LA NOUVELLE DU VENDREDI : Un enfant difficile
C’était la veille de Noël. Je me suis arrêté chez une marchande au bord de la nouvelle avenue pour payer des tisanes. En compagnie de Fidel, client de la vendeuse depuis quelques années, nous échangions souvent sur des banalités communes de la vie. La vendeuse était une vieille dame qui m’appelait affectueusement : mon fils.
Moi, je l’appelais maman-tisane. Elle aimait bien et ça l’amusait.
En arrivant, je vis la marchande à une vingtaine de mètres regardant dans la petite rue et secouant la tête. Je la saluai et elle me rejoignit à côté de son étal.
Bonjour fils ! Un enfant qui est en train de faire des misères à sa pauvre mère … une honte !
La vendeuse arrêta de parler car une jeune dame venait vers nous. Lorsqu’elle approcha, je remarquai qu’elle portait un très bel ensemble de luxe et une montre de grande valeur au poignet. Et, chose singulière, la charmante jeune dame était pieds nus. Des pieds sales et coloriés comme si elle venait de marcher dans la boue. Arrivée à notre hauteur, les cheveux défaits, je vis de grosses larmes qui coulaient sur sa joue. Une jeune fille derrière elle portait sur sa tête un appareil électronique. L’une marchant derrière l’autre, la jeune dame et la fille traversèrent la route, ouvrirent la porte d’une belle villa et entrèrent.
Cette scène se passait sous mon regard et celui de Maman-Tisane qui secouait toujours la tête. Elle me dit :
voilà un appareil volé il y a quelques minutes par mon fils et que la dame vient de récupérer.
Elle venait de garer sa voiture devant sa porte et par un coup de chance, elle a aperçu ledit fils en train de vendre à vil prix l’appareil de valeur à des amis. Pourriture et compagnie…
Qu’est-ce que vous dites ?
Un fils unique qui a tout pour réussir mais qui a choisi la mauvaise voie pour se détruire et détruire ses parents par la consommation de la drogue. Plusieurs expulsions dans de nombreux établissements de la ville et même du pays où vit le père à l’étranger. Un fléau pour les élèves en général et les enfants du quartier en particulier. De nombreuses cures de désintoxication et un résultat désastreux. La mère au bord du désespoir ne sait vraiment que faire de cet enfant très difficile. Hier, c’était les précieux bijoux et les objets de valeur bazardés pour se procurer ses saloperies, aujourd’hui, c’est un appareil électronique récupéré de justesse. L’avenir est sombre pour cette pauvre dame.
Il a quel âge ce fils inconscient et irresponsable ? demandai-je ?
Entre dix-huit et vingt ans et déjà un lourd passif dans la drogue et les actes honteux qui vont avec…
Maman-tisane se tut. Un jeune homme arrivait. Les mains dans les poches de son pantalon, un chapeau porté à l’envers, le bonhomme sifflait entre ses dents en marchant et en dandinant. Lorsqu’il traversa la voie, il pénétra dans la belle villa de la jeune dame, en pleurs et pieds nus.
Le fils difficile. Une honte et une malédiction, me confia la vieille vendeuse. Et le pire, c’est qu’il se perd en faisant perdre ses parents.
En m’en allant avec ma tisane, je regardai la porte de la belle villa et imaginai la vie de cette pauvre dame avec un monstre pareil de fils. Je pensai aux responsabilités qui ont donné une horreur pareille. Quelque part, quelqu’un ou la société moderne a failli. Je pensai à ma propre existence, à ces jeunes se déplaçant à pieds, portant de lourdes marchandises, ces élèves parcourant des dizaines de kilomètres à vélo pour étudier, des jeunes ayant seulement besoin d’un minimum pour se construire. Puis, je pensai à ce jeune inconscient assassinant à petit feu sa mère par les effets de la drogue.
Je n’avais aucune réponse mais je savais : quelque part existe une lourde et très vilaine responsabilité.
Ousseni Nikiéma,
70 13 25 96