HomeA la uneLA NOUVELLE DU VENDREDI : Un voyou qui nous voulait du bien

LA NOUVELLE DU VENDREDI : Un voyou qui nous voulait du bien


Nous étions de nouveau à la gare. Le vieux bagagiste était encore là. A l’aller, en chargeant mon sac dans la soute du car, je lui avais glissé un billet de cinq cents francs.
– Merci mon enfant. Je vous souhaite un bon voyage ! avait-il répondu à mon geste.
Cela faisait deux semaines que j’étais parti en voyage. Pour le retour, je lui avais encore préparé un petit cadeau de retour : quelques mangues et goyaves. Dans l’espoir de lui dire quelques mots, je m’arrangeai pour être le dernier à sortir du bus. Puis, j’attendis patiemment que les autres voyageurs emportent leurs sacs avant de l’aborder.
– Bonjour papa !
– Votre ticket de bagage s’il vous plaît ? me demanda le vieil homme. Il ne m’avait pas reconnu.
– Tenez ! c’est pour vous. Un cadeau de retour … Mr Gouama.
L’homme enleva son chapeau, me remercia en me regardant avec étonnement. Je venais de prononcer son nom.
– Vous me connaissez ? Me demanda-t-il.
– Oui, mais il y a longtemps. J’étais enfant à l’école primaire dans les années… Au bar Zambéla, nous les enfants, vous nous interdisiez de jouer au baby-foot.
– Ah, il y a longtemps de cela… mon fils. J’espère que je ne vous ai pas fait du mal. En ce temps là…je…
– Non papa, au contraire. C’est parce que maintenant je vous comprends. Je comprends pourquoi jadis vous nous interdisiez, nous les élèves, de fréquenter le baby-foot devant le bar.
– Ce n’était pas un bon lieu pour des élèves. Et, je ne voulais pas que vous empruntiez le même chemin que moi …
– C’est maintenant que je comprends. En vous revoyant il y a deux semaines, j’ai compris que c’était pour notre bien.
– Je regrette bien de choses … le passé est le passé. On ne peut rien y changer. Je regrette vraiment …
– Papa, en vous retrouvant bagagiste dans cette gare après tant d’années, cela m’a fait grandement plaisir. Mieux vaut tard que jamais !
– Merci mon fils, Dieu te protège !
Nous avons échangé une poignée de mains chaleureuse.
J’ai pris mon sac à la recherche d’un taxi pour rentrer. En chemin, je pensai au vieux bagagiste.
Quand j’étais à l’école primaire, Gouama était l’un des voyous les plus redoutables du milieu. Grand bagarreur et fin manipulateur de couteau et autres armes de délinquant, il faisait la pluie et le beau temps au bar Zambéla. Un bar qui se trouvait sur le chemin de notre école. C’était une véritable tanière de
voyous et de filles légères. Un lieu de perversion et de dépravation. Et devant ce bar, des baby-foot flambants neufs qui nous attiraient comme le pollen attire l’abeille. A l’insu des maîtres, tous les garçons de l’école rêvaient d’y faire des parties. Même si cela nous privait de friandises pendant la récréation, le sacrifice en valait la peine. Seulement, et c’était cela le hic, la chose n’était pas faisable avec Gouama, le chef voyou dans les parages. Et, dans les parages pour ses louches combines, il y était souvent. Il ne voulait pas voir un élève devant le bar. Il l’avait décidé et c’était un principe intangible pour lui. Toute l’école le savait et respectait cette consigne. Car, Gouama le voyou selon ce qui nous parvenait, mythe ou réalité, n’était pas tendre. Enfant, je lui en voulais énormément de nous priver du baby-foot devant le bar. Combien de fois l’avons-nous maudit ? Combien de fois avons-nous imploré le Ciel de descendre la foudre sur Gouama le voyou ?
Nous souhaitions en somme son malheur, car il nous privait de notre jeu favori devant le bar. Devant le bar où délinquants et prostitués pavanaient dans une parfaite complicité. La présence d’élèves, de gamins devant le bar étant le dernier de leur souci. Seul, Gouama le Caïd ne voulait pas de notre présence en ces lieux.
Il y a deux semaines en revoyant le voyou reconverti par le hasard du destin en honnête bagagiste dans une compagnie aussi respectueuse, j’ai compris toute la noblesse de son geste d’antan.
Délinquant, Gouama voulait à tout prix nous éloigner de son monde non glorieux. Et, c’est maintenant que j’ai compris pourquoi il ne voulait pas voir un enfant devant le bar. Gouama était dans le mauvais chemin et savait consciencieusement qu’il était dans un cul-de-sac. Cela est très important. Quand celui qui se perd se rend compte de son égarement et cherche une voie de salut, souvent arrive à son secours une bonne âme.
Comme le disait mon père : « l’homme n’est jamais complètement bon, l’homme n’est jamais complètement mauvais ». Par la force des choses, l’homme bon le matin peut devenir mauvais le soir. Par la force des choses, le mal du matin peut se transformer en bien le soir.
Ousséni Nikiéma 70-13-25-96
[email protected]


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