LA NOUVELLE DU VENDREDI : Un homme très occupé au restaurant
Autour d’un verre de fraternité, ce soir-là, dans un café-restaurant très à la mode ces temps-ci au pays des « Hommes intègres », nous étions de trois nationalités : deux Burkinabè, une Béninoise et une Franco-Italienne. L’ambiance était bon enfant, cordiale et meublée par une conversation sur la littérature africaine.
En arrivant sur la terrasse pour nous installer, un jeune homme d’une trentaine d’années, bien dans un costume de bonne coupe, était notre voisin de table. Il y avait du monde en cette heure du week-end. De nombreux couples, mais aussi des groupes d’amis comme le nôtre. La Franco-Italienne et moi faisions face à notre impeccable et jeune voisin, mon amie Béninoise le regardait de droite, et mon compatriote de gauche.
Comme il est très fréquent et ordinaire de le voir depuis la naissance du téléphone portable dans notre quotidien, seul attendant visiblement quelqu’un (deux bouteilles sur la table et un plateau couvert), notre voisin passait d’un portable à un autre. Il en avait trois sur sa table, des portables de marque et passait d’un appel sur l’un à un SMS sur l’autre.
Nous étions plongés dans nos assiettes, nos verres et notre chaude conversation lorsqu’arriva, pour rejoindre notre voisin, une charmante et classe demoiselle. S’intéresser à ce que fait son ou sa voisine de table dans un restaurant est autre chose, observer avec discernement des scènes de vie autour de vous en est une autre.
En arrivant, la jeune fille trouva notre voisin en longue communication, et par un geste elle prit place et par un autre geste elle se servit à boire, et ensuite dans le plateau. Pendant, plus de trente minutes, d’un portable à un autre, notre voisin, peut-être un baron du monde des affaires, n’échangea un mot avec son invitée.
Mon amie Béninoise, solidarité oblige, trouva que notre voisin en faisait un peu trop.
– Je ne voulais pas m’en mêler, mais dites, les amis, vous ne trouvez pas que notre voisin en fait un peu trop avec ses portables ?
– Si j’avais été à la place de la jeune fille il y a bien longtemps que j’étais loin. Soutint notre Franco-Italienne, très à cheval sur les questions de genre et de savoir-vivre. Quand on n’a pas du temps pour l’autre on ne l’invite pas au restau.
– Peut-être que c’est autre chose que ce que vous croyez, hasardai-je !
– Tout de même, soutint mon frère !
Pendant ce temps, la scène très singulière sur notre table voisine était originale. L’homme téléphonait et la femme buvait et mangeait. Pendant une heure. De temps à autre, tout en écoutant ses interlocuteurs au bout du fil, l’homme buvait ou prenait juste un petit quelque chose sur le plateau. La charmante invitée trouvant sans doute la chose normale par l’habitude et la fréquentation sans gêne ni outragée en quoi que ce soit, mangeait, buvait et souriait à son homme très occupé.
L’ambiance devenait très lourde sur notre table. Notre chère amie béninoise, presqu’asphyxiée de colère, nous demanda, par respect, la permission de dire un mot à notre voisin de table ignorant jusqu’à la racine le mot « galanterie ». Notre amie franco-italienne trouvait difficilement ses mots :
-Et avec ça, comment voulez-vous, que les hommes nous respectent ?
Et c’est tout naturellement en posant un billet sur la table que notre voisin se leva, le portable collé à l’oreille, suivi de la charmante invitée.
Le couple se dirigea vers le parking de voitures. Et ce départ nous libera.
Témoin d’une scène aussi insolite et originale, notre table, avec un ouf de soulagement, retrouva son ambiance. Il était temps !
Ousséni Nikiema 70-13-25-96