MORT SUSPECTE DU JUGE NEBIE : Où allons-nous ?
Lundi dernier, j’ai pris part à l’inhumation du juge constitutionnel Salifou Nébié, retrouvé mort sur la route de Saponé dans la nuit du 24 au 25 mai dernier. Pour un événement émouvant, c’en était un. Car la tristesse, la désolation, la consternation et la révolte se lisaient sur tous les visages. La preuve, le président du Conseil constitutionnel, Albert Dé Millogo, qui devait prononcer l’oraison funèbre à l’occasion, en a pris pour son grade. Hué et agressé, l’homme a eu la vie sauve grâce à l’intervention rapide des forces de sécurité. La foule en furie voulait en découdre avec lui. Les autres membres du Conseil constitutionnel, venus accompagner leur collègue à sa dernière demeure, ont dû chacun à sa manière, rejoindre son domicile au risque de se faire lyncher par cette foule visiblement déchaînée qui criait : «Juges pourris ! » « Juges corrompus ». J’ai suivi de bout en bout cet événement. Et c’est là que j’ai compris que la méfiance entre le peuple et la Justice vient de se creuser davantage. Les Burkinabè n’ont plus confiance en la Justice qui, malheureusement, donne elle-même des verges pour se faire fouetter. J’en veux pour preuve la nonchalance et la lenteur coupables dont elle fait montre dans le traitement de ce dossier brûlant. On a parfois la fâcheuse impression qu’elle ne s’acharne que sur les pauvres citoyens, laissant parfois les vrais criminels se la couler douce. En effet, ils sont nombreux les dossiers de crimes et d’assassinats jusque-là restés impunis. Quand la Justice ne se déclare pas incompétente, elle se contente de prononcer un non-lieu. Et quand le ministre actuel de la Justice et le procureur général qui ont géré le dossier Norbert Zongo, avec le résultat que l’on sait, s’évertuent à rassurer l’opinion que justice sera rendue à Salifou Nébié, les gens ont de quoi douter. C’est cette rage qui a poussé les populations à se montrer hostiles vis-à-vis de certains acteurs de la Justice au cimetière de Gounghin. C’est un avertissement sans frais qu’elles envoient aux acteurs du monde de la Justice comme pour leur dire ceci : « Gare à vous si vous sabotez le dossier du juge Nébié ». En tout cas, moi Fou, qui ai suivi de bout en bout ce qui s’est passé ce lundi-là, j’ai bien envie de dire aux magistrats de prendre leurs responsabilités. L’occasion est belle pour eux de s’affranchir de toute tutelle qui voudrait leur dicter une conduite dans tel et tel dossier. Ils peuvent, comme ils l’ont déjà fait il y a de cela 6 mois, dénoncer toute forme d’ingérence de l’autorité dans leurs affaires, à travers leurs différents syndicats. Cela prouvera à l’opinion nationale qu’ils ne sont pas de mèche avec le système, comme on le dit. Du reste, lorsqu’interrogé sur le silence du gouvernement, le ministre Alain Edouard Traoré a laissé entendre que le procureur général a parlé au nom de l’Exécutif, il renforce le citoyen dans sa position ; lui qui n’a jamais crû à l’indépendance de la Justice. Sinon, la sortie du procureur n’empêche en rien le gouvernement de faire une déclaration, s’il est vrai qu’il y a séparation des pouvoirs. De toute façon, il est désormais fort improbable que l’affaire Nébié reste impunie puisque l’opinion a déjà trouvé son coupable. Difficile donc de lui faire avaler des couleuvres. Car j’avoue que même moi, j’ai été profondément touché par la manière dont le juge Nébié a été tué. Encore plus scandalisé, quand j’apprends que peu avant sa mort, il disait à ses parents que sa vie était menacée. Où allons-nous ? Que ceux qui avaient baptisé le Burkina, pays des Hommes intègres, se ravisent car il ressemble plus aujourd’hui à un pays des Hommes de la haine et de la méchanceté. Et quand je regarde tout cela, je ne peux m’empêcher de dire ceci à mes compatriotes : Attention danger !
« Le Fou »