PLUSIEURS CHEFS D’ETAT AUX OBSEQUES D’IDRISS DEBY ITNO
C’est sur la place de la Nation de Ndjamena et en présence d’une dizaine de chefs d’Etat, que la dépouille du Maréchal Idriss Deby sera exposée ce 23 avril 2021 pour des obsèques nationales, avant que le corps ne soit convoyé par hélicoptère pour le repos éternel du guerrier, dans l’intimité familiale et dans son village d’Amdjarass, situé à quelques encablures de sa ville natale, Berdoba, à l’extrême Est du pays. Celui dont on dit qu’il avait une conception brutale de la démocratie a, comme chacun le sait, cassé sa pipe lundi dernier, le jour même où, extraordinaire ironie du destin, la Commission électorale le donnait largement vainqueur de la dernière ‘’fumisterie électorale’’ dans son pays, avec un score de 79,32% des voix. Idi quitte donc définitivement la scène dans des circonstances encore troubles, mortellement atteint par un projectile sur le théâtre des opérations alors qu’il s’était rendu, comme à son habitude, au front pour galvaniser ses troupes et faire le coup de feu contre des rebelles qui déboulaient de la Libye voisine depuis le 11 avril, en direction de la capitale Ndjamena. On peut donc dire a posteriori que ce militaire de carrière et vieux baroudeur, n’a fait que répondre à l’appel de son destin, quand on sait qu’il a échappé plus d’une fois à la mort, notamment en 2008 quand, sanglé dans sa tenue de combat et carte d’Etat-major en main, il s’était imprudemment rendu à Massaguet à cinquante kilomètres de Ndjamena pour repousser les séides de Mahamat Nouri et de Timan Erdimi qui se disputaient déjà la peau de l’ours alors qu’ils ne l’avaient même pas encore tué. Cette fois-ci, il était écrit qu’il ne rééditerait pas l’exploit de 2008, et il tire sa révérence au moment où certains de ses compatriotes, ses frères africains du Sahel et son allié de toujours, la France, pour ne pas la nommer, ont le plus besoin de lui bien que son passage à la tête de son pays ait été marqué par une gestion ploutocratique et une politique de la main tendue à ses adversaires, qui s’est avérée toujours être une politique du piège tendu.
C’est l’avenir même de toute l’Afrique noire qui en dépend
Certes, des centaines de milliers de pages ne suffiront pas à égrener tous les griefs qu’on pourrait faire au régime particulièrement répressif d’Idriss Deby Itno. Mais l’on devrait également faire preuve d’honnêteté et de gratitude vis-à-vis de ce guerrier dans l’âme, pour le rôle prépondérant et irremplaçable qu’il a joué, ces dernières années, dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé dans son pays et dans toute la bande sahélo-saharienne. On a encore en mémoire ces images d’un chef de guerre plastronnant devant ses hommes et sur le terrain, après la réplique foudroyante de son armée à la meurtrière attaque de Boko Haram, le 23 mars 2020, contre la ville-garnison de Bohoma dans le bassin du Lac Tchad. On ne peut pas non plus oublier les services rendus au Mali, au Niger et au Burkina, en projetant des milliers de soldats dans les parties les plus dangereuses de ces trois pays pour faire comprendre aux crapauds de l’Etat islamique et du JNIM, qu’ils auront désormais affaire à de l’eau bouillante dans la zone dite des trois frontières, mais aussi dans l’extrême Nord du Mali. Même dans le bassin du Lac Tchad dévasté par Boko Haram et où opèrent des armées aguerries comme celles du Nigeria et du Cameroun, il a fallu qu’Idriss Deby prenne le risque politique et sécuritaire de déployer ses hommes, pour tenir la dragée haute aux inconditionnels d’Abubakar Shekau. Quant à la France qui se demande quand et comment sortir du bourbier sahélien, elle accuse ouvertement le coup suite à cette disparition tragique de leur fidèle allié, et elle suit de très près l’évolution de la situation (euphémisme ou formule diplomatique pour dire qu’elle est partie prenante dans les tractations en cours pour assurer la relève ou la continuité). En un mot comme en mille, ce sont des chefs d’Etat durement affectés et qui ont raison d’avoir peur du vide, qui vont rendre ce matin un dernier hommage à celui qui, même s’il ne va pas laisser un souvenir impérissable à une bonne partie de ses compatriotes, aura eu le mérite de donner une stabilité relative à son pays autour duquel gravitent, il faut le rappeler, des Etats faillis comme la Libye, la Centrafrique et le Soudan pour ne citer que ces trois. On espère pour nos frères du Tchad, qu’ils ne vont pas fermer la page Idriss Deby pour ouvrir une nouvelle pleine d’incertitudes, avec un foisonnement de rébellions comme toujours à base ethnique, et l’irruption sur la scène politique de leaders dont les ambitions personnelles priment sur la cause nationale et dont les programmes reposent essentiellement sur des alliances fantaisistes et des accords d’opportunité, dans le seul but de piller les ressources du pays. Si ce scénario-catastrophe devait se réaliser, on regretterait un jour et à coup sûr, celui qui est dépeint comme l’un des présidents les plus monomaniaques et mégalomaniaques du continent, comme c’est le cas aujourd’hui en Libye avec tous les désordres créés par la chute brutale du dictateur Kadhafi. L’inquiétude est d’autant plus grande et réelle qu’avant même que « le Maréchal du Tchad » comme il se faisait appeler, ne soit porté en terre, les rebelles menacent encore et toujours de fondre sur la capitale, les syndicats, la société civile et les partis politiques ruent dans les brancards depuis qu’il est évident qu’on assiste à une dévolution monarchique du pouvoir avec le fils à la place du père, sans oublier les remous possibles au sein de la Grande muette qui est, à l’image du pays, traversée, elle aussi, par des dissensions d’ordre ethnique ou tribal. Le risque que les choses partent en vrilles dans ce pays chroniquement instable est, il est vrai, réel, mais il est certain que les chefs d’Etat africains et français présents à la cérémonie funéraire ne laisseront pas, au nom du défunt père, de son successeur de fils et de la lutte contre le terrorisme, le Tchad sombrer dans le chaos à l’image de la Libye ou de la Somalie. Car, c’est l’avenir même de toute l’Afrique noire qui en dépend en raison de sa position géostratégique.
Hamadou GADIAGA