NOMINATION D’UN NOUVEAU PM AU TCHAD : Succès Masra, le dindon de la farce ?
Le suspense aura été de courte durée au Tchad après la prestation de serment de Mahamat Idriss Déby qui, dans la foulée a décidé de confier les rênes du nouvel exécutif à Allamaye Halina. Même si les pronostics ne l’annonçaient pas, l’arrivée de ce dernier à la Primature, ne relève cependant pas du miracle. L’homme qui, jusque-là, était l’ambassadeur tchadien en Chine, est un serviteur fidèle de la famille Déby. Il a rendu publique la liste des membres de son gouvernement hier, 27 mai 2024. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas de changement remarquable. En effet, pendant plus d’une décennie, le nouveau Premier ministre a été au service de Déby- père comme chef du protocole à la présidence. En plus de la loyauté à la dynastie au pouvoir, l’homme jouit d’une solide réputation de « grand administrateur avec une très grande expérience et une personne très humble », et part avec des a priori positifs d’être une personnalité neutre qui peut arbitrer le jeu entre les différents acteurs. Sans doute, le choix de l’homme a aussi été dicté par ses origines : il est du Sud et ce critère permet de poursuivre l’usage d’un chef de gouvernement originaire du Sud. En attendant de le voir à l’œuvre, on peut le dire, Allamaye Halina a le profil de l’emploi et tout le mal que l’on pourrait lui souhaiter est qu’il réussisse la mission qui lui est confiée. On le sait, la genèse de l’Etat tchadien s’est déroulée à l’ombre de la guerre qui demeure la menace principale pour ce pays de l’Afrique centrale miné par les rivalités ethniques et tribales.
L’opposant a été utilisé par le pouvoir en place pour se légitimer
L’on imagine aisément que la tâche ne sera pas de tout repos pour le nouveau Premier ministre qui a l’impérieux devoir de faire mieux que son prédécesseur qu’est le candidat malheureux de la dernière présidentielle. L’arrivée de Allamaye Halina interroge justement sur le devenir de Succès Masra.L’éviction de l’opposant du gouvernement n’est pas véritablement surprenant dans la mesure où, ayant très mal pris sa défaite au scrutin présidentiel, le ton est vite monté entre lui et Déby-fils. La question que l’on peut se poser est de savoir si ce clash n’était pas un scenario écrit à l’avance. On a, en tout cas, de sérieuses raisons de croire que l’opposant a été utilisé par le pouvoir en place pour se légitimer. Sous d’autres cieux, l’on dirait qu’il a été « roulé dans la farine ». Cela dit, tout en déplorant cette roublardise de Mahamat Idriss Déby qui, du reste, n’a usé que d’une arme très répandue en politique, l’on ne peut véritablement pas plaindre l’opposant qui n’était pas sans savoir que « l’on ne dine jamais avec le diable » même avec une longue fourchette. Succès Masra est donc victime de ses propres turpitudes et il ne peut véritablement pas s’en plaindre. Cela dit, l’on peut se poser la question suivante : quelles seront les conséquences du divorce entre Succès Masra et son allié d’hier ?Il est prématuré de répondre à la question. Mais, d’ores et déjà, l’on peut s’interroger sur le poids du désormais ex-Premier ministre sur la scène politique tchadienne. Certes, l’homme a drainé des foules pendant la campagne présidentielle, surtout lors des derniers meetings. Mais cela suffira-t-il à dissiper l’immense déception de certains de ses militants et sympathisants dont certains ont consenti le sacrifice suprême?
Succès Masra pourrait, tel un phœnix, renaître de ses cendres
Rien n’est moins sûr dans la mesure où il est établi dans le subconscient des uns et des autres, que « qui a trahi, trahira ». De ce point de vue, c’est donc l’avenir politique de l’opposant qui est même en jeu et cela est d’autant plus grave s’il a laissé des casseroles sales dans sa gestion. Il sera, de ce fait, tenu en laisse par le pouvoir et contraint de se tenir à carreau. Toute attitude contraire pourrait le conduire dans les geôles du régime. Au pire, il pourrait finir comme Yaya Dillo s’il lui venait à l’idée de divulguer, à des fins politiques, certains secrets d’Etat. Mais tout cela n’est peut-être qu’un scenario de film-fiction et Succès Masra pourrait, tel un phœnix, renaître de ses cendres. Ne dit-on pas, en effet, « qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » ? Succès Masra est, en effet, une bête politique redoutable qui peut exploiter les failles du président Déby qu’il a côtoyé, pour rebondir. Et cela est d’autant plus probable que, sans nul doute, il s’est fait une solide santé financière au détour de son passage à la primature. L’argent étant le nerf de la guerre, cela pourrait lui permettre de garder ses militants en ordre de bataille. Dans la même veine, l’opposant politique, en dirigeant l’Exécutif et en organisant la présidentielle, s’est fait une stature d’homme d’Etat et en a profité pour remplir son carnet d’adresses. Il peut, de ce fait, être la principale alternative à la dynastie Déby quand se lèvera le vent de la contestation. Sur un plan plus personnel, l’opposant a pu rejoindre le bercail et cela n’est pas rien. C’est, du reste, ce qui amène certains à se demander si ce n’est pas lui qui s’est servi de Déby.
« Le Pays »