OUVERTURE DU PROCES DE L’AFFAIRE DABO BOUKARI 32 ANS APRES LE CRIME : Le fruit de la constance et de l’obstination du peuple burkinabè
C’est ce lundi matin que s’ouvre dans la salle d’audience exiguë de la Cour d’appel de Ouagadougou, l’un des procès les plus emblématiques jamais organisés au Burkina Faso, pour enfin élucider les circonstances dans lesquelles l’étudiant en 7e année de médecine, Dabo Boukari pour ne pas le nommer, a été assassiné en 1990, dans les locaux de la tristement célèbre enclave militaire alors sise au cœur de la capitale burkinabè et occupée par la sécurité présidentielle. Dès lors que le crime a été commis dans cette zone jadis interdite d’accès au public, il est compréhensible que tout, absolument tout dans ce dossier, ramène à la responsabilité du régime de Blaise Compaoré, avec l’imputation, non sans raison, de l’inqualifiable crime aux soutiens indéfectibles de l’ancien président. Mais malgré cette présomption de culpabilité ou plutôt de responsabilité morale, ce dernier avait fait le choix délibéré de s’enferrer dans le déni jusqu’à sa chute en octobre 2014, et certains de ses thuriféraires avaient même eu l’indécente outrecuidance d’avancer la thèse de l’évasion pour expliquer la disparition du militant de base de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB).
On peut se demander si ce procès va réellement permettre de connaitre les véritables auteurs de la mise à mort de l’étudiant en fin de cycle
Mais « le mensonge a beau courir, dit l’adage, la vérité finit par le rattraper ». Avec la réouverture de ce dossier à la faveur de l’insurrection populaire qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir en effet, l’on dispose de témoignages poignants et sans équivoque qui accablent certains responsables universitaires et des étudiants militants du Front populaire au moment des faits, sans oublier évidemment des éléments de la sécurité de l’ancien président, dont beaucoup ne sont malheureusement plus de ce monde. Si ces derniers ne répondront plus de rien, trois personnes connues pour leur lien indémaillable avec le régime de Blaise Compaoré, seront, elles, ce matin dans le box des accusés et comparaitront pour « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée, complicité de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et recel de cadavre». Il s’agit notamment du Général Gilbert Diendéré qui commandait l’emprise militaire dans laquelle Dabo Boukari a été torturé à mort et dont la principale faute est d’avoir ordonné la levée du corps, du lieutenant-colonel Mamadou Bamba, à l’époque étudiant en 4e année de médecine et dirigeant du comité révolutionnaire du campus inféodé au régime de Blaise Compaoré pour sa participation active à la chasse aux sorcières, et du sergent Victor Magloire Yougbaré, alors en service au Centre national d’entrainement commando (CENEC) qui aurait transporté Dabo Boukari du lieu d’arrestation chez son ami jusqu’à sa cellule-mouroir du conseil de l’Entente. Au regard des chefs d’accusation qui pèsent sur ces trois mousquetaires, on peut se demander si ce procès va réellement permettre, à la fin, de connaitre le ou les véritables auteurs de la mise à mort atroce de l’étudiant en fin de cycle, d’autant qu’aucun d’entre eux n’est poursuivi pour avoir donné le coup fatal à la victime. On est d’autant plus dubitatif que l’un des acteurs-clé des événements ayant abouti au crime, Alain Nindaoua Sawadogo de regrettée mémoire, recteur de l’Université de Ouagadougou à l’époque et connu pour être celui qui avait fait appel aux commandos du CNEC pour mettre fin au mouvement d’humeur des étudiants déclenché à partir du 15 mai pour dénoncer le système d’évaluation ultra-sélectif dans certains instituts de l’université, a tiré sa révérence en avril 2020, avant même l’audience de mise en accusation du tribunal de grande instance de Ouagadougou.
La justice burkinabè est en train de redorer son blason
Salifou Diallo, paix à son âme et à ses cendres, ancien directeur de cabinet de Blaise Compaoré, qui aurait été vu sur le campus le matin du 16 mai 1990 flanqué d’une escouade de soldats sur les dents et dont le nom avait été abondamment cité par les leaders du mouvement estudiantin comme l’une des pièces du puzzle malgré ses dénégations, a, lui aussi, cassé la pipe en août 2017, avant même l’audience de confirmation des charges dans cet épineux dossier. Le lieutenant Gaspard Somé et son homme-lige, le Sergent-chef Nassirou Amadou Maïga, qui auraient procédé à l’arrestation de Dabo Boukari aux 1200 logements avant de l’assommer dans la nuit du 19 mai 1990 dans la « villa Togo » sise au Conseil de l’Entente, ont tous les deux rejoint l’au-delà sans avoir donné leurs versions des faits à un juge d’instruction. En dehors donc des trois accusés dont deux croupissent déjà en prison pour d’autres affaires tout aussi sordides, le tribunal ne pourra compter que sur les témoins vivants des événements pour dire le droit et vider enfin ce dossier qui tient en haleine le monde estudiantin mais pas seulement, depuis plus de trois décennies. Après les dossiers du putsch manqué de 2015 et l’affaire Thomas Sankara, et en attendant le procès des assassins présumés de Norbert Zongo, on peut dire que la justice burkinabè est en train, petit à petit, de redorer son blason et de regagner la confiance des justiciables, après avoir été longtemps considérée comme étant aux ordres et à géométrie variable. Pour qu’on en arrive là, il a fallu que des Burkinabè et notamment les défenseurs des droits de l’Homme s’investissent à fond pour que les ramifications politiques de certains dossiers, notamment de crimes de sang, ne fassent pas obstruction à l’éclatement de la vérité. Dans ce cas précis de l’étudiant-gynécologue, Dabo Boukari, assassiné trois mois seulement avant la date prévue pour la soutenance de sa thèse de doctorat, le peuple burkinabè mérite d’être salué pour sa constance et son obstination à faire aboutir ce dossier, avec une mention spéciale à sa frange scolaire et estudiantine sous la houlette de l’ANEB qui s’est constituée partie civile, qui a entretenu, trois décennies durant, la flamme de la lutte pour que justice soit faite, malgré les intimidations et la répression parfois sauvage contre ses militants et sympathisants. La tenue de ce procès n’est rien d’autre en effet que le fruit de l’opiniâtreté du plus ancien syndicat estudiantin toujours actif, mais ce n’est qu’une « victoire d’étape » comme l’a dit son secrétaire général, qui pourrait être ternie par une éventuelle grâce présidentielle au bénéfice de ceux qui seront possiblement reconnus coupables et condamnés dans cette affaire, et contre laquelle il met déjà fermement en garde les autorités de la Transition.
« Le Pays »