Me HALIDOU OUEDRAOGO, à propos des peines d’amendes pour diffamation en matière de presse : « L’Etat a voulu amener les journalistes à se responsabiliser davantage»
Le projet de loi du gouvernement pour la dépénalisation des délits de presse, prévoit notamment des peines allant de 10 à 15 millions de F CFA pour les médias qui seraient condamnés pour diffamation, en lieu et place des peines d’emprisonnement. Une mesure qui ne rencontre pas l’assentiment des professionnels des médias qui estiment qu’elle est suicidaire pour les entreprises de presse. Sur cette question, Me Halidou Ouédraogo, militant des droits de l’Homme de la première heure, nous donne son appréciation.
Que pensez-vous du principe de dépénalisation des délits de presse ?
Je suis d’accord pour le principe parce que c’est l’aboutissement d’un profond et long engagement des partisans de la liberté d’expression, les journalistes d’abord, la société civile et le gouvernement ensuite. Nous rejoignons le courant mondialisant qui dépénalise effectivement ce délit. Je pense que les journalistes vont pouvoir souffler un peu, car, vu le traitement d’avant, ils étaient souvent injustement accusés.
Comment trouvez-vous le projet de loi sur les peines d’amendes pour diffamation en matière de presse ?
Cela fait partie de la loi. Je pense qu’on ne peut donner aux journalistes un blanc-seing. Autant on veut dépénaliser pour la peine d’emprisonnement, autant il faut maintenir un certain nombre de dispositions pour amener les journalistes à être responsables en tout temps, pour éviter un certain nombre d’écarts et de comportements.
Comment expliquez-vous l’augmentation du quantum ?
C’est la loi. Notre Conseil national de transition légifère. En fait, cela dépend des auteurs, des contextes. Et comme l’Etat a mis beaucoup de temps à dépénaliser les délits de presse, il a voulu monter d’un cran pour amener les journalistes à se responsabiliser davantage. Il faut avouer aussi que la presse a souvent des écarts. On voit souvent des publications infondées, des analyses basées sur des faits non réels.
Mais en fait, ce n’est pas si grave, il faudra engager des remarques de ce côté, et faire preuve de bonne volonté. L’amende peut diminuer.
Ne pensez-vous pas que l’augmentation de ce quantum pourrait conduire à la fermeture de certains organes de presse ?
Je ne pense pas. Il y a des moments fastes quand même, comme nous le vivons actuellement. Les journalistes ont beaucoup de travail. On leur demande de s’investir pleinement. Si vous avez un journal qui est lu, qui est accepté par les populations, vous n’avez pas ce problème. Il revient aux journalistes, à mon sens, de faire attention. Autant on ne peut se passer d’eux, autant on est regardant sur ce qu’ils écrivent.
Selon vous, quel serait le juste milieu pour d’une part, dépénaliser et d’autre part, éviter d’accorder une impunité aux journalistes indélicats ?
Mon avis sur la question est simple. Les journalistes ont obtenu la dépénalisation des délits de presse, il faut la saluer. Mais c’est à eux de montrer qu’ils sont effectivement responsables, qu’ils rapportent l’information qu’il faut, qu’ils vont à la source de l’information, surtout que des possibilités sont ouvertes au niveau de l’administration, de les accueillir et de leur fournir toute la documentation. Les journalistes paresseux ne pourront pas travailler. Par contre, ceux qui sont soucieux de l’éducation des populations, bien que ce ne soit pas leur rôle, pourront avancer et ils seront lus.
Que dites-vous à ceux qui estiment qu’il faut un plaidoyer fort pour la formation des journalistes, l’absence ou l’insuffisance de formation étant la cause principale des dérives dans l’exercice du métier de journaliste ?
Vous posez la question à quelqu’un qui s’est investi dans la formation des journalistes depuis les années 1990 et cela a produit de bons résultats. Je pense que les journalistes doivent continuer à se former, à renforcer leurs capacités et ils seront soutenus. De plus en plus, il y a de bons journaux d’investigation, de divertissement, etc. Dans l’ensemble, on n’a pas à se plaindre. Mais la flopée des journaux fait aussi qu’il y a des écarts qui ne sont pas tolérables.
Propos recueillis par Thierry Sami SOU