvoir porter les populations de leurs communes dans la lutte contre l’insécurité. Aujourd’hui, il est évident que les difficultés que nous avons dans la lutte contre l’insécurité, sont aussi dues aux difficultés de fonctionnement de nos conseils municipaux. Parce que c’est l’échelle locale et que l’administration locale doit pouvoir créer une sorte d’unité nationale. Si ça n’existe pas, ça rend difficile la lutte contre l’insécurité et le souhait est qu’on profite de ce report pour se donner le temps d’avoir des élections crédibles  et des autorités communales suffisamment légitimes pour être des acteurs essentiels dans le maintien des populations dans leurs localités  et dans la victoire contre l’hydre terroriste.

 Plusieurs localités dont Namsiguia, ont plusieurs fois sonné l’alerte jusqu’à ce que le pire arrive. Cela n’interroge-t-il pas sur la réactivité de notre armée ?

En ce qui nous  concerne, nous n’avons pas attendu ces cas graves pour nous interroger sur la réactivité de notre armée. D’ailleurs, fallait-il s’interroger sur la réactivité de notre armée  dont on sait, depuis longtemps, qu’elle traverse une crise ? Comme je le dis, en 1999, le Collège de Sages avait alerté en disant que notre armée était une armée  en crise, notamment une crise de commandement. Une armée en crise de commandement  veut  simplement dire  que nous n’avons pas d’armée. Et de  1999 à 2015, on n’y a pas remédié.  Au contraire, la crise de commandement s’est exacerbée. Nous avons des militaires  qui sont prêts à se battre mais  il faut réorganiser  tout cela en les dotant de moyens mais aussi  du courage et de la fierté de se battre pour le pays. Et ça, pour l’instant, ça pose problème. Il est de la responsabilité de l’autorité politique de faire en sorte que cela puisse se régler.  Sinon, il est totalement inadmissible qu’on puisse avoir des alertes et que la réponse ne puisse pas être à la hauteur. Je pense que sur cette question, il faut avoir le courage d’interroger notre doctrine de la défense. Nous sommes face à une question de sécurité intérieure. Même si on continue de dire que le pays est en guerre, il s’agit d’une guerre contre le terrorisme, il s’agit donc d’une question de sécurité intérieure et nous avons, au Burkina Faso, des textes qui règlent la question de la réaction face à des problèmes de sécurité intérieure.  Il faut avoir le courage de les appliquer.  Tant qu’on ne  va pas s’élever au-delà des questions de personne, se dire que notre système de défense doit être fondé sur les réalités  du moment, sur l’efficacité qu’il appartient à telle ou telle composante du système de défense et de sécurité d’impulser, on ne trouvera pas la solution. Il faut avoir le courage de poser les vrais  problèmes et de les  affronter.

Dans une déclaration, vous vous opposez aux sanctions prises par la CEDEAO contre  la junte. Ne donnez-vous pas ainsi un blanc-seing à la junte militaire ?

Non, pas du tout ! Ce n’est ni le sens ni la portée de notre message. Vous dites  que dans  notre communiqué, nous nous opposons aux  sanctions prises contre la junte malienne alors que les sanctions ne sont pas prises contre la junte malienne. En réalité, les sanctions sont prises contre la population malienne. Lorsqu’on dit fermeture des frontières, je ne pense pas que la junte malienne se sente concernée. Elle ne vit pas de l’ouverture des frontières. Par contre, il y a des personnes qui ne peuvent pas trouver leur pitance  dès lors que les frontières sont fermées. Lorsqu’on gèle les avoirs maliens et qu’on ne peut pas payer les salaires des fonctionnaires, pensez-vous que ça touche ceux qui sont responsables de la situation ou les populations maliennes ? En réalité, les sanctions économiques  sont conçues pour faire en sorte que les populations se révoltent contre le pouvoir établi qui ne respecterait  pas ses engagements. Mais vous voyez que c’est très grave !  C’est comme si un père de famille commet des infractions et on va sanctionner les enfants pour qu’ils se révoltent contre leur père  pour qu’il rentre en droite ligne. Cela n’est pas admissible. Si les sanctions étaient portées contre  les autorités maliennes, personne ne nous aurait entendu parler. Mais nous sommes interpellés lorsque les sanctions concernent  les populations de la CEDEAO. Car, en réalité, il n’y a pas que les populations maliennes qui sont concernées. Il y a  aussi des populations burkinabè qui vivent des relations entre le Burkina et le Mali. Au fond, ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les peuples de la CEDEAO sont pénalisés parce que des dirigeants ont voulu faire une transition de 5 ans à 6 ans et nous disons que ce n’est pas normal.

La junte a émis le vœu de réviser les accords miliaires entre le Mali et la France. Quelle est votre analyse ?

Dans cette affaire, la junte sait  que dans l’opinion publique africaine  en général et l’opinion publique malienne en particulier, il y a une certaine exaspération contre la France. Tout ce qui peut paraitre  comme une déconstruction de la France- Afrique, est favorablement accueilli. Donc, elle y va à fond. Nous disons que dans le combat du mouvement SENS, nous sommes totalement en phase avec la responsabilité individuelle de chaque Etat et la responsabilité collective des organisations sous-régionales, de faire en sorte que nous prenions notre destin  en main.  Mais nous disons que tout doit se faire avec le peuple.  Pas un pas sans le peuple. Maintenant,  le Mali est dans un contexte qui ne permet pas d’avoir cette assurance.  Même si nous disons que  ce n’est pas une raison pour asphyxier le peuple malien, nous disons que les autorités maliennes doivent  montrer leur bonne foi et pouvoir travailler à une refondation structurelle du Mali dans des délais raisonnables. Refonder structurellement un pays, ne veut pas dire gérer ce pays jusqu’à ce qu’il n’ait pas de problème. Il n’y aura jamais un jour où il n’y aura aucun problème dans un pays. Mais il faut faire en sorte,  comme le disait le président Rawlings, qu’aucun chef d’Etat, ange ou démon,  ne puisse faire que du bien. Et pour faire cela, on n’a pas besoin de 5 ans. Les autorités de la transition  malienne ont l’occasion de rentrer dans l’histoire. Mais pour rentrer dans l’histoire, il faut faire les choses telles qu’elles se présentent, sans calcul politique. Il faut éviter de faire tout ce qui peut compromettre le bien-être des populations. Nous appelons la junte à la raison et à la responsabilité  et la CEDEAO, à la sagesse. 

                                                                                 Issa SIGUIRE


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