MINI-TOURNEE AFRICAINE DU CHEF DE LA DIPLOMATIE FRANCAISE : La France peut-elle encore recoller les morceaux ?
Le nouveau patron du Quai d’Orsay, Jean Noël Barrot, est, depuis le 27 novembre dernier, en Afrique noire. Dans le plan de vol du chef de la diplomatie française qui met ainsi pied, pour la première fois, en Afrique subsaharienne depuis sa prise de fonction, figurent d’abord le Tchad et ensuite l’Éthiopie. Au pays de Deby fils, le ministre français devrait se rendre, dans un premier temps, dans un camp de réfugiés à Adré, à la frontière soudanaise. Selon, en effet, certaines sources diplomatiques, la crise humanitaire au Soudan est une priorité pour Jean Noël Barrot, comme pour confirmer l’engagement de la France qui avait pris les devants, en avril dernier, de mobiliser près de deux milliards d’euros de promesses et de dons. Mais l’agenda du ministre au Tchad n’est pas qu’humanitaire. L’on peut même se demander si l’humanitaire ne sert pas de couverture au diplomate français, pour traiter avec le Tchad, des questions qui empêchent de fermer l’œil sur les bords de la Seine : l’avenir militaire de la France en Afrique dans un contexte où l’ancienne puissance coloniale est conspuée de toutes parts sur le continent. L’on se souvient, il n’y a pas très longtemps, que l’Elysée avait tenu un Conseil de défense en ce sens pour redéfinir sa stratégie militaire et civile en Afrique avec pour ligne directrice, d’inventer un nouveau modèle de partenariat reposant sur une réduction de ses effectifs militaires déployés sur le continent et sur une augmentation de l’offre de formation, d’accompagnement et d’équipements.
La France défend l’idée de deux sièges permanents pour l’Afrique
Le Tchad qui est le dernier pays du Sahel où des soldats français de l’ancienne force Barkhane ont été repositionnés après avoir été éconduits du Mali, du Burkina Faso et du Niger, est particulièrement concerné par cette nouvelle dynamique. Le Tchad peut même relever de l’urgence dans la mesure où il est remarqué un rapprochement entre Ndjamena et Moscou. L’on comprend donc pourquoi il est prévu avec les autorités tchadiennes, une rencontre pour évoquer la question.
Après le Tchad, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, se rendra au siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba en Ethiopie. Et là, au menu des échanges, il devrait être question de réformes des institutions internationales, notamment la question de la présence africaine au sein du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La France, on le sait, défend l’idée de deux sièges permanents pour l’Afrique au sein de cet organe stratégique de l’organisation mondiale. Et cette idée fait bien l’affaire de l’UA qui se bat, depuis quelque temps déjà, pour une meilleure représentation au sein des Nations unies.
Cela dit, que ce soit au Tchad ou en Ethiopie, l’on lit clairement que la France essaie de se montrer proche des préoccupations africaines et qu’elle entend même se présenter comme le défenseur de la cause africaine. Et la question que l’on peut, bien évidemment, se poser, est la suivante : parviendra-t-elle encore à recoller les morceaux après le clash avec certains Etats du continent ? L’on pourrait en douter et pour cause. D’abord, le développement du sentiment anti-français sur le continent, a atteint des sommets jusque-là inégalés. Il faut le dire, il ne fait plus bon être Français en Afrique et encore moins militaire français et cela, particulièrement dans les pays du Sahel où les populations sont acquises à l’idée que les groupes terroristes qui sèment la mort et la désolation dans la région, bénéficient de la complicité de la France.
Ce dont le continent a véritablement besoin, ce n’est ni de la compassion ni de l’assistanat
Ensuite, la seconde raison qui fait douter d’un nouveau rapprochement entre l’Afrique et la France, est l’apparition sur le continent, de nouveaux concurrents stratégiques qui ne s’encombrent pas de conditionnalités comme le font les puissances occidentales. C’est le cas de la Russie, de la Chine, de la Turquie ou de l’Iran. Face à ces concurrents qui ont le vent en poupe, rien n’est gagné d’avance pour la France qui traine le lourd passé colonial et le poids d’une histoire esclavagiste. Mais peut-elle pour autant assister les bras croisés à l’effondrement de son empire colonial où elle a encore de puissants intérêts économiques et géostratégiques ?
La réponse est, à coup sûr, non. Mais pour avancer dans la défense de ses intérêts, le pays d’Emmanuel Macron doit changer de fusil d’épaule. Et c’est manifestement à cet exercice qu’elle s’essaie. Elle veut regagner le cœur des Africains en se faisant passer pour leur porte-voix mais aussi en réduisant son empreinte militaire permanente sur le continent. Il reste à savoir si cela suffira. Car, comme le dit le proverbe, « chat échaudé craint l’eau froide ». Et cela est particulièrement vrai dans la mesure où il est écrit depuis le général Charles De Gaulle, que la France n’a ni ami ni ennemi, mais elle n’a que des intérêts. Cela dit, l’Afrique se doit d’utiliser le nouveau contexte pour exiger de l’ancienne puissance coloniale, à défaut qu’elle répare les erreurs commises, qu’elle s’engage dans un partenariat gagnant-gagnant. Car, ce dont le continent a véritablement besoin, ce n’est ni de la compassion ni de l’assistanat, mais d’une relation équilibrée où elle gagne toute sa place et peut disposer de ses richesses naturelles pour subvenir, de façon souveraine, à ses besoins.
« Le Pays »