POUR LA LIBERATION DES PRISONNIERS POLITIQUES AU MALI : Au nom de la paix et de la réconciliation nationale
Au Mali, l’actualité est dominée par les affaires judiciaires de l’économiste Etienne Fakaba Sissoko et des onze leaders de l’opposition arrêtés en juin dernier et entendus au sujet d’une « réunion clandestine » au moment où les activités des partis politiques étaient suspendues. Condamné en mai dernier à deux ans de prison dont un ferme pour « atteinte au crédit de l’Etat », le premier, enseignant-chercheur de son état, qui avait dénoncé dans un livre, « la propagande » du gouvernement de transition, comparaissait le 11 novembre dernier devant la Cour d’appel, après que le Parquet général a refusé sa remise en liberté provisoire le mois dernier malgré l’avis favorable de la Cour. A sa suite, les onze cadres de l’opposition parmi lesquels des anciens ministres, se retrouveront ce 12 novembre 2024 devant la même Cour d’appel qui devra se prononcer sur leur demande de libération sous contrôle judiciaire ordonnée en septembre dernier par le juge en charge de l’instruction du dossier mais refusée par le procureur, en attendant le procès dont la date n’a pas encore été fixée.
Il appartient aux leaders d’opinions de savoir se fixer des limites à ne pas franchir
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Justice malienne a du pain sur la planche avec ces dossiers emblématiques qui viennent s’ajouter à d’autres qui font couler beaucoup d’encre et de salive sur les rives du Djoliba. Sont de ceux-là, le dossier de l’activiste et chroniqueur radio Mohamed Youssouf Bathily plus connu sous le pseudonyme de Ras Bath, condamné en appel en mars dernier à dix-huit mois de prison dont neuf mois fermes après un an de détention. Le fait est que ce polémiste et militant du Collectif pour la défense de la République qui croupit toujours en prison, est sous le coup d’une autre procédure judiciaire pour des faits d’« association de malfaiteurs » et autre « atteinte au crédit de l’Etat » en lien avec ses propos tenus sur la mort de l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, décédé en détention en mars 2022. Il y a aussi le cas de l’influenceuse et activiste malienne Rokya Doumbia alias « Tantie Rose » ou encore « Tata vie chère », dont les déboires judiciaires ne datent pas d’aujourd’hui. Cette dernière avait été incarcérée pour « incitation à la révolte » et « trouble à l’ordre public par l’usage des technologies de l’information et de la communication », après avoir dénoncé la cherté de la vie au Mali, sur les réseaux sociaux, tout en critiquant le bilan des autorités de la transition. C’est dire s’il ne fait pas bon être trop critique à l’endroit des autorités de la transition, au risque de se retrouver en prison pour des faits ou des propos mal placés ou jugés outrageants. Mais après des années d’incompréhensions et de tiraillements dans ce contexte particulièrement difficile de lutte contre le terrorisme, il est peut-être temps, pour les acteurs politiques maliens, d’aller à la paix des braves pour sauver le pays et mieux faire face à l’ennemi commun qu’est l’hydre terroriste. C’est pourquoi, au nom de la paix et de la réconciliation nationale, on peut se demander s’il n’est pas temps de reconsidérer la situation des prisonniers politiques au Mali.
Le régime de Bamako n’aurait rien à gagner, s’il gardait abusivement des prisonniers politiques derrière les barreaux
Cela est d’autant plus nécessaire qu’un éventuel élargissement de ces derniers ou un assouplissement de leurs conditions de détention, serait un signal fort qui pourrait participer de la décrispation de l’atmosphère sociopolitique. Autrement, à force, pour le procureur, de s’opposer presque systématiquement à une libération provisoire ou sous caution malgré l’avis favorable de la Cour, cela peut paraître, à s’y méprendre, comme un acharnement voire une volonté manifeste de musellement des voix discordantes. Ceci étant, il appartient aux leaders d’opinions, qu’ils soient des hommes politiques ou des activistes qui se veulent autant d’éveilleurs de consciences, de savoir aussi se fixer des limites à ne pas franchir. Quant à la Justice malienne, il lui revient de savoir faire preuve de vigilance et d’indépendance, pour ne pas donner raison à ceux qui pensent, à tort ou à raison, qu’elle est à la solde des autorités du moment. Il y va de sa crédibilité. En tout état de cause, le régime de Bamako n’aurait rien à gagner, s’il gardait abusivement des prisonniers politiques derrière les barreaux, au moment où le pays a manifestement besoin de tous ses fils et filles pour la construction de la Nation.
« Le Pays »