HomeA la uneMELEGUE TRAORE : « Les présidences à vie, c’est fini»

MELEGUE TRAORE : « Les présidences à vie, c’est fini»


 

L’homme n’est plus à présenter. Ministre, député, ambassadeur, président de l’Assemblée nationale, chef coutumier et cadre du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Mélégué Maurice Traoré est bien placé pour analyser beaucoup de sujets en lien avec l’actualité  politique nationale et internationale. C’est justement pour cette raison que « Le Pays » l’a rencontré.

 

Que devient  Mélégué Maurice Traoré ?

 

Rien n’a changé à mon niveau. Je continue toutes mes activités comme par le passé. Je m’occupe du Centre Parlementaire Panafricain créé à mon initiative et dont l’idée remonte à 1999. Le Centre était au siège de l’Assemblée nationale qui a brûlé en octobre 2014. Plus de 500 livres sont partis en fumée ou ont été volés. 14 cantines de documents ont disparu. Nous avons dû rouvrir le Centre ici et comme j’ai beaucoup de livres, la documentation a été reconstituée avec 2000 livres. Le Centre Parlementaire appuie les activités de développement des parlements en Afrique, fait des études sur la démocratie représentative, intervient en matière électorale, organise des ateliers de formation pour les députés et les cadres dans différents domaines. Je préside le Centre et je continue mes activités traditionnelles au village. Au Centre s’ajoute mon cabinet de consultants, créé en 1997 : Africa Consult &Performances (AC&P). Enfin, je suis vice-président au sein du bureau de l’Association des ambassadeurs du Burkina Faso.

 

Qui sont les soutiens de votre centre ?

 

Dès le départ, il était convenu entre les initiateurs du Centre, que celui-ci devait être indépendant des Etats. Donc le Centre fonctionne grâce à ses membres,  composés de présidents ou d’anciens présidents de parlement, de chefs de gouvernement, d’anciens Premiers ministres, de membres de gouvernement, de députés, de cadres, de personnalités de toutes origines etc. Le Centre vit également des entrées financières des études et des séminaires organisés par Africa Consult & Performances. Mais nous sommes en train de solliciter l’intervention de l’Etat burkinabè. Le Centre était censé avoir son siège à Addis-Abeba auprès de l’Union africaine, mais j’ai tenu à ce qu’il soit à Ouagadougou parce que c’est moi qui en ai eu l’idée. Nous préparons en ce moment des requêtes de subvention au gouvernement du Burkina et après, d’autres pays et des bailleurs.

 

 

« L’équipe actuelle au pouvoir n’est pas réellement différente du CDP. C’est l’âme du CDP qui s’est détachée pour créer le MPP en janvier 2014 »

 

Avez-vous quitté la scène politique ?

 

Pensez-vous sérieusement que quelqu’un comme moi puisse vraiment quitter totalement la scène politique ? Evidemment, non ! Je fais partie de l’élite engagée du pays. Je n’ai pas quitté la scène politique, mais j’ai recadré l’espace et le sens dans lesquels je m’engage désormais. Je reste fidèle à mes positions qui sont bien connues. Vous le savez bien, je n’étais pas un politique au départ et ce jusqu’aux années quatre-vingt-dix. On m’a d’ailleurs toujours considéré comme quelqu’un de singulier dans notre système et d’être incontrôlable. Je tiens beaucoup à mon indépendance intellectuelle et d’esprit. Au niveau politique, je continue d’appuyer le CDP, mais j’ai pris du recul et beaucoup de distance par rapport aux activités politiques de terrain. De toute façon, depuis 2012, j’avais annoncé que je ne me présenterais plus à une élection. Je continue de penser que tous ceux qui appartiennent à l’élite du pays, notamment les intellectuels, ont une responsabilité vis-à-vis du Burkina Faso auquel nous sommes tous redevables. Aujourd’hui, nous devons faire au moins deux choses. La première, c’est de créer de nouvelles conditions pour l’action dans l’espace politique et le rénover. Il faut par ailleurs que se développe un autre esprit, caractérisé par l’ouverture, et ne pas nous emmurer dans des affrontements à mon avis complètement stériles la plupart du temps, au regard des problèmes du Burkina. Très souvent, les querelles de positionnement des hommes politiques sont négatives. Ces querelles peuvent être légitimes, mais elles ne font pas avancer le pays. C’est pourquoi je répète que le pays a aujourd’hui une équipe élue et qu’on doit lui permettre de gouverner. Le tour de chacun viendra, le jour où le peuple en décidera ainsi. Du reste, l’équipe actuelle au pouvoir n’est pas réellement différente du CDP. C’est l’âme du CDP qui s’est détachée pour créer le MPP en janvier 2014. Les dirigeants du MPP ne sont rien d’autre que nos anciens camarades. Personnellement, j’ai toujours du mal à les considérer comme des adversaires politiques au sens plein du terme, bien que je sache que du côté de certains parmi eux, la vision soit différente. Il faut qu’ils puissent gouverner dans de bonnes conditions,  et les soutenir dans les actions – clés, lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur du pays. Cela n’empêche pas la lutte politique et le dialogue républicain. Si, de chaque côté, on est ouvert au dialogue, cela ne devrait pas poser de problème en ce qui concerne les relations interpersonnelles ou entre partis.

 

Qu’est-ce qui a conduit au recadrage de vos activités politiques ?

 

C’est lié à mon positionnement initial en politique. Je vous ai rappelé que je n’ai pas été un politique au départ. Mais, nous devrions évaluer ce que nous avons fait pendant 30 ans. L’action publique n’est pas porteuse si l’on n’a pas  le courage d’évaluer ce qu’on a fait en termes d’acquis et d’échecs. Je suis entré dans le système en 1992 à mon retour de l’étranger, car j’étais ambassadeur à Moscou. J’ai été ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la recherche  scientifique pendant cinq ans, avant de devenir président de l’Assemblée nationale pour cinq autres années. J’ai été député jusqu’à l’insurrection d’octobre 2014. Depuis 1991, beaucoup de choses ont été réalisées, mais nous n’avons pas vraiment fait une véritable évaluation. S’il y a eu des acquis pour le pays, il y a eu aussi des choses moins bonnes. Nous n’avons pas toujours su mettre en adéquation le système politique tel qu’il fonctionnait avec la réalité et les évolutions sociales. C’est l’une des raisons qui expliquent que nous n’ayons pas vu venir.

 

Qu’est-ce que vous n’avez pas vu venir et pourquoi ?

 

Une évaluation régulière des politiques publiques et des actes que nous dirigeants posions, aurait permis d’éviter certaines erreurs. C’est le problème de tous les pouvoirs en Afrique. Quand l’on reste longtemps au pouvoir au-delà d’une certaine limite, des évolutions peuvent vous échapper. Prenons mon cas. Depuis 1992, les jeunes de la Léraba et même de la Comoé, n’ont vu que Mélégué comme député ou au-devant des affaires. A un moment donné, ça devient lassant et la routine s’installe. Même si vous remplissez bien vos missions et cherchez à innover, les jeunes ont besoin de voir d’autres têtes. Notre équipe au pouvoir n’a pas vu venir que la jeunesse avait de nouvelles aspirations, et que surtout elle s’exprimait autrement que par le passé. Par exemple, on n’a pas vu venir que les réseaux sociaux avaient pris une importance déterminante aujourd’hui et dans tous les secteurs de la communauté nationale ; nous n’avons pas mis toutes ces évolutions en rapport avec l’activité politique, l’action gouvernementale et les pratiques des dirigeants. Personne n’a vu venir que le mouvement associatif qui s’est développé en Afrique, essentiellement à partir des années quatre-vingt-dix, était d’un genre nouveau. Ce mouvement a non seulement pris de l’essor, mais il a aussi acquis de nouvelles orientations. Clairement, ont été sous-estimées la force de frappe des nouveaux leaders sociaux, leur influence et leur capacité de mobilisation. La tendance était même de les mépriser en estimant qu’ils n’avaient aucune représentativité. Ce fut une erreur de notre part, qui allait s’avérer fatale. Aujourd’hui, beaucoup d’organisations de la société civile ne le sont que de nom. Mais même celles qui le sont véritablement, si on peut parler ainsi, ont une action à répercussions politiques. Les partis politiques d’opposition de l’époque ont su jouer là-dessus bien mieux que le CDP et le gouvernement. Les partis majoritaires, vous savez, ont la fâcheuse tendance à mal appréhender les mutations en marche au niveau des oppositions qu’ils sous-estiment en général. Il faudrait ajouter in fine,  les effets de l’épanouissement spectaculaire des médias en particulier et de la communication en général.

 

Qu’est-ce qui s’est réellement passé pour que vous n’ayez rien vu venir ?

 

En réalité, on avait quand même des éléments d’informations et d’analyse. Simplement, ils ont été mal exploités. De plus, tous ressentaient de la gêne. Rappelez-vous : en mars 2014, dans votre journal, « Le Pays », je disais que le départ des trois dirigeants historiques du CDP mettait tout le monde mal à l’aise et que ce n’était certainement pas réaliste de le qualifier d’épiphénomène, et c’était vrai. Blaise Compaoré était là, qui faisait bien son travail comme dirigeant du pays depuis des années, et auquel, au sein du CDP, on était tous subjectivement attachés. Il n’est en tout ni objectif, ni sérieux ou crédible de soutenir qu’il n’a rien fait pour le pays. Même ceux qui proclament cela, ne croient pas ce qu’ils disent. Mais on s’est trouvé écartelés entre la fidélité à l’homme, le Président, et la nécessité de changer. L’on n’a pas pu ou voulu trancher. Il y a sans doute eu trop d’hésitations et depuis trop longtemps. On aurait dû trancher la question de l’article 37 et ce dès 2005. De toute façon, si Blaise Compaoré était resté et qu’il avait été réélu en 2015,  je ne crois pas que la majorité des camarades du CDP aurait accepté qu’il ait un autre mandat au –delà de 2020. Renseignez-vous sur les positions qui étaient à l’époque celles des uns et des autres, en notre sein, sur cette question, et vous verrez que c’était bien cela. Je ne suis pas en train de réécrire l’histoire ; ce n’est pas mon genre, ce sont des faits faciles à vérifier pour un bon journaliste d’investigation. Mais tout ça, c’est du passé : le problème central aujourd’hui, ce n’est plus cela. L’enjeu, c’est de relancer le pays et de rénover le système politique, l’opposition y jouant son rôle avec responsabilité, et la majorité concevant et exécutant des politiques publiques pour que le Burkina avance.

 

 

« Des anciennes colonies françaises regroupées au sein de l’Union Africaine et Malgache (UAM), le Burkina Faso était le seul pays à dire non aux accords de défense »

 

 

 

Quels commentaires faites-vous de la crise entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, née du mandat d’arrêt contre Soro ?

 

J’appréhende la situation sous l’angle de l’historien, du politique, du politologue, de l’acteur international et en tant que frontalier de la Côte d’Ivoire. Mon village, Bougoula, n’est pas très loin de la frontière de la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas oublier que les Soro et nous, sommes du même peuple Sénoufo, et appartenons souvent aux mêmes familles. Il n’y a que le fleuve, la Léraba, qui nous sépare. C’est pourquoi nous sommes forcément concernés. Cela dit, cette crise va passer comme d’autres avant elle ; elle ne peut pas durer. L’histoire des relations entre le Burkina et la Côte d’Ivoire est une suite de crises cycliques. La première crise est survenue en 1961 et elle fut la plus grave. Vous savez, la Haute Volta n’avait pas de direction des douanes pendant l’indépendance. La douane était celle du port d’Abidjan. La Côte d’Ivoire devait dédouaner les marchandises en direction de la Haute-Volta et transférer à notre pays, son dû. On appelait ces fonds, des ristournes douanières. Ce que le gouvernement ivoirien ne faisait pas comme il se devait. Le budget du Burkina ne s’élevait pas à grand-chose en termes de montant, mais les ristournes étaient importantes pour notre pays. A l’époque, par ailleurs, l’impôt de capitation était une véritable institution. Cet impôt faisait beaucoup souffrir les populations ; il a été l’un des symboles les plus cruels de la colonisation car sa collecte donnait lieu à beaucoup d’exactions. Il se trouve que le gouvernement ivoirien, à l’époque, a décidé unilatéralement de le supprimer sur son territoire, sans en informer les autres Etats. La Côte d’Ivoire, abondamment dotée de ressources, pouvait se passer de l’impôt de capitation; pas la Haute-Volta, le Mali ou le Niger par exemple. Soit dit en passant, l’impôt de capitation était inconnu au Ghana et dans les autres colonies britanniques. Les pays voisins de la Côte d’Ivoire ont eu beaucoup de problèmes pour expliquer la situation aux populations. Pourquoi, par exemple, les Lobi, les Dioula, les Sénoufo ou les Gouin ivoiriens ne payaient-ils plus l’impôt, alors que ceux du Burkina devaient le faire ? A Ouagadougou, on en a voulu au grand voisin du Sud. La crise s’est aggravée aussi parce que Maurice Yaméogo avait refusé de signer des accords de défense avec la France, alors que ces accords étaient négociés par Houphouët Boigny au nom des quatre pays membres du Conseil de l’Entente : la Côte d’Ivoire, le Dahomey, le Niger et la Haute-Volta. Pendant que le président ivoirien négociait les accords à Paris, Maurice Yaméogo a organisé une conférence de presse retentissante en février 1961 à Ouagadougou, au cours de laquelle il a déclaré net sur un ton plutôt vigoureux, dans le style de l’homme, que la Haute-Volta ne signerait pas des accords de défense. Ce fut un coup de tonnerre en Afrique. Il n’en avait pas préalablement informé Houphouët. Des anciennes colonies françaises regroupées au sein de l’Union Africaine et Malgache (UAM), le Burkina Faso était le seul pays à dire non aux accords de défense. Cette décision a été très mal reçue à Abidjan et à Paris. Fait aggravant, sur la même lancée, le Président Yaméogo, dans son « grand refus », annonçait que les bases militaires françaises devaient quitter la Haute Volta ; et il a tenu parole. C’est pour cela que jusqu’à ces dernières années, aucun gouvernement burkinabè n’a accepté des forces ou des bases militaires étrangères au Burkina, qu’elles soient de France, des Etats-Unis ou d’autres pays. Beaucoup ont pensé d’ailleurs en 1961, que la Haute-Volta quitterait la zone CFA pour entrer dans la zone sterling, surtout que le Ghana avait opportunément accordé un gros prêt à notre pays pour renflouer ses caisses pratiquement vides. C’est l’origine du jeu des contrepoids, typique de la politique étrangère du Burkina jusqu’aujourd’hui. Pourtant, après cette crise, assez rapidement, la Côte d’Ivoire et le Burkina se sont retrouvés dès 1962, Kwame N’krumah devenant, ironie de l’histoire, leur ennemi commun: la vérité est qu’ils ne pouvaient pas se séparer. Trois ans après, a éclaté la querelle de la double nationalité. Ce projet était au départ une idée du Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Philippe Yacé, qui la lança en 1963 et entreprit en 1964 une tournée qui le mena à Bobo-Dioulasso. La Côte d’Ivoire était à la recherche de réponses à la présence massive d’immigrés voltaïques, nigériens, maliens, guinéens et autres sur son territoire. La double nationalité devait concerner les nationaux des Etats membres du Conseil de l’Entente. En fait, le projet n’était pas mauvais en soi, mais Maurice Yaméogo a été incompris. Les syndicats et l’opinion publique l’accusaient de vouloir vendre la main-d’œuvre voltaïque à la Côte d’Ivoire. La double nationalité a été un des motifs de sa chute le 3 janvier 1966. Puis est venue la crise des migrants. Tant que Yaméogo était au pouvoir, la Côte d’Ivoire n’a pas expulsé d’immigrés voltaïques. Après son départ, ont commencé les premières expulsions des Voltaïques. Ensuite ce fut la crise sur le Biafra. La Côte d’Ivoire soutenait officiellement l’éclatement du Nigeria, et avait reconnu l’Etat du Biafra proclamé en janvier 1967 par le colonel Ojukwu. La Haute-Volta entra en désaccord avec Abidjan, Ouagadougou prédisant qu’autrement, l’Afrique serait bientôt couverte d’une ‘’diarrhée d’Etats’’, selon l’expression d’un de vos devanciers célèbres, Emile Bassono dans Carrefour africain. La crise suivante fut celle du GRAO, le Groupe Régional d’Afrique de l’Ouest, l’ancêtre de la CEDEAO. En avril 1968, s’était tenu à Conakry, le premier sommet des chefs d’Etat de la sous-région, qui ne tenait pas compte des différences linguistiques ou des héritages coloniaux. Il s’agissait de créer une grande organisation sous-régionale. Houphouët ne voulait pas en entendre parler, poussé par Paris. Il a ainsi demandé à ses collègues du Conseil de l’Entente de boycotter le sommet. Seul Lamizana n’a pas suivi le mot d’ordre. Il s’est rendu à Conakry. Modibo Keita, le président du Mali, était si content de la décision du Burkina, qu’il est venu lui-même chercher Lamizana avec son avion. La présidence burkinabè n’en avait pas. Le geste de Lamizana provoqua la fureur du ‘’Bélier’’. Et puis, en 1970, Félix Houphouët Boigny lança bruyamment l’idée du ‘’dialogue’’ avec le pays de l’apartheid : l’Afrique du Sud, tout en rejetant la lutte armée que prônait Nelson Mandela. C’était inacceptable pour Lamizana, et Ouagadougou s’est une fois de plus démarqué du projet de dialogue, Emile Bassono et Ouédraogo Paul Ismaël, deux brillants journalistes qualifiant les dirigeants sud- africains, de ‘’Parpaillots  de Pretoria’’. Les autres crises, vous les connaissez, car elles sont récentes, partant de causes diverses: celle consécutive à l’éclatement de la révolution en 1983, suivie du refus d’Houphouët Boigny d’accepter au début, que Thomas Sankara devienne président en exercice de la CEAO, l’ancêtre de l’UEMOA, alors qu’il en avait le droit;  la crise née de l’ivoirité dans les années quatre-vingt-dix, le départ massif de 25000 Burkinabè suite aux violences de Tabou en 1999, et finalement celle liée à la rébellion en Côte d’Ivoire à partir de 2002. Vous voyez, la querelle actuelle vient après une longue série d’autres. Elle n’est sans doute pas la dernière. Elle passera, parce que la rupture entre les deux pays n’est pas possible, et même si elle l’était, elle ne serait pas souhaitable. Il est vrai que les temps ont changé.

 

La différence c’est quoi selon vous ?

 

Le contexte évidemment n’est plus le même ; les dirigeants non plus, mais aussi les facteurs déterminants de la politique étrangère dans les deux pays. Et aucune crise, jusqu’à présent, n’était liée à l’action supposée d’un responsable gouvernemental ou d’un dirigeant de haut rang tel que Guillaume Soro. Le malaise est né de l’émission du mandat d’arrêt : il dérange tout le monde. Les crises de ce genre ne peuvent se régler que par la voie diplomatique. Entre deux Etats souverains, il n’y a que des mécanismes de nature diplomatique qui puissent  opérer efficacement, à moins de se déclarer la guerre. Personne ne pense sérieusement qu’on ira arrêter Guillaume Soro en Côte d’Ivoire, ou que le gouvernement ivoirien le fera parce que des juges du Burkina le voudraient ainsi. En droit diplomatique, une personnalité qui bénéficie d’immunité est certes soumise à la loi. Ce sont les effets de la loi qui ne l’atteignent pas. Soro est un justiciable comme nous tous, mais pendant qu’il est président de l’Assemblée, les effets de la loi ne l’atteignent pas. Ce sera ainsi tant qu’il aura son statut de président du Parlement. Le jour où il ne l’aura plus, ce sera autre chose, à condition bien entendu que ce qui lui est reproché soit vrai. Même s’il n’existe pas de véritable convention internationale spécifique sur les immunités des Premiers ministres ou des présidents de chambre parlementaire, elles leur sont reconnues par la coutume internationale et le droit international général.

 

« Mettez-vous à la place de Blaise et de François Compaoré »

 

C’est la raison de l’émission du mandat qui gêne tout le monde ou le mandat en lui-même ?

 

Au niveau opérationnel, votre distinguo entre l’émission du mandat et le mandat lui-même n’a aucune pertinence ou importance. La réalité est qu’aujourd’hui, les relations entre les deux pays sont tendues. Il y a un mois, j’étais à Djibouti avec des députés ivoiriens pour une conférence sur les migrations internationales. Je dois dire que j’ai été surpris par la violence et la véhémence de leurs critiques contre le Burkina à propos de cette affaire ! J’y ai été rudement interpellé. Vous voyez, dans ce domaine, rien n’est simple, le droit ne règle pas tout.

 

Pourquoi ne pas considérer ce qui a motivé le mandat ?

 

Ok. Mais même si on s’en tient à ce qui a motivé l’émission du mandat, on fait quoi concrètement en dehors de nos récriminations ? En relations internationales, que nous le voulions ou non, ce que vous suggérez ne compte pas. Le problème n’est pas ce qui a motivé la décision des juges ; il est de savoir au plan opératoire, qu’est – ce qu’on fait ? Laissons les sentiments de côté. La réalité est que nous parlons de la deuxième personnalité d’un l’Etat souverain, du dauphin constitutionnel du chef de l’Etat ivoirien. Il faut avoir cela à l’esprit. Il est illusoire de penser ou de feindre de croire que Guillaume Soro est un citoyen ivoirien comme les autres, et de prétendre qu’il  y a la personne privée de Guillaume Soro complètement distincte de l’institution ‘’président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire’’. Ici, l’un ne va pas sans l’autre. L’institution est portée par une personne humaine ; dans le cas d’espèce, les deux ne sont pas séparables ou dissociables. Qui peut sérieusement penser qu’un mandat d’arrêt international permettrait à quelqu’un de venir arrêter Paul Kaba Thiéba ou Salif Diallo au Burkina, ou que notre gouvernement le ferait si on le lui demandait, et cela, quel que soit le motif ? Il faut certes considérer ce qui est à l’origine du mandat d’arrêt, c’est-à-dire l’intervention supposée de Guillaume Soro dans le coup d’Etat. Mais en relations internationales, les choses sont gérées différemment de ce que ça aurait été, si Guillaume Soro était un Burkinabè vivant au Burkina même. Même si cela leur fait mal et paraît injuste à certains, nos épanchements, nos colères, notre indignation, nos proclamations dans les bureaux, les marchés, les bars et les buvettes de Ouagadougou, demeurent la simple expression de nos sentiments et de la frustration des uns ou des autres. Les questions de ce genre, quand elles impliquent deux Etats souverains dans leurs relations mutuelles, se règlent à partir d’autres considérations. Il n’y a pas que le droit interne du Burkina ; il y a le droit interne de la Côte d’Ivoire et il existe un droit international qui ne dépend pas de nous.

 

Régler la crise par la voie diplomatique veut- il dire qu’on fait table-rase de la supposée implication de Soro dans le putsch manqué ?

 

Non, évidemment. On n’en fait pas table-rase. On gèle simplement la question pour le moment. D’abord, il faut que les faits reprochés à Soro soient prouvés. Mais si jamais c’était le cas, la procédure poursuivrait son cours. Tout coup d’Etat est inacceptable, mais il ne faut pas tout confondre; on est obligé de tenir compte de l’intérêt supérieur du Burkina Faso. Et cela relève de la responsabilité du président du Faso et du gouvernement. Laissons-les faire leur travail. Les magistrats ont fait leur boulot,  même si on peut émettre quelques doutes sur la manière et les conditions d’émission du mandat ;  le reste appartient à ceux qui, de par les dispositions de la même Constitution que tous invoquent, ont la responsabilité des relations interétatiques. Ils n’ont pas d’autres choix que de passer par la diplomatie : retenez bien que même la procédure judiciaire passe à une étape ou une autre par les ambassades et les ministères des Affaires étrangères des deux Etats.

 

Avez-vous des nouvelles de Blaise Compaoré ?

 

Non, pas spécialement.  Je n’ai pas de rapports suivis avec lui. La dernière fois où j’ai eu des contacts avec l’ancien président, date de près d’un an. Je suis allé en Côte d’Ivoire pour un séminaire de formation en juin 2015, je lui ai rendu visite. Je n’ai aucune espèce de complexe à cet égard.

 

Et pourtant, certains de vos camarades du CDP sont fréquents à Abidjan pour le voir. N’est-ce pas ?

 

Puisque vous le dites ! C’est mieux que sur ce point, vous les interrogiez. Et puis, et alors ? S’ils le font, c’est normal. En quoi est-ce condamnable ? Que leur reprochez-vous au juste ? Blaise Compaoré, ce n’est tout de même pas le diable que je sache ! Et puis, quelle loi burkinabè ou ivoirienne interdit qu’on le rencontre ?

 

Que pensez-vous de la naturalisation de Blaise et François Compaoré ?

 

Franchement, je ne commenterai pas plus que de raison, cette question parce qu’elle relève de leur vie privée et de la loi ivoirienne. J’imagine qu’ils ont dû murir la réflexion avant de décider. On aurait été dans une situation ordinaire que personne n’aurait discuté ce qui se passe. Mettez-vous à la place de Blaise et de François Compaoré. Quels sont aujourd’hui les autres moyens qu’ils ont pour se protéger ? C’est humain. Ils ont plusieurs possibilités et l’une d’elles c’est de se faire naturaliser ivoiriens. C’est leur droit et leur choix. Ils peuvent opter de rentrer au Faso, mais s’ils savent qu’ils seront écroués dès qu’ils rentreront, ils ne le feront qu’après beaucoup d’hésitations. Toute décision appartient à Blaise lui-même et à François. Ils sont assez matures et responsables pour savoir ce qu’il faut faire. Blaise Compaoré en a fait la démonstration pendant 27 ans comme Président du Faso. Pour moi, il faut traiter les questions de ce genre avec détachement. Certes, dans tous les cas, la justice doit pouvoir continuer de faire son travail. Et puis, vous savez, c’est si facile pour tout le monde d’être brave, stoïque et hautement patriote quand l’on n’est pas soi-même concerné par ce genre de situation.

 

Est-ce parce que Blaise et François sont maintenant ivoiriens qu’on ne peut pas les extrader ?

 

Une question : en dehors du mandat d’arrêt, le gouvernement burkinabè a –t-il officiellement demandé à la Côte d’Ivoire l’extradition ? Contrairement à ce que vous pensez, ce n’est pas dans tous les pays que la Constitution interdit expressément d’extrader des nationaux. Toutefois, le principe est devenu pratiquement universel, et dans la majorité des Etats, la Constitution ne permet pas d’extrader un national. Laissons la Justice et le gouvernement ivoirien gérer leurs nationaux.

 

Et pourtant, Gbagbo se retrouve à la CPI, envoyé par Alassane Ouattara ?

 

Il n’y a pas été extradé. Il y est par suite de la décision d’une juridiction supranationale, et le gouvernement ivoirien se plie aux décisions de la CPI parce que la Côte d’Ivoire est partie au traité de Rome. Ce n’est pas une extradition. C’est d’ailleurs Gbgabo lui-même qui a décidé et demandé à la CPI que la Côte d’Ivoire soit partie au traité de Rome. Le Burkina a été très tôt engagé dans le processus de Rome ; j’étais Président de l’Assemblée au moment de sa négociation. A l’époque, des députés juristes comme Yarga Larba ont fait un excellent travail en faveur de notre adhésion à la CPI. Même le Burkina peut envoyer ses nationaux à la CPI pour des infractions liées au génocide, à des crimes contre l’humanité ou à des crimes de guerre. Mais, prions Wenam, Allah et nos ancêtres pour qu’on n’en arrive jamais là un jour, en ce qui concerne notre pays.

 

Et pourtant, le gouvernement ivoirien a refusé d’envoyer Simone Gbagbo à la CPI conformément à la demande de cette juridiction. Est-ce objectif ?

 

Etre objectif, c’est quoi en politique ou en relations internationales ? Le gouvernement ivoirien s’est expliqué là-dessus. Il considère que les juridictions de Côte d’Ivoire ont à présent la capacité d’organiser les procès qui concernent Simone Gbagbo. De toute manière, la souveraineté signifie que la Côte d’Ivoire choisit en toute liberté ses options. Aucun Etat n’a l’obligation d’envoyer un national à la CPI si ses juridictions  nationales sont capables de le juger.

 

Quelle est votre position par rapport aux associations Koglwéogo ?

 

J’appartiens à l’une des plus grandes familles de chasseurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest, les dozos, et tout le monde connaît mon attachement aux structures traditionnelles. Quand j’arrive à une cérémonie de dozos, que ce soit au Burkina, en Côte d’Ivoire, au Mali, en Guinée ou en Guinée-Bissau, ils viennent tous me saluer un à un avec déférence. Cela étant, je ne connais pas un pays où des structures privées ont assuré durablement la sécurité sans dommages. Les dérives arrivent si fréquemment ! Il y a certainement des motifs plus ou moins valables expliquant les actions et les interventions des Koglwéogo, liées à la généralisation de l’insécurité dans notre pays. Où est l’Etat ? J’ai un champ dans un village non loin de Sapouy, du nom de Bagata ;  je sais donc de quoi je parle car j’y vais souvent. On y est permanemment sur le qui-vive. J’ai dû acheter un fusil de chasse pour mon bouvier Sambo afin qu’il se protège et protège le bétail. Je comprends la population qui, aujourd’hui, est complètement désemparée et exaspérée par la situation sécuritaire. Et plus on est proche des frontières, plus l’insécurité est prégnante. Les populations en viennent à estimer qu’elles doivent assurer elles-mêmes leur protection, puisque l’Etat semble incapable de le faire. Nous sommes dans une situation où l’Etat est considérablement affaibli. On se demande souvent si celui-ci existe dans certaines situations et dans certaines régions. Mais la solution ne peut pas consister à laisser prospérer des structures privées de sécurité à un tel niveau : il faut faire appel aux forces de sécurité, en reformer les structures et l’esprit, les équiper de manière adéquate, en expurger les pratiques de corruption, et pour le gouvernement, avoir la volonté politique nécessaire. Il est indispensable, dès à présent, de bien étudier le système et les modes opératoires des Koglwéogo et d’avoir une bonne connaissance du phénomène, car on ne le connaît pas suffisamment. On ne connaît que quelques-unes de ses manifestations ou interventions. L’Etat doit mener des investigations pluridisciplinaires avec des spécialistes très rapidement, ensuite discuter avec les responsables de ces groupes d’auto-défense afin qu’ils s’en remettent à l’Etat. Mais j’ai été clair là-dessus au cours de la crise ivoirienne. Les dozos ivoiriens, burkinabè et maliens ont joué un rôle important pendant la guerre. Mais une fois la paix revenue, ils ont dû regagner l’espace traditionnel qui est le leur, et ne pas prétendre se substituer aux forces de l’ordre. Il est illusoire de penser que les Koglwéogo peuvent remplacer efficacement et durablement la police, la gendarmerie et l’armée en matière de maintien de paix et de quiétude des citoyens. Il faut dire les choses clairement. La question de fond au Burkina, n’est pas celle des Koglwéogo ; c’est celle de la réalité de l’inexistence de l’Etat, et de son incapacité à remplir à la satisfaction des citoyens burkinabè, ses fonctions régaliennes. C’est parce que l’Etat est déficient que les Koglwéogo agissent. Cessons de chercher des faux-fuyants ; c’est à l’Etat de se réformer, de s’affirmer, et de reprendre les choses en main.

 

 

 

« Généralement, en matière politique, Salifou Diallo est tranchant, plutôt rude et parfois sans état d’âme. Ici, il a été très ouvert en tant que président de l’Assemblée et c’est tant mieux »

 

 

Il y a les magistrats qui demandent la dissolution sans condition de ces groupes. Etes-vous d’avis avec eux ?

 

L’autorité de l’Etat ne se négocie pas. L’Etat moderne de type westphalien s’est construit à partir du XVIIe siècle, et fonctionne selon quelques fondamentaux : l’un d’eux, c’est que la justice est un monopole de l’Etat. Si on commence à accepter l’action de ce type de groupes, même en recourant à des artifices légaux, dès lors qu’ils prétendent se substituer à l’Etat, le pays cesse d’être gérable. Il faut que le gouvernement appréhende cette affaire avec lucidité, mais avec fermeté ; autrement, nous allons vers un avenir incertain. Les dérapages ne manqueront pas, et rien n’empêche d’autres groupements de se constituer à travers le pays. Dans les situations de ce genre, ils deviennent incontrôlables. La liberté d’association est garantie par la loi dans notre pays. Et tant qu’une association ne sort pas du cadre de la loi, elle doit pouvoir mener ses activités librement. Les Koglweogo ne sont donc pas hors la loi de par leur existence. Mais il est douteux que des groupes privés comme ceux-ci, puissent remplacer l’Etat en matière de paix et de sécurité, car il s’agit là de l’une des raisons d’être même de l’Etat. Et sur ce plan, il n’y a rien à négocier, à moins que l’on accepte que le Burkina soit devenu un Etat failli.

 

Comment réagissez-vous à la récrimination de l’opposition parlementaire qui estime avoir été lésée dans l’attribution des postes ?

 

Ah ! Vous rentrez là dans l’un de mes champs de prédilection. Le Président Salifou Diallo opère actuellement pour corriger le déséquilibre dont vous parlez,  en optant de faire diriger les délégations du parlement à l’extérieur, tour à tour par les vice-présidents issus des différents groupes parlementaires. C’est intelligent et habile de sa part, et ça peut marcher. Cette décision est sage, tout au moins pour ce qui est des organisations interparlementaires. Les parlements communautaires, c’est autre chose, car ils n’y existent pas de chefs de délégation nationale. Je trouve que l’Assemblée a bien démarré. Sa composition est plus équilibrée que  par le passé. La majorité est aujourd’hui autour de 57% de voix à l’Assemblée, et l’opposition 45%. C’est une situation idéale pour faire fonctionner un parlement, parce que l’opposition y a sa place et la majorité est confortable pour permettre au  pouvoir de gouverner. Le président Salifou Diallo a surpris par son esprit d’ouverture. Généralement, en matière politique, Salifou Diallo est tranchant, plutôt rude et parfois sans état d’âme. Ici, il a été très ouvert en tant que président de l’Assemblée et c’est tant mieux. Le MPP a consenti quelque chose d’inédit. Un parti qui détient une majorité claire dans l’ordre du législatif, et qui accepte que le premier vice-président ne vienne pas de ses rangs, ce n’est pas une situation courante en Afrique. La composition du bureau de l’Assemblée est actuellement très équilibrée et les postes ont été bien répartis. La majorité a accepté de ne prendre, ni la 1re, ni la 2e, ni la 3e vice-présidence. C’est formidable. En revanche, le problème se pose au niveau de la diplomatie parlementaire. Le principe-clé de la gouvernance parlementaire, c’est la collégialité. La deuxième exigence, c’est que les structures de l’Assemblée doivent refléter la configuration politique du parlement ; tout doit être fondé sur la proportionnalité. C’est là, au niveau de la représentation extérieure, que le problème s’est posé. A ce propos, je pense que la majorité a tort. En matière de diplomatie parlementaire, on distingue les parlements internationaux des organisations interparlementaires. Au niveau  des parlements communautaires, la majorité, à mon avis, n’a pas joué le jeu jusqu’au bout, car elle s’est octroyé la part du lion. Les choses devraient être plus équilibrées sur ce plan. Mais comme je l’ai dit, je crois que le speaker de la chambre veut y apporter des correctifs en jouant au niveau opérationnel. En tout cas, il faut faire attention, car certaines organisations parlementaires internationales n’admettent pas les délégations où l’opposition n’est pas représentée, ou celles qui ne comptent pas des jeunes et des femmes. C’est le cas de la plus grande parmi elles : l’Union Interparlementaire.

 

Quels rapports avez-vous avec vos anciens camarades au pouvoir aujourd’hui ?

 

Je n’ai aucun problème avec eux ; nos rapports sont normaux. Je ne suis pas un va-t-en-guerre et vous le savez. J’ai de très bons rapports avec chacun d’eux. Pour le moment, ils sont en train de s’installer. Etant donné le rôle qui est celui du Centre Parlementaire Panafricain que je dirige et du cabinet Africa Consult & Performances, je travaille correctement avec tous. Je ne m’abstiens de travailler avec quelqu’un que quand c’est lui qui  refuse la coopération.

 

Et pourtant, certains de vos camarades du CDP les considèrent comme des traîtres !

 

Oh ! ‘’traîtres’’, c’est un gros mot. A chacun sa vision et ses positions. Ecoutez ; je suis resté fidèle à Blaise Compaoré jusqu’au bout, même si c’était parfois avec beaucoup d’interrogations comme tant d’autres, mais je pense aussi qu’il faut avoir un jugement juste et équilibré. Il ne faut pas partir de l’idée que nos problèmes sont nés du départ de personnes qui auraient trahi. La réalité est que tout est parti du congrès de 2012, mais en réalité, il faut remonter aussi aux turbulences des militaires en 2011 pour décrypter l’intelligibilité de notre crise. Je dis souvent au niveau du CDP que nous devons nous interroger sur ce qui s’est passé en remontant au moins jusqu’en 2005, et reconnaître avec lucidité et humilité nos propres erreurs, qui ont abouti à la perte du pouvoir. Si Roch, Salif et Simon sont partis, cela n’a pas été le fait du hasard. Nous devons avoir le courage de nous évaluer. A force de dire que les autres ont trahi, on finit par ne même plus examiner les causes profondes qui ont conduit aux évènements d’octobre 2014, et à la situation actuelle. Personne au sein du parti n’était heureux que les Roch soient partis. Nous étions tous mal à l’aise à la défection des trois ‘’janissaires’’ du pouvoir, parce que c’étaient eux qui dirigeaient le parti et de fait, le pays. Il faut le dire, ils étaient l’âme du CDP, en bien comme en mal. Ils étaient plus près de Blaise Compaoré que moi et tous les autres. La situation que nous avons connue doit donc être analysée avec recul : le seul départ des anciennes têtes fortes du CDP, n’aurait pas suffi pour aboutir à l’insurrection du 30 octobre 2014. Sur ce plan, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion approfondie à partir de la question suivante : comment et pourquoi en est-on arrivé là ? Cette réflexion reste à faire, ne serait-ce que parce que le CDP demeure une force politique de premier plan, qu’on aurait bien tort de sous-estimer aujourd’hui.

 

Quelles sont les relations entre le MPP et le CDP aujourd’hui ?

 

Ce sont des relations de parti à parti ; une majorité qui gouverne et une opposition qui fait son travail. Je ne suis pas dans la posture de ceux qui veulent que le pouvoir actuel échoue. Le CDP dans l’opposition, doit travailler comme un parti qui veut reconquérir le pouvoir, mais un parti responsable. C’est clair, le CDP doit se forger une nouvelle identité et de nouvelles méthodes de travail. Il en a le potentiel. Ceux qui sont en face doivent aussi créer les conditions pour que l’opposition s’exprime et s’organise librement. C’est ça la démocratie. Ecoutez ; chacun sait désormais que là où sont les autres, au pouvoir ou dans l’opposition, il peut s’y retrouver demain. Et puis, en politique, il ne faut jamais jurer de rien, y compris quand il s’agit des alliances entre partis.

 

Comment analysez-vous cette tendance en Afrique à réviser les Constitutions pour rester au pouvoir ?

 

C’est une étape de l’histoire politique du continent. Nous sommes à une phase difficile des systèmes politiques africains, mais elle va évoluer. Nos systèmes politiques se sont construits difficilement et dans un environnement plein d’incertitudes. Nous sommes dans de nouveaux systèmes qui sont mal aisés à mettre en place, et cela tient tant aux hommes qu’aux systèmes eux-mêmes. Les systèmes politiques africains sont toujours en mutation, mais ils vont se stabiliser progressivement, avec certes des douleurs et des reculs, même si cela prendra du temps. La limitation du nombre de mandats est à la mode. Mais la question de fond, n’est pas celle-là. Il faut revenir aux fondamentaux des systèmes politiques et de la démocratie : ceux-ci ne peuvent résulter que de la construction dans chaque Etat, du consensus entre les acteurs, institutionnels ou non. Une chose est certaine : les présidences à vie, c’est fini. Et puis, en tout cas pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, peut-être faudrait –il lancer une réflexion globale au sein de l’UEMOA et de la CEDEAO ?

 

Propos recueillis par Michel NANA

 

 


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